« Une hermine à Tchernopol » de Gregor von Rezzori

C’est une satire, monsieur, la vie se résume à des satires.

Tchernopol est une ville d’où toute poésie a disparu.  Elle n’est que ce qu’elle présente au regard.  Sans fard, sans gêne, sans honte.   

A Tchernopol, rien n’était gardé pour soi.  Rien n’était tu, ni ne pouvait être tu.  Aucune apparence trompeuse n’était permise, nulle tentative d’enjoliver la réalité tolérée, nul faux-fuyant admis, nulle supercherie passée sous silence.  Tout était livré à soi-même, sans ménagement, ne pouvant se fier et se raccrocher qu’à soi, incapable de se couper de soi sans se mettre en danger.  La tromperie, l’illusion, le bel aveuglement, tout ce qui nous aide à enrichir de nos rêves notre sombre espace de vie, tout cela était banni de la réalité crue, étalée en plein jour.  La folie n’était rien d’autre que de la folie, l’ivresse était de la saoulerie et le désespoir une fuite sans issue.

Et dans ce monde où aucun filtre n’est interposé entre le regard et le sordide, seul Tildy, hussard de l’armée austro-hongroise, campe le solide de la conviction.  Pour l’honneur d’une demi-soeur de sa femme, à peine bafoué par une subtile allusion, il s’en va provoquer en duel deux de ses supérieurs.  Ne voulant pas l’affronter, ils le font enfermer dans un asile d’aliénés, où il rencontrera un poète génial.  L’honneur et la poésie enfermés.  Car à Tchernopol, est anachronique et donc relégué au dehors, tout ceux dont on voit l’âme suer

Ce tragi-comique du hussard perdu dans un monde dont la poésie a disparu

Tildy succombera finalement à cette souillure qu’est Tchernopol.  Telle l’hermine du titre dont la légende prétend qu’elle disparaît aussitôt son blanc pelage souillé.  Comme les enfants contant cette histoire à partir de leurs souvenirs.     

Notre enfance, c’est le mythe de nous-mêmes, la légende des temps où nous, qui nous trouvions dans l’entre-deux, dérobions aux dieux la connaissance de la nature des choses.

Et la nature de Tchernopol, ce vice fait ville, est de corrompre.  Gregor von Rezzori nous conte ici que l’honneur peut être éthique, la folie poésie, la saoulerie détresse.  Et que là où sont oubliés ces fards que l’homme appose sur ce qui lui est le plus proche, ne reste plus rien pour faire barrage au sarcasme.

Là où l’on n’a plus rien à opposer à un monde régi par des conditions sarcastiques que sa propre existence devenue sarcasme.

Gregor von Rezzori, Une hermine à Tchernopol, 2011, Editions de l’Olivier.

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