Ouf !(enfin, presque, ou partiellement, ou temporairement, ou pas…)

Vos vitres sont d’une propreté impeccable. Vous en êtes à votre troisième rangement de printemps. Vous êtes parfaitement versé en latin, en géologie et en pédagogie alternative. Vous maitrisez Tik Tok. Vous avez maintenant compris, jusqu’au dégoût, à quel point rien, mais alors là rien, n’a d’intérêt sur Netflix. Vous en êtes à trois bières spéciales (sauf l’Orval, qui, étrangement, devient aussi difficile à trouver qu’une once d’empathie chez Bart de Wever), un verre de vin, un pousse-café et un verre de whisky par jour. Vous avez perdu votre réveil. Vous avez rêvé perdre vos enfants. Vous avez retrouvé vos baskets. Vous avez rêvé perdre votre balance. Vous êtes spécialiste en lecture de courbes. Votre chien est complètement crevé. Votre libraire vous a manqué, vous le lui avez dit, et il s’en est fort ému. Vous connaissez par cœur toutes les recettes d’Ottolenghi. Vos mains sont d’une pâleur cadavérique. Vos coudes sentent votre haleine. Vous rêvez de bouches. Vous pensez mordicus que « Télé Travail » est le nom du nouvel amant de votre compagne. Vous vous en êtes voulu très fort chaque fois, mais vous avez néanmoins souhaité très fort chaque jour, à 20 heures 00 minutes et 11 secondes précises que s’écrase tête la première au pied de l’immeuble mitoyen du vôtre, l’enfant de quelques mois qui frappait, enthousiaste, dans la casserole que lui maintenaient ses parents non moins enthousiastes. Vous avez d’abord détesté, puis haussé le sourcil, puis observé d’un œil éteint, les « esthètes-de-la-vie-confinée », les « je-te-l’avais-bien-du-pangolin », les « ce-qui-ne-nous-tue-pas-nous-rend-plus-fort-du-virus », qui ne prenaient pas même la peine de faire mine de déguiser leurs bons vieux et rances filtres idéologiques ou esthétiques, pour se livrer à des « analyses-du-monde-de-demain » ou à de pseudo expériences poétiques dont le seul objectif était de faire bouffer un peu plus leur déjà fort bouffie prétention. Vous vous êtes emmerdés. Vous avez été débordés. Vous avez été privé de votre droit-légitime-à-consommer. Vous avez appris que « B to B » n’était ni le nom d’un groupe de pop sirupeuse, ni celui d’un livre traduit en anglais de Frédéric Lenoir. Vous ne vous êtes pas baladés, vous avez « accompli, au sein de votre cluster familial, une activité physique non-interrompue, en appliquant les gestes barrières et en respectant les règles du social distancing ». Bref, vous avez été confinés.

Et comme, à partir du 11 (temporairement, partiellement, ou pas-tout-à-fait-jusqu’à-nouvel-ordre) vous ne le serez plus, confinés, vous n’avez qu’une et une seule envie : acheter des choses intelligentes à lire. Et ça tombe encore mieux car, à partir du 12, nous serons ravis de vous en vendre et d’ainsi capter une partie significative de votre épargne de ces 60 derniers jours…

Y aura du gel hydroalcoolique (de luxe : 30 €/litre) quand vous entrez, des distances de sécurité de 1.50 m et des gestes barrières à respecter, une capacité maximale (4 duos en même temps), des interdictions strictes (téléphoner dans la librairie; dire qu’un livre de Leila Slimani c’est bien; me proposer votre manuscrit sur le confinement à moins d’ 1 mètre 50 du tarin), des permissions (mettre un masque, ne pas mettre de masque, râler), des obligations (acheter, dépenser, consommer).

Bref, ça devrait être bien!

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