« Vendredi » de Paul Colinet.

L’auteur discret n’est pas légion. La vocation d’auteur semble en effet à ce point recouper l’attrait pour la renommée que l’éventuelle discrétion supposée sera bien plus souvent une posture au service de sa notoriété qu’un trait de son génie en chambre. Et, suivant cette pente, l’œuvre de l’auteur sera par essence destinée (voire faite ou fabriquée pour) au plus grand nombre. Que pensez alors d’une œuvre – et de l’auteur qui la dirigea – qui ne fut pensée, destinée et minutieusement exécutée qu’à l’intention d’un et un seul lecteur?

Mon bras, harnaché comme une haquenée, flânait dans la partita légère des violettes. Elles buvaient, trembleuses, leur premier godet de bleu. Leur odeur sonnait matines, un peu hésitante, ainsi que, sous l’auvent d’oiseaux, le souffle du pèlerin.

À toutes les fenêtres de mon château de regards, des espèces d’anges, amoureux de leur image, approuvaient ma main écouteuse, qui épelait, de prismes en aigrettes, les lumières de son sentier.

En 1949, le poète belge Paul Colinet voyait partir pour le Congo belge son neveu et ami, l’artiste Robert Willems, et son épouse Odette. Très rapidement, il décide de maintenir le contact en leur envoyant une revue hebdomadaire manuscrite. Il réunit pour ce faire une pléiade d’artistes de sa connaissance dont il collectera les collaborations, n’hésitant pas à faire du porte-à-porte et à les relancer sans cesse pour que, chaque vendredi, cette revue à tirage unique soit bien confiée aux soins de la poste belge. René Magritte, Paul Nougé, Marcel Mariën, Louis Scutenaire, Christian Dotremont, les frères Piqueray, Pierre Alechinsky seront parmi les contributeurs les plus célèbres. À la régularité sans faille, cette revue manuscrite à l’encre bleue, entrelardée de dessins, de détournements d’articles, de jeux cruciverbistes (d’oncle Pil ou de tante Lulu), en tirage d’un exemplaire et à destination d’un lecteur, comptera cent numéros.

On ne s’étonnera pas si nous nous élevons avec la dernière violence contre un scandale qui, bien qu’il ne soit pas encore littéralement inscrit dans toutes les mémoires, ne laisse pas de présenter, d’ores et déjà, ce caractère d’une insoutenable gravité d’être un produit récent de notre imagination.

Mais si Vendredi est bien, de part ses conditions de production, un projet tout à fait unique dans l’histoire des lettres, il l’est aussi de part l’extraordinaire inventivité de ses concepteurs principaux : Paul Colinet et Marcel Piqueray. Membre actif du groupe surréaliste de Bruxelles, Paul Colinet a toujours veillé à garder la plus grande liberté dans sa pratique poétique. À l’écart des mots d’ordre politiques et des querelles doctrinales, il a pu développer une approche poétique aussi remarquable par sa radicale liberté que par son exigence. Sans lignes idéologiques ou esthétiques rigides, Paul Colinet a pu ainsi lâcher bride à la langue. Ça joue. Ça imagine. Ça crée. C’est humble. C’est drôle. C’est foncièrement généreux. C’est de la très grande poésie. L’entreprise Vendredi est bien plus qu’un superbe ovni littéraire. Elle est un pied de nez à la poésie établie et une réinvention de celle-ci par l’un de ses plus discrets et talentueux praticien.

Paul Colinet, Vendredi, Ludion.

Sans Yves di Manno, nous serions passé à côté du chef-d’œuvre. C’eût été ballot! Merci à lui.

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