Poésie/La Beauté/Hugo Pernet

Rarement le mot « poésie » et ses dérivés auront été autant à la mode. Une vocifération prétendument émancipatrice, un discours suintant l’emphase et le nationalisme, l’extatique récitation de lieux communs face caméra : la moindre revendication, la moindre supplique à vocation idéologique, sous prétexte qu’elle est médiée par le langage, est maintenant vendue comme ressortant du poétique. Rarement telle surenchère sémantique aura été si peu en rapport avec l’objet qu’il prétend nommer. La « poésie » est partout, la poésie nulle part. En « armant » leurs « luttes » des pâles ersatz d’une poésie réduite à ses clichés et aux seuls principes de la communication actuellement en vogue – format court, visuel, sonore, ludique, punchline – ces « combattants » du poétique parviennent à ridiculiser leurs combats (ça on s’en tamponne gentiment) et à donner de la poésie, pour ceux qui n’en connaissent rien, l’image d’un outil niais et inféodable à peu de frais à quelque « cause » que ce soit (ça c’est chez nous plus sensible). Tout entier dévolu à « étreindre par le langage » l’opprimé, le racisé, le féminin, le lombric ou le coquelicot, le poète guérillero en oublie que la poésie est avant tout chose esthétique (et non pas « belle », ni « jolie », ni « subjective »). Las de cette dilution de l’αίσθησιs (le grec, c’est toujours classe) dans tout ce à quoi on cherche bêtement à la forcer, nous avons décidé de consacrer majoritairement ce blog, ces prochaines semaines, à l’expression sans apprêt de textes poétiques qui comptent. Fi des étendards. Place à la poésie.

ce qui se passe réellement

ne peut être le sujet du poème

le métal froid et le plastique, si

le cœur s’ouvre et se ferme

les mains sont des araignées au bout

du fil, le cerveau a glissé tout entier

dans le blanc

s’étouffer avec du pain de mie

peut être une manière de mourir

écrire autre chose qu’un roman

une déclaration sur l’honneur, l’adresse

de sa grand-mère sur l’enveloppe

les pommes sont au magasin

dans les contre-formes en plastique

que puis-je n’avoir greffe

d’un pull à capuche, même moche

qui n’irait à personne : c’est à nous de nous faire

aux habits

les fourchettes ne font pas

la révolution : il faut qu’on les porte

à la bouche chaque jour

chaque jour les doigts glissent

sur le verre

le cerveau est partout dans les arbres

dans le vent et dans le soleil

comme un son qui s’éloigne

Hugo Pernet, La Beauté, série discrète

(on s’en voudrait de ne pas vous conseiller également l’entièreté du fabuleux petit catalogue de série discrète, maison d’édition qui gagnerait à l’être moins…)

Lien Permanent pour cet article : https://www.librairie-ptyx.be/poesie-la-beaute-hugo-pernet/

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.