Splatch!

pommesComme les pommes trop longtemps chevillées à l’arbre dont elles sont le fruit pourrissent sur la branche avant de s’écraser dans un petit splatch discret sur la prairie humide, l’approche des prix littéraires annonce l’automne bien entamé.  Le splatch du prix est cependant bien moins discret.  Pour qui n’aime la pomme que cueillie directement sur l’arbre, l’écho qui résonne à nos oreilles de l’impact du fruit blette sur le sol est tellement retentissant qu’il en viendrait à modifier l’idée même que l’amateur se fait de son fruit préféré.

Le prix « consacre ».  Tel, un pavé de 1300 pages parlant toutes de la naissance de son auteur.  Car la poésie, c’est être original.  Or, original, ce livre l’est assurément, personne n’ayant avant lui jamais parlé de sa naissance pendant 1300 pages. Tel autre, un titre « populaire », car le jury ne désire pas se « couper » du public « populaire » (parce que, bien entendu, qui dit ne pas vouloir s’en couper s’en sent tellement proche, n’est-ce pas?).  Si l’ouvrage en question est animé par « une écriture cinématographique », c’est encore mieux.  Car le ciné, c’est populaire.   Et autres joyeusetés du même tonneau.  Les justifications du prix dépassant savoureusement en indigence les livres qu’ils assoient (alors que s’asseoir dessus leur sied si bien!).  A l’heure où fleurissent bandeaux, déclarations, chiffres de vente, on en oublie l’essentiel.  Qui ne réside nullement dans « qui a eu » le prix.  Mais dans l’existence même de celui-ci.  Qui, dans nos sociétés joignant si habilement médiat et commerce, ne peut techniquement être amené qu’à tomber dans l’éloge du même.  Alors même que tous les jurys proclament détacher un livre de l’ensemble, dans l’embouteillage de la concurrence qu’ils se font l’un l’autre, ils ne s’emploient tous qu’à les rendre indiscernables l’un de l’autre.  Ils élèvent moins qu’ils ne parsèment.  Jusqu’à, suprême paradoxe désormais assumé, devoir vanter les qualités « populaires » (le populaire étant entendu ici comme synonyme de « plébiscité ») d’un texte pour se justifier de l’avoir distingué?!? On en est donc là.  Au point où l’on distingue par la quantité.  Où l’on attire l’attention sur ce qui s’approche le plus d’une moyenne.  Où l’on extirpe du commun un livre qui le représente le mieux.  Et pourquoi me direz vous?  Mais car l’objet d’un prix n’est d’élever, ni de consacrer un livre quel qu’il soit, mais bien de se vendre lui-même.  Le Goncourt ne vend que le Goncourt.  Et se vendre aujourd’hui revenant à contenter le plus grand nombre, flatter la moyenne en est devenu le moyen le plus sûr.

Vous comprendrez donc qu’au livre primé, nous préférions les livres qui, de prix, n’en ont aucun.

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2 Commentaires

    • Sophie sur 16 novembre 2013 à 21 h 11 min
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    Tiens, je me demande si la même chose pourrait être dite du « Prix de l’inaperçu » (http://www.prixdelinapercu.fr/) ou encore du « Prix nocturne » (http://www.editions-attila.net/nocturne/selection.html), également des prix ayant pour but de mettre en avant des livres et de les faire connaître, voire acheter, qui sait, et ont leur public certain de lecteurs suivant parfois aveuglément la recommandation qu’ils constituent.

    Comme quoi, tout mettre dans un même panier…

    1. Ce n’est pas le propos. Bien sûr d’excellents livres ont eu des prix. Ce sur quoi j’ai voulu attirer l’attention ici, c’est que la dynamique générale qu’ils mettent en œuvre, non seulement est contraire au but qu’ils affichent chacun (sélectionner le meilleur), mais, pire, n’a que très peu à voir avec ce but. De plus (et je n’en ai pas parlé car ça élargit le débat d’autant), comment peut on soutenir que le meilleur n’est reconnu que par un consensus? Car tous sont bien évidemment démocratiquement organisés…

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