« Qui peut sauver la morale? » de François Jaquet & Hichem Naar

Parfois abreuvé à la lecture distraite des titres des livres de Nietzsche, le relativisme moral est devenu une opinion aussi courante que populaire. Depuis « la mort de Dieu » proclamée il y a plus de cent ans maintenant et revendiquée par les nietzschéens en culotte courte, nombreux en effet sont ceux pour qui quelque argument moral que ce soit ne se trouve fondé sur rien. Alors même cependant que cette opinion semble être devenue populaire, si pas généralement partagée, les questionnements, les prises de position, les querelles éthiques continuent à essaimer dans les espaces de débat* actuels. L’avortement est-il moralement acceptable? Est-il toujours injuste de restreindre la liberté de parole? L’euthanasie est-elle juste? Il peut sembler étonnant que l’on puisse aujourd’hui continuer à s’écharper sur ces questions, parfois dans le mépris complet de l’autre, alors même qu’aucun fondement soutenant solidement leurs opinions ne semble pouvoir être dégagé. Et que cette absence de fondement forme souvent une toile de fond communément partagée par les différents contradicteurs, ou qui le serait s’ils leur venaient à l’idée de se pencher ne fût-ce qu’un instant sur les fondements de leurs prises de position morale…

À côté de cette conception populaire (qu’on la nomme « sceptique » ou « relativiste ») des fondements de l’éthique, en existe une autre, philosophique, que l’on nomme « la théorie de l’erreur ». Les théoriciens de l’erreur jugent que tous les raisonnements moraux sont, par définition, faux parce qu’ils présupposent à tort l’existence de faits moraux à la fois objectifs et non naturels. Face à cet « extrême » nihiliste, que beaucoup voient comme une forme de condamnation définitive de toute possibilité de la morale, nombre de philosophes se sont penchés au chevet de la morale. Qu’elles soient expressiviste (les jugements moraux ne sont pas des croyances), subjectiviste (le jugement moral est une croyance qui ne représente pas un fait objectif), naturaliste (le jugement moral est une croyance qui représente un fait objectif naturel) ou non-naturaliste (le jugement moral est une croyance qui représente un fait objectif non-naturel mais qui existe bel et bien), toutes ces tentatives n’ont pour d’autre but que de trouver à la morale des bases qui puissent l’asseoir plus solidement. Si malheureusement aucune n’est sans faille, il apparaît aussi que cette théorie de l’erreur, elle-même faillible, n’est peut-être pas le monstre nihiliste qu’elle paraît être au premier abord.

D’un abord remarquablement didactique, non dépourvu d’humour (qui a dit que les philosophes analytiques étaient des rabats-joies?), ce livre démontre implacablement que quiconque cherche à émettre ou débattre d’un jugement moral ne peut faire l’économie de l’architecture conceptuelle (et donc aussi, par exemple, biologique) qui le sous-tend. Sous peine de tourner à vide, l’éthique ne peut se passer de métaétique. N’en déplaise aux grincheux contempteurs par principe de toute velléité analytique, la pensée spéculative a de beaux jours devant elle.

François Jaquet & Hichem Naar, Qui peut sauver la morale? Essai de métaéthique, 2019, Ithaque.

*à la réflexion, on a plutôt l’impression d’avoir affaire à des espaces polémiques, ceux propices au débat s’étriquant à mesure que les premiers prolifèrent…

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