je vais venir dans ton ventre et en faire une mer qui cogne contre moi venir dans toi douce comme le soleil / et être réel.
Il y a je ne sais quoi dans la poésie de Paul Blackburn qui semble participer d’une étrange ambivalence entre une inaliénable exigence et un amateurisme revendiqué. Comme si l’auteur se devait de faire montre d’une certaine gêne à exiger tant des mots.
Putain, j’ai pondu de la merde à la chaîne.
New York, les mouettes, le Baseball, les chats, le sexe, l’eau, les poètes amis, l’alcool, la fête, la maladie… Comme la mouette ne se pose sur l’eau que quand celle-ci s’agite, le poète ne pose ses mots que sur une surface mouvante, instable. Sa parole s’ente sur un désordre. Un désordre que le poète, quand il ne se charge pas de le provoquer, ne le contemple pas non plus d’un ailleurs distant. Le poète ne contemple pas, il perçoit. Et crée les conditions de sa perception. Et quand il nous revient alors avec son monde agité, dit dans ses mots, ceux-ci laissent percer ce qui l’a rendu dicible.
La vitre sale me rend mon visage.
Blackburn, finalement, ne raconte que sa vie. Universellement banale et tragiquement unique. Mais cette conjonction entre l’existence d’un quidam et le langage qu’il crée pour se dire, tour à tour cru et tendre, exigeant et dilettante, nous le rend proche comme rarement peut l’être un auteur de cette stature. Et la beauté qui s’en dégage est de celle qui, bien qu’immédiate, gagne encore et encore à être creusée.
Des floculations de cirrus suspendus
précipitent
dans le tube du ciel au-dessus de la rue,
couvrent d’un toit l’œil vieillissant dans sa flaque
enfermant ses
reflets sous une croûte de glace
Crac
Sourd, mais
l’œil regarde dehors
et des rangées de moutons aléatoires paissant au-dessus du parc
se nourrissent
de la seule herbe qu’il y a en ce matin d’hiver
/
dans l’esprit
L’œil, oui
vieillissant dans sa flaque,
mais ouvert .
OUVERT
Paul Blackburn, Villes suivi de Journaux, 2011, Corti, Trad. Stéphane Bouquet.