Il écrivit s’enfouissant dans le papier
Si faire oeuvre ne se peut qu’en ayant soin de donner à cette oeuvre une publicité, d’être publié donc, peu s’y seront aussi mal attelé que Charles Racine. Une dizaine de poèmes publiés en revue, trois brefs recueils (dont un de collaboration avec un plasticien, les deux autres « hors commerce »…), l’oeuvre du poète suisse éditée de son vivant est pour le moins parcimonieuse. Si, tout occupé à l’écrire, il ne se sera que fort peu soucié de donner à son oeuvre un lectorat, on saisit vite, à sa lecture, qu’elle n’est pas non plus un vase clos. Tout simplement le temps et les inquiétudes économisés sur sa réception auront-ils permis, une fois investis dans l’oeuvre et elle seule, de lui donner l’exceptionnelle originalité qui demeure la sienne aujourd’hui.
le pain doit tout à la faim
Quand on lit Charles Racine, on ne saisit pas toujours ce qui fait recueil ou non. Ce qui intègre un thème, un cadre plus large, qu’un titre rassemblerait alors, n’est pas toujours clairement identifié. On perçoit des possibilités d’ensembles, des accointances, mais toujours des doutes subsistent quant aux limites qui viendraient borner telle ou telle séquence. Comme si cette partition de l’oeuvre faisant partie aussi de sa publicité, et que cette dernière n’étant plus un objectif, la nécessité de la première ne se faisait plus sentir. Des éléments reviennent ; la nuit surtout, l’eau, l’enfance, le texte. Mais jamais comme des thèmes ou des étendards. Plutôt comme des possibilités de s’y reprendre toujours. Comme s’il s’agissait (une vie durant!) d’y approfondir autre chose que ce qui semble s’y répéter. Comme si dire et dire encore une chose, dans toutes ses subtiles et infinies variantes (variantes ici plus grammaticales que lexicales), permettait non pas de la dire mieux mais de dire autre chose qu’elle. Et donc d’y atteindre.
Le temps arbore le blason incalculable
de sable d’exception Cette foi de sang
battue geint sous la syllabe qui la mar-
tèle Cette aventure (je) se détache
des syllabes qui la prononcent
et la profèrent et la transportent Sable de
l’eau perdue sable sans joie entre le
oui et le non je viens du texte nulle
parabole sur chair je ne suis le rêve
de ce que j’écris il n’est d’absence que
n’étreint l’écho parabolique du temps
qu’il n’étreigne l’absence qui enserre
les doigts l’allégorie se lève pour re-
connaître ces lieux blanchis je ne peux
réduire mes textes à un point ils n’y
entrent pas
Irréductible à toute « école », Charles Racine aura réussi, avec une exigence rare, en « mourant dans chaque texte qu’il écrivit », à bâtir une oeuvre qui ne ressemble à aucune autre. Et qui demeurera longtemps encore capable de nous émerveiller.
L’ennui dont s’enveloppe l’enfant
débouche sur un homme
qui retombe de ses mains
Charles Racine, Poésie ne peut finir, 2018, Grèges.