« Un monde en toc » de Rinny Gremaud.

Le mall est un extrait du monde. À sa manière, il est une utopie.

En 2014, Rinny Gremaud, journaliste lausannoise, décide de consacrer un reportage aux plus grands malls de la planète, ces lieux démesurés de 400.000 mètres carrés ou plus proposant aux représentants de la classe moyenne un espace de « détente » et de « shopping ». Moitié gigantesque centre commercial, moitié centre de loisirs, le mall, qu’il soit canadien, asiatique, arabe ou africain, présente peu ou prou les mêmes caractéristiques : un gigantisme revendiqué mâtiné de chasse au record (un tel possède le plus grand lac artificiel d’intérieur, un autre la plus grande fontaine dansante, un autre la plus grande piste de ski indoor, un autre encore est le seul à permettre en plein désert à des enfants de nager avec des pingouins pour la modique somme de 340 euros…), les mêmes enseignes commerciales internationales, le même souci de se donner une teinte exotique pour prétendre à l’originalité sans trancher trop sur l’apparence rassurante de l’identique mondialisé, les mêmes modalités d’organisation de la croyance aux mêmes vertus de l’économie (un gigantisme pensé par des bureaux de consultance censé créer un attrait venant justifier ce même gigantisme), un même modèle de « réussite économique » reposant sur l’exploitation d’une population laissée dans l’indigence, la même politesse déférente exigée des vendeurs… Jusqu’à l’histoire dont on entoure la création quasi mythifiée du mall est partagée par chacun selon les principes d’un storytelling universalisé : un ancêtre sorti de l’extrême pauvreté par la force de son labeur et de sa foi en l’ascension sociale qui, une fois devenu richissime, a désiré bâtir en dur tout à fois un témoignage, un totem et un autel à cette foi.

Les images fabriquent les images, qui fabriquent le conformisme, qui fabrique les images.

On ne compte plus les livres qui s’intéressent aux extrêmes du « capitalisme mondialisé ». Que leurs auteurs veuillent, précisément, les dénoncer comme des extrêmes, ou, plus fréquemment, qu’ils  cherchent par leur biais, à démontrer la dangereuse absurdité  du système même, ce capitalisme honni dont ils seraient la manifestation paroxystique, ces livres sont souvent assez convenus. L’intérêt est ici que Rinny Gremaud, en vraie journaliste de terrain, repart, précisément, du terrain même. Dont elle nous ramène, exprimées en une langue précise et sans afféterie, des images qui, quoi qu’on s’en défende, sont bien celles du monde dans lequel on vit et à la construction duquel on participe aussi. Avec une ironie douce et un peu désemparée dont elle ne s’exclut pas elle-même, elle nous donne à voir, certes, un monde qui crée une fadeur toujours plus écœurante sur le fumier de la misère universelle, un monde qui échappe à tout contrôle, mais aussi un monde qui échappe au contrôle de ceux qui disent l’avoir pensé. Aux effets de comique que cela suscite inévitablement, elle y adjoint une empathie qui, loin d’éventuellement disculper les uns ou d’ajouter aux larmes que l’on verse sur le sort des autres, complète utilement le panorama du monde dans lequel nous vivons tous.

Passer quelques jours à Dubaï n’a donc rien d’exceptionnel. C’est seulement faire l’expérience du monde tel qu’il est.

Rinny Gremaud, Un monde en toc, 2018, Le Seuil.

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