Philosophie/Philosophie de la logique/Michael Dummett

Nous étonne depuis longtemps l’ombre à peu près complète dans laquelle sont laissées, dans le champ francophone et ce jusqu’aux sphères académiques, des pensées considérées partout ailleurs comme absolument déterminantes. Tout entier occupé à rabattre sur elles-mêmes ses certitudes tranquilles à coups de citations nietzschéennes ou deleuziennes, le lecteur francophone prétendument averti méconnait souvent avec paresse et componction des pans gigantesques de ce qui se fabrique au-delà de ses très étroites frontières épistémiques. Faisant la moue à la seule mention d’ « analytique », de « logique », d’ « herméneutique » ou de « cognitif » et hanté par d’absurdes préjugés, il fabrique en vase clos des résistances sans plus très bien savoir à quoi il se dit résister. Ainsi enfermé dans une rengaine qui n’a de pensée que le nom, il manque d’apercevoir vraiment des textes importants quand il s’en dégage dans ses environs immédiats (Quentin Meillassoux) et consacre à leurs places des impostures manifestes (Bruno Latour). En donnant à lire quelques extraits d’œuvres unanimement considérées comme majeures, nous espérons inciter un peu plus le lecteur francophone à sortir de son fort douillet carcan. La pensée, après tout, n’est pas le confort…

Déconcerté par la difficulté qu’il y a à donner une description générale de la relation entre le langage et la réalité, nous avons aujourd’hui abandonné la théorie de la vérité-correspondance. Nous nous justifions en faisant valoir que cette théorie avait pour projet d’énoncer un critère de la vérité au sens où, précisément, il nous est impossible d’en fournir un. Mais cette théorie exprime néanmoins une caractéristique importante du concept de vérité qui n’est pas exprimée par la loi <Il est vrai que P si et seulement P>, et que nous avons laissée jusqu’ici de côté, à savoir qu’un énoncé est vrai seulement s’il y a quelque chose dans le monde en vertu de quoi il est vrai. Bien que nous n’acceptions plus la théorie de la vérité-correspondance, nous restons, au fond, des réalistes. Nous conservons dans notre manière de penser une conception fondamentalement réaliste de la vérité. Le réalisme consiste dans l’idée que, pour tout énoncé, il doit y avoir quelque chose en vertu de quoi, soit cet énoncé est vrai, soit sa négation l’est. C’est seulement en se fondant sur cette conviction que nous pouvons justifier l’idée que la vérité et la fausseté jouent un rôle essentiel dans la notion de signification d’un énoncé, et que la forme générale de l’explication de la signification consiste en une énonciation de ses conditions de vérité.

Michael Dummett, Philosophie de la logique, Minuit, trad. Fabrice Pataut.

(Au-delà de son apport particulier à la philosophie strictement analytique, ce livre offre également une belle approche des problèmes très concrets qu’a soulevés la succession de Wittgenstein. Ici, en particulier, la question essentielle de la vérité. Ses thuriféraires y verront un indéniable enrichissement intellectuel. Ses opposants y liront une preuve des apories de l’approche analytique. Au moins les uns et les autres auront-ils pu s’en faire une idée en le lisant…)

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