« Renverser l’insoutenable » de Yves Citton.

La beauté de la crise est qu’elle permet à la fois d’augmenter la pression sur le présent et de le rendre tolérable au vu de la promesse (toujours reportée) de sortir du tunnel.

A notre époque où cet appel incessant à la crise, presque paradigmatique, permet d’occulter l’insoutenable, l’indéfendable, l’intenable, voire de les excuser, Yves Citton nous incite à repenser ce concept d’insoutenabilité pour mieux établir les procédures à mêmes de le renverser. Et c’est d’abord dans ces appels à la crise eux-mêmes qu’il s’agit de déceler ce qu’on ne peut soutenir, supporter ou défendre.  Car, dans ces discours percent déjà tous les aveuglements qui les fondent.  Que les privilèges dont l’Occident oublie être paré ne sont pas moins injustes que ceux qu’il est si fier d’avoir abattu dans la figure de l’Ancien Régime.  Que son opulence est inextricablement liée et dépendante de la misère qu’il organise de fait dans le Tiers-Monde.  Que ce sont les migrants repoussés qui paient le prix de notre sacro-saint bon marché.

Comment faire pression?

Comment, une fois cet insoutenable reconnu, le combattre?  Yves Citton propose pour ce faire des stratégies qu’il dépouille de leur traditionnel apparat idéologique.  Faire pression donc, mais sans attente fiévreuse du Grand Soir.  Une pression peut s’exercer sans avoir vocation à faire exploser.  La meilleure résistance à opposer à l’insoutenable (politique, écologique, éthique) est l’exercice d’une pression constante, continue, et non ponctuelle.  Elle oppose à l’angoisse du ratage (que recoupent toujours les idéologies du Grand Soir) la conjuration du sentiment d’impuissance. Elle remplace la figure du héros salvateur dominant l’évènement et le provoquant, par celle du quidam anonyme, traversé par le flux des évènements.  La pression propre à renverser l’insoutenable doit presque épouser les formes de l’habitude.

Et les actes de chacun doivent se transformer en gestes.  C’est-à-dire qu’ils doivent trouver une force, une intensité qui transmue leur individualité en mouvement macropolitique.  Cette intensité étant elle-même moins résultat d’une force moléculaire, que ce qui résulte de l’agglomérat de ces parcelles de gestes « médiatisés ».   L’intensité véritable du geste (tel Bouazizi s’immolant) est dans sa diffusion.

Se nourrissant chez Levinas, Balibar, Butler, Baudrillard (et Deleuze plus que ce qui n’en est avoué), Yves Citton nous rappelle aussi que nous avons besoin de mots et d’enchaînement de phrases pour réorienter notre monde dans des directions plus soutenables et plus émancipatrices.  Tout cela dans une urgence utile à combattre celles, factices, que d’aucuns s’échinent à nous imposer.

Apprendre à faire pression pour contrer les pressions qui menacent d’étouffer notre créativité est certainement l’urgence du moment.

Yves Citton, Renverser l’insoutenable, 2012, Le Seuil.

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