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« Numéro d’écrou 362573″ de Arno Bertina & Anissa Michalon.

Numéro d'écrou 362573La solitude d’Ahmed me serre le coeur, et celle d’Idriss.

C’est à l’occasion du travail qu’elle a mené sur la communauté malienne de Montreuil que la photographe Anissa Michalon a fait la connaissance d’Idriss, un jeune homme arrivé en France à l’âge de vingt ans.  Arno Bertina se saisit du destin tragique et bien réel d’Idriss pour créer une courte fiction.

Continue de me regarder Ahmed, et pas eux, regarde-moi MOI.

Les questions posées par les deux artistes sont bien entendus celles, classiques mais encore trop peu entendues relatives aux pressions s’exerçant sur les sans-papiers.  Mais ces questions prennent ici un relief particulier car s’ancrant dans et s’articulant à partir de celle de la possibilité d’en rendre compte.  Idriss est mort.  Il était malien, sans-papier.  Et sa mort tragique n’est sans doute pas étrangère à cela.  C’est un fait.  Que peut la fiction face à ce fait?  Que peut-elle pour Idriss?  Ou pour ceux qui restent et dont Idriss pourrait devenir un étendard?  La mort d’Idriss ne se suffit-elle pas à elle-même?  La fiction ne redonde-t-elle pas?  Le risque n’est-il pas  « d’esthétiser » ce dont le fait brut témoignerait mieux seul?

Ray te regarde et ses yeux ne viennent pas te chercher mais ils t’attendent et parfois ils t’espèrent.

La narration dans « Numéro d’écrou 362573″ est double.  Dans la deuxième partie, les photos d’Anissa Michalon interrogent ce contraste entre l’acceuil que nos contrées ont réservé à Idriss et celui que lui fait le village dont il est originaire.  A la solitude que seules de « bonnes âmes », comme autant d’électrons eux-mêmes isolés, viennent soulager, répondent des rituels d’acceuil organisés par la communauté.  Au bouc offert en offrande sur un autel de branchages à la photographe lors de son séjour, répond le visage d’Idriss.  D’un côté la bête que l’on sacrifie pour accueillir, de l’autre celui que l’on sacrifie au lieu d’accueillir.

Dans la première partie, les mots d’Arno Bertina enchevêtrent à la narration des faits celle d’un enterrement au cours duquel l’organiste se demande comment jouer de son orgue alors qu’il vient d’apprendre le suicide d’un sans-papier.  Au développement des faits (eux-mêmes modifiés par rapport à ceux réels, où Idriss devient Ahmed) se mêle le compte rendu de leur réception dans l’esprit de qui n’était alors qu’un interprète.  Et la question essentielle devient alors celle de la modification qu’induit l’évènement sur qui cherche à s’exprimer à son sujet et qui, seule, permet de le dire entièrement.

Leur mettre du baume au coeur en osant tout ce bruit qu’ils ne pouvaient pas faire à partir d’une partition que j’ai souvent jouée bien, c’est-à-dire une interprétation mesquine trahissant la ferveur qui a commandé sa composition.  Oui c’était avant que je l’abîmais, et maintenant que je la sers.

La fiction n’est pas un baume mis sur la réalité.  L’auteur fait de l’évènement une partition qu’il enrichit de son dégoût, de sa rage.  Une partition qu’il ne sert bien qu’en faisant autre chose que la simplement dire.  En la faisant déborder de ce qui l’excède lui-même.  En la tendant vers un agir.

J’ai fait entrer quelqu’un en douce.

Ahmed n’était plus seul.

Arno Bertina & Anissa Michalon, Numéro d’écrou 362573, 2013, Le Bec en l’air.

Vous pouvez trouver ici l’enregistrement de notre rencontre avec les deux auteurs (un tout grand merci à Anne-Lise Remacle)

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