« Portraits » de John Berger.

Les histoires viennent à l’esprit pour qu’on les raconte. Il arrive que les tableaux fassent de même.

En 2015, paraissait en anglais, chez Verso, Portraits de John Berger. Très vite, chez les afficionados de l’auteur anglais, ce livre allait devenir une référence centrale, une sorte d’absolu, que l’annonce de la mort de l’auteur, en 2017, n’allait faire que renforcer. Pensé par l’éditeur Tom Overton, Portraits n’est pas à proprement parler un livre de John Berger. Il reprend, en suivant la chronologie de l’histoire de l’art – des peintures de la grotte Chauvet à l’artiste syrienne Rand Mdah – un choix important – la chose pèse ses 662 pages – des textes écrits par l’anglais sur l’art tout au long de sa prolifique carrière. Mais Tom Overton ne s’est pas contenté de reprendre et rassembler des articles de John Berger. On n’est ni dans l’anthologie ni dans le simple recueil de textes critiques. Avec le consentement de l’auteur anglais, l’éditeur a ponctionné, fragmenté, agencé, parfois découpé, dans l’ensemble de l’œuvre. Littéralement, dans l’œuvre, il a composé une autre. Quoi de plus logique quand on connait l’appétence de Berger lui-même pour le fragment et son remploi à d’autres fins, que de donner accès à son œuvre via le rapiéçage.

Portraits est donc bien une Histoire de l’art. On y rencontre, dans une suite chronologique rigoureuse, Bellini, Rembrandt, Renoir, Rouault, Picasso, Clough, etc. Mais on y rencontre aussi, plus intimement que jamais, John Berger lui-même. Empruntant à l’étude savante – mais une étude savante qui n’exclut jamais -, à l’anecdote – on y dit « fuck » à un gardien de musée -, à la fiction, au théâtre, ces portraits forment aussi, en creux, celui d’un des immenses penseurs de notre époque. Et aussi, et surtout, à travers ces jeux de miroirs, c’est, plus fondamentalement encore, du lecteur regardant dont l’auteur dresse une forme de portrait. Comment se construit un regard? Comment aussi, sans doute, est-ce à partir de l’art, c’est-à-dire en portant un regard sur un autre regard, que peut se bâtir un sujet, dans l’autonomie de ses perceptions comme dans le sentiment de faire communauté ? Ce n’est pas l’art-objet-d’étude que nous donne à voir Berger, mais un regard, émerveillé, questionneur, qui le découvre et sait ne pouvoir le découvrir mieux qu’en en rendant compte, en le partageant avec d’autres regards. Chef-d’œuvre éditorial, chef-d’œuvre de littérature, chef-d’œuvre de la pensée, ces Portraits sont indispensables!

Le nombre de vies qui pénètrent la nôtre est incalculable.

John Berger à vol d’oiseau, Portraits, L’écarquillé, trad. Claude Albert, Claire-Lise Chevalley, Geneviève Chevallier, Véronique Dassas, Nadia Fuchs, Isis von Plato.

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