Non mais ça va pas non!

Il y a peu, le gouvernement belge décida qu’il était de nouveau « légal » (cela fut déjà le cas par le passé jusqu’à ce que des instances internationales y mettent légalement le holà) d’enfermer des enfants. Comme il n’était pas dans leurs intentions de procéder inhumainement, la coalition au pouvoir se décida à construire, en bordure d’aéroport (autant rapprocher directement le bambin du moyen de transport utilisé pour son « rapatriement »: un soupçon d’engagement écologique sans doute), des locaux flambants neufs équipés de tout le confort. Profitant des congés, une première famille (une mère et ses quatre enfants) y fut logée dès ce mois d’août. Une deuxième (une mère et ses cinq enfants) y est détenue depuis le jour de la rentrée scolaire. On a beaucoup entendu s’écharper sur cette ignominie : les conditions de détention à proximité d’un aéroport qui imposent aux enfants de « profiter » de la plaine de jeux munis de casques anti-bruit*, les différents appels de la société civile (milieu associatif, milieu culturel, judiciaire) dénonçant l’abjection et la honte de cette mesure, rappels de la législation internationale bafouée, évocation du cas particulier de cette première famille rom condamnée à « rejoindre » un pays « d’origine », la Serbie, dont les enfants ne connaissent rien, ni la langue, ni les us et coutumes – pas particulièrement favorables aux membres de leur ethnie -, rappels de l’absurdité économique et politique de cette mesure… Même si pour l’instant rien n’y fait, beaucoup a été dit et tenté pour faire rendre gorge à cette mesure aussi stupide que cruelle.

Dans l’éventail déjà large des critiques adressées à celle-ci, nous parait cependant manquer l’une de celles qui s’opposent pourtant le plus frontalement à l’argument essentiel avancé par les thuriféraires de cette mesure : son pragmatisme! Le laïus est toujours le même : « Cela ne nous plait nullement d’enfermer des enfants, mais c’est la situation qui nous y contraint! Que voulez-vous que nous fassions! Si des parents s’obstinent à ne pas respecter, et ce à de multiples reprises, un ordre de quitter le territoire et à se soustraire par tout moyen à la loi, la privation de liberté temporaire est malheureusement la seule solution envisageable. Il s’agit d’une mesure douloureuse, exceptionnelle, mais dont l’exercice nous est imposé pour des raisons pratiques évidentes. » S’ensuivent alors toujours les assurances, réitérées ad nauseam, quant à l’humanité des dispositions encadrant la mesure elle-même. À ce pragmatisme ne parait jamais être opposable un quelconque argument factuel crédible. On entend, comme rappelé ci-dessus, nombre de critiques émises qui sont censées repenser, radicalement ou non, les paradigmes qui sont au fondement de cette décision (quel droit d’asile? pour qui? comment accueillir?etc.), mais aucune qui s’attache à détricoter l’essence même de la défense de cette dernière. Et cela non pas parce qu’il n’existerait pas de concepts utiles à défaire ce recours au pratique, ou de penseurs capables d’éventuellement construire  ce concept qui manquerait. Mais tout simplement parce que, effectivement, cette mesure est bien extrêmement pratique! En termes pratiques,  toute chose égale par ailleurs, il est bien raisonnable et nécessaire d’enfermer ces enfants. Et ce que cela démontre (à la fois le recours lui-même au « pragmatique » et l’absence de réaction qu’il provoque) c’est notre incapacité à désormais concevoir un monde qui ne soit pas entièrement et « utilement » régi par le « raisonnable », le « pratique », le « pragmatique », ou quel que soit le nom dont on affuble la chose.

Ces raisons pratiques deviennent alors la raison suffisante qui légitime la suspension de droits fondamentaux. Alors même que ceux-ci sont précisément censés, par leur unanime reconnaissance en tant que fondement, ne pouvoir être suspendus par rien. Ce que dénote cela – et me fout, personnellement, une trouille de tous les diables – c’est que le « pratique » est devenu à ce point hégémonique qu’il permet de justifier le pire et d’assourdir les voix de ceux qui s’y opposent**. ***

*à ne lire que cela on constate déjà ce que cette adhésion sans frein à un « raisonnable » sacro-saint entraîne ipso facto des choses qui nous paraissent fort peu « raisonnables ». À moins que tout sacrifier à la raison légitime de sacrifier la raison elle-même… Le serpent, décidément, se délecte de sa queue.

** le « point » qui clôt la formule « On n’enferme pas un enfant, point » reprise par tous les opposants à cette barbarie, nous rappelle l’évidence – ce qui est fondamental ne peut, par définition, être aménagé -, mais aussi combien celle-ci est menacée. Comme s’il était plus que jamais à craindre que ce « point » martelé soit l’occasion pour d’autres d’y opposer à leur tour un « oui, mais ce point, il est un peu court, brutal, il dénote un manque d’argument, de raison, finalement ce « point » il est intolérant, il montre combien vous refusez le débat »

*** Alors oui, on sait que ça ne fait pas nécessairement bouger les choses et que tout cela est fort décourageant, et qu’à force, on en laisserait bien tomber les bras, mais on vous convie quand même à rejoindre sur ce sujet important l’une ou l’autre des nombreuses initiatives qui se sont formées autour de cette question. En voici déjà une

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