« Rodmoor » de John Cowper Powys.

L’homme est le plus parfait des animaux, car c’est lui qui peut détruire le plus. Les saint sont les plus parfaits des hommes parce qu’ils peuvent détruire l’humanité.

Adrian Sorio, de retour en Angleterre après des années passées en Amérique où il a laissé un fils, est amoureux de la jeune Nance Herrick, à qui il n’a jamais caché la fragilité de son état mental. Le hasard fait qu’alors qu’Adrian est invité à rejoindre son ami Baltazar Stork dans le village côtier de Rodmoor, Nance et sa sœur Linda, accompagnées de la meilleure amie de leur mère décédée, ont prévu de rejoindre le même endroit. Là-bas, ils vont faire connaissance avec certains des étranges habitants du lieu, le médecin, le prêtre et les notables de l’endroit, la famille Renshaw. Peu à peu la tragédie, inéluctable, se noue.

Une fois partis les envahisseurs humains, le vieux Nouveau Pont retrouva son habituelle humeur d’attente silencieuse. Il avait été témoin de maints amours et de maintes haines passionnées. Ses épaules avaient senti marcher des générations d’enfants de Rodmoor, aussi légers que des graines de chardon, et elles avaient senti le craquement du corbillard qui les avait emportés, une fois devenus lourds comme du plomb, dans les trous oblongs que l’on avait creusé pour eux dans le cimetière. Il avait senti tout cela, mais il attendait toujours, il attendait toujours avec une patiente espérance, tandis que les marées montaient et descendaient sous son arche, que les vents marins le balayaient et que, nuit après nuit, les étoiles baissaient les yeux sur lui, il attendait toujours, avec la terrifiante patience des dieux éternels et des éléments premiers, quelque chose, qui, après tout, n’arriverait peut-être jamais.

Rodmoor est bien une histoire d’amour tragique, dans le sens classique du terme. Le destin des personnages, leur sentimentalité, leurs passions, sont bien des héritages culturels du romantisme anglais classique. Mais chez Powys, ni l’acte, ni la pensée ne sont issus d’une intériorité que la médecine expliquerait ou d’une relation à l’environnement que les conventions sociales ou la foi viendraient subsumer. Chez Powys, si le tragique est bien classique, sa nature l’est beaucoup moins. Ce qui forme la racine des troubles qui enchaînent les protagonistes à leur destin, ce sont le vent, la pierre, les marées, les eaux dormantes, les nuages, la pluie, les cris d’une chouette effraie, un brouillard, le tablier d’un vieux pont, un remous dans l’air ou dans l’eau. Tout ce que nous croyons voir agir autour de nous, sans plus prendre conscience que cela nous agit aussi. S’il y a une cause aux troubles d’Adrian ou de Philippa, c’est dans l’impossibilité de concéder que la mécanique même de la causalité n’explique – ni ne peut soigner – leur extrême porosité à ce qui les entoure. Leur sensibilité aux éléments, aux lieux, à Rodmoor, est ce qui tout à la fois les rend aptes à saisir – si du moins ils l’acceptaient – la vérité de leur place dans le monde, et les condamne. Sous l’extraordinaire plume de John Cowper Powys, il n’y a plus de psychologie, ni de théologie – et pas même d’animisme, cette autre face du théologique -, il n’y a plus que, partout et en tout, des mânes. Dont nos actes et destins seraient la liturgie.

Le monde est comme cela. Nous sommes tous comme cela. Des dytiques sur un courant sombre.

John Cowper Powys, Rodmoor, Le Bruit du Temps, trad. Patrick Reumaux.

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