Poésie/L’iris sauvage/Louise Glück

Rarement le mot « poésie » et ses dérivés auront été autant à la mode. Une vocifération prétendument émancipatrice, un discours suintant l’emphase et le nationalisme, l’extatique récitation de lieux communs face caméra : la moindre revendication, la moindre supplique à vocation idéologique, sous prétexte qu’elle est médiée par le langage, est maintenant vendue comme ressortant du poétique. Rarement telle surenchère sémantique aura été si peu en rapport avec l’objet qu’il prétend nommer. La « poésie » est partout, la poésie nulle part. En « armant » leurs « luttes » des pâles ersatz d’une poésie réduite à ses clichés et aux seuls principes de la communication actuellement en vogue – format court, visuel, sonore, ludique, punchline – ces « combattants » du poétique parviennent à ridiculiser leurs combats (ça on s’en tamponne gentiment) et à donner de la poésie, pour ceux qui n’en connaissent rien, l’image d’un outil niais et inféodable à peu de frais à quelque « cause » que ce soit (ça c’est chez nous plus sensible). Tout entier dévolu à « étreindre par le langage » l’opprimé, le racisé, le féminin, le lombric ou le coquelicot, le poète guérillero en oublie que la poésie est avant tout chose esthétique (et non pas « belle », ni « jolie », ni « subjective »). Las de cette dilution de l’αίσθησιs (le grec, c’est toujours classe) dans tout ce à quoi on cherche bêtement à la forcer, nous avons décidé de ne plus consacrer ce blog, ces prochaines semaines, qu’à l’expression sans apprêt de textes poétiques qui comptent. Fi des étendards. Place à la poésie.

Herbes folles

Quelque chose

vient au monde sans y avoir été invité

provoquant le désordre, le désordre –

Si tu me hais tant,

ne t’embête pas à me donner

un nom : as-tu besoin

d’une autre insulte

dans ta langue, une autre

façon de blâmer

une tribu pour tout –

comme nous le savons tous deux,

si l’on ne vénère

qu’un dieu,

un ennemi suffit –

Je ne suis pas l’ennemi.

seulement une ruse qui te permet d’ignorer

ce que tu vois en train de se dérouler

ici même, dans ce lit,

petit paradigme

de l’échec. L’une de tes précieuses fleurs

meurt ici presque chaque jour,

et tu ne pourras trouver le repos

qu’après en avoir bravé la cause, en d’autres termes :

tout ce qui reste, tout ce qui  se

révèle plus robuste

que ta passion personnelle –

Ce n’était pas supposé

durer éternellement dans le monde réel.

Mais pourquoi l’admettre quand tu peux continuer

à faire ce que tu as toujours fait,

le deuil et les reproches,

toujours les deux ensemble.

Je n’ai pas besoin de tes louanges

pour survivre. J’étais là en premier,

avant toi, avant même que tu aies planté le premier jardin.

Et je serai là, quand il ne restera que le soleil, la lune,

la mer et la grande prairie.

Je serai la prairie.

Louise Glück, L’iris sauvage, Gallimard, trad. Marie Olivier.

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