« Notre Château » de Emmanuel Régniez.

Notre Château

Depuis vingt ans, Octave et Véra, sa soeur, vivent reclus dans un château qu’ils ont hérité de leurs parents. Sans amis, presque sans lien avec l’extérieur, leur vie est rythmée par une suite d’habitudes tenaces que rien ne paraît devoir ébranler. Mais tout bascule quand, le jeudi 31 mars, à 14h32, Octave voit sa sœur dans le bus n°39 qui va de la Gare à la Cité des 3 Fontaines, en passant par l’Hôtel de Ville. Cela pourrait passer pour bénin si Véra ne sortait jamais du château!

Je dois croire ma sœur sinon tout va s’écrouler.

Un peu plus tard, Octave trouve une cigarette se consumant dans un affreux cendrier de cristal. Alors que lui a arrêté de fumer depuis six ans et que sa sœur, elle, n’a jamais commencé…

Comme tout est étrange.

De petits dérangements du quotidien. Des accrocs dans les mailles mornes de l’habitude. Minuscules. Presque insignifiants. Mais dont l’irruption soudaine entraîne avec eux toutes ces fragiles certitudes qui fondaient le banal. Banal qui vacille sous l’extraordinaire qui semble en surgir.

Je pense souvent aux mondes parallèles, aux mondes autres que le nôtre.

Mais ces micro-événements relatés par Octave ne sont-ils pas le produit de son imagination? Octave est-il lui-même « normal »? La défaillance du monde qu’il s’est construit n’est-elle pas due à sa propre « démence »? Est ce son monde qui vacille, ou la foi que nous, lecteurs, aurions pu placer en lui? Dans ses doutes, ses errements, ses répétitions, ne devine-t’on pas les nôtres? Que lire dans ceux-ci?

Le réel est une construction. Dont la stabilité tient en de fragiles équilibres. Les grains de sable dans la mécanique semblant immuable du Château viennent déranger ce qui se tramait à l’intérieur. Mais, le dérangeant, ils en révèle les failles plus qu’ils ne les créent. La brèche, même chas d’aiguille, laisse s’engouffrer, à la suite du micro-événement qui l’a ouverte, le torrent du « dehors », qui, s’y mêlant, révèle la fragilité du « dedans ». Qu’on le veuille ou non, qu’on construise autant de barrières pour s’en protéger qu’on croit ce « dehors » menaçant, toujours, in fine, il advient. Et se révèle alors, d’autant plus douloureusement que le déni fut prégnant et long, cette évidence : il n’y a pas de « dehors »!

Il n’y a pas de dehors, de grand dehors. Il y a Notre Château et seulement Notre Château.

La lecture est aussi une construction. Comme le réel, elle est un édifice. Ainsi toute lecture fait (sans même y faire appel) sourdre un « dehors » (les autres livres lus) qui lui préexiste et auquel, s’il ne s’y limite pas, il est intrinsèquement lié. La force du projet d’Emmanuel Règniez est d’ici conjoindre dans un même souffle l’ébranlement du réel d’Octave et celui de notre lecture. En toute simplicité. Les autres livres lu, ces fantômes qui l’habillent, ne sont pas en « dehors ». Ils sont dans Notre Château. Ils sont Notre Château.

Lire c’est toujours lire avec une théorie.

Emmanuel Régniez, Notre Château, 2015, Le Tripode.

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