« Portraits » de Dezsö Kosztolänyi.

PortraitsIl n’y a que ça de sain.  Chaque métier est un moyen.  Mais il ne vaut quelque chose que lorsqu’il devient un but.  Comment vois-je le monde?  Dans des phrases.  Comment l’ingénieur le voit-il?  Dans des plans.  Et le champion de courses?  Dans des distances.

Que ce soient Les vies des hommes illustres de Plutarque, Les Caractères de La Bruyère ou les « archétypes » d’un Molière, la peinture des particularités d’un être humain a de tout temps tenté les plus grandes plumes.  Que la volonté sous-jacente soit politique, philosophique, religieuse, ou autre, « croquer » un être particulier peut être bien autre chose qu’un simple exercice narratif.  On peut peindre un corps en vue d’exercer son coup de pinceau, mais aussi y trouver une finalité.

Mon Dieu! Que pourrais-je raconter d’intéressant?  Que suis-je?

Organisé en courtes séquences de quatre ou cinq pages, chacune s’intéressant à un personnage de Budapest dont on ne sait au départ, en général, que le métier, Portraits est très loin du carnet de croquis, du recueil de rebuts.  Chaque portrait s’ouvre par une brève préface et se clôt par une postface pendant lesquelles l’auteur met en contexte le corps de chaque chapitre.  Celui-ci est réalisé sous forme d’un chassé-croisé de questions-réponses courtes parsemé ça et là de quelques rares didascalies.  On y croise un coiffeur, un député, une élégante, un fossoyeur, une domestique, un écrivain…  Et chaque fois, la magie opère.  Jamais poussif ni maïeutique, le catalogue presque banal de ses dialogues fait de Portraits, par ses touches pointillistes, un des tableaux les plus justes et touchants d’une humanité irréductible à chacune de ses individualités.

Le garçon de café, quoiqu’il fasse du surplace sa vie entière, n’use pas en vain ses jambes et ses chaussures, il va loin, vers des connaissances sans cesse nouvelles.

Avec cette simplicité typique des meilleurs plumes, Kosztolanyi parvient à faire sourdre de chaque individu qu’il croque une parcelle intacte d’humanité.  Sans non plus réduire chacun à sa valeur d’exemple, il parvient à se situer dans cet exact entre-deux de l’individu et du commun. On trouve une véritable étincelle dans si peu de livres, nous confie-t-il.  Chacun de ses portraits en est une.  Où se lit, avec humour et humilité, sans mièvrerie ni concession, une tendresse sereine pour une humanité dont on se demande, refermant le livre, si elle le vaut vraiment.

L’homme ne vaut rien en général.  Regardez : sa chair est immangeable ; sa peau n’est même pas bonne à relier des livres parce qu’elle se casse facilement ; on a tenté de préparer des macaronis à partir de ses os, mais les fines bouches ont protesté.  L’homme ne peut être apprécié que vivant, et même dans ce cas pas n’importe quand.

Deszö Kosztolanyi, Portraits, 2013, La Baconnière, trad. Iboyla Virag & Michel Orcel.

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