« Yucca Mountain » de John D’Agata.

Yucca Mountain est le nom d’une montagne située à 140 kilomètres de Las Vegas, que le gouvernement américain a choisi pour « abriter » les déchets issus de ses centrales nucléaires.  John D’Agata, professeur de littérature à l’université d’Iowa, a un rêve.

Le rêve qu’en nous attardant assez longtemps sur une chose, son sens véritable finira forcément par se révéler.

Et il s’attarde donc.  Et détaille par le menu chiffré tout le processus à l’oeuvre dans ce projet d’enfouissement.  Ce sont les milliards de dollars nécessaires pour aménager la montagne, la corruption des élus par les lobbys du nucléaire, les manuels scolaires clamant que « le nucléaire est une énergie verte ».  Ce sont aussi toutes les « libertés » prises à l’égard de la notion même de raison : le transport en provenance du pays entier des 70.000 tonnes de déchets radioactifs par des voies au trafic dense qui est jugé risque acceptable ; la constitution d’un collège d’experts chargé d’inventer une signalétique indiquant la dangerosité du site et compréhensible dans 10.000 ans alors même que la durée de toxicité des produits stockés se calcule en centaines de milliers d’années ; les exigences auxquelles doivent répondre les matériaux utilisés pour le confinement des déchets qui sont revues à la baisse car aucun ne pouvant répondre aux demandes imposées par une réalité déjà édulcorée.  On s’invente un réel.  On se force à y croire.  Dans un positivisme paresseux où la notion de probabilité occulte celle de possibilité, qu’elle est censée éclairer.  Par la simple juxtaposition des chiffres, des faits, John D’Agata interroge froidement le nucléaire.  Mais le texte glisse.  Derrière, ou plutôt dessous l’analyse froide du risque nucléaire, peu à peu se dessine une trame autre.  Le texte semble s’évader.  On y parle d’un hôtel indestructible, d’un territoire d’indiens spoliés, d’une ville de la démesure où le suicide est l’une des première cause de décès.  Edvard Abbey, Edvard Munch sont convoqués.  Une tension dramatique se fait jour.  Jusqu’à la chute.

Je ne crois pas que Yucca Mountain soit une solution ou un problème.  Ce que je crois, c’est que la montagne est ce lieu où nous sommes, le point où on en est – un lieu que nous avons étudié en long et en large, plus que n’importe quel autre endroit au monde – et qui pourtant reste inconnu, révélant l’étendue de la fragilité de ce que nous pouvons connaître.

Alors que « nous perdons parfois notre sagesse en cherchant la connaissance », John D’Agata, en creusant ses galeries dans Yucca Mountain, en ressort un tissu de sens et rénove génialement ce genre qu’est l’essai.

John D’Agata, Yucca Mountain, 2012, Zones sensibles.

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