Alexandrou, Aris – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Voies sans détour » de Aris Alexandrou. https://www.librairie-ptyx.be/voies-sans-detour-de-aris-alexandrou/ https://www.librairie-ptyx.be/voies-sans-detour-de-aris-alexandrou/#respond Tue, 27 May 2014 08:19:27 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4180

Lire la suite]]> Voies sans détourEt pourtant, je ne me suis pas suicidé

Avez-vous jamais vu un sapin se rendre lui même à la scierie

Notre place est ici en cette forêt

aux branches coupées aux troncs à moitié calcinés

aux racines coincées parmi les pierres.

La vie d’Aris Alexandrou est toute entière vouée à l’indépendance.  Longtemps détenu au cours d’une vie qui ne l’a jamais vu embrasser aucun -isme, il a traversé l’histoire troublée de la Grèce sans jamais se plier aux diktats d’aucun camp.  Emprisonné, il l’était doublement, jusqu’au sein même de la prison, où son refus d’adhérer à tout mouvement le laissait seul.  Double isolement qu’il meubla de sa poésie.

Nous sommes responsables des matériaux de nos défaillances.

nous sommes responsables de notre obstination

à pétrir encore de nos pieds nus

la cendre et le sang.

Cette situation, cet écart où les autres le laissaient aurait pu le confiner à une poésie ressassement d’une défaite ou à une autre éthérée, déconnectée de toute action.  Mais sa liberté radicale, son scepticisme, ne seront jamais dilettantes.  A l’exact inverse, toute tendue vers l’action, son indépendance, dont sa poésie n’est qu’un des pans, est un cheminement dans les choix.  C’est au filtre de sa conscience, de sa connaissance de soi, qu’il épouse non des doctrines, mais des actes.  Radicalement indépendante tout en se reconnaissant héritière d’une tradition, sa poésie est une des plus belles expressions de responsabilité et de liberté.

 que tu le veuilles ou non, il te faut acquérir ton propre espace.

Aris Alexandrou, Voies sans détour, 2014, Ypsilon, trad. Pascal Neveu.

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« La caisse » de Aris Alexandrou. https://www.librairie-ptyx.be/la-caisse-de-aris-alexandrou/ https://www.librairie-ptyx.be/la-caisse-de-aris-alexandrou/#comments Tue, 25 Mar 2014 07:40:21 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3999

Lire la suite]]> arisDans le cas qui nous intéresse, il y a beaucoup plus important que le style.

Nous sommes en Grèce, en 1949.  La guerre civile s’achève.  Le narrateur est enfermé dans sa cellule.  Chaque jour, un gardien rentre dans celle-ci et y dépose, en même temps que du pain et de l’eau, des feuillets et de l’encre.  Et en repart avec les feuillets que le narrateur aura rempli la veille.  La caisse est la retranscription fidèle du contenu de ces feuillets.

L’essentiel est de relater les faits dans l’ordre.

Nous lisons donc la déposition du narrateur des faits qui l’ont amené dans sa cellule.  On y apprend ainsi qu’il fut chargé avec une trentaine d’autres, après une courte formation, de convoyer jusqu’à la ville de K une caisse dont on sait juste que son contenu (ou elle-même) est sensée être déterminante pour l’issue de la guerre.  Le narrateur est le seul survivant de ce « commando-suicide ».

J’avais décidé au départ que ma déposition serait sans ratures, puisque chaque rature serait synonyme de doute.

Mais la déposition du survivant, sensée rendre compte au plus près des événements de la mission, dans sa quête d’objectivité (feinte ou réelle), s’empêtre dans l’impossibilité d’y atteindre (le raisonnement, c’est comme une perceuse, il avance en tournant).  Chaque fois, le narrateur (qui ne sait lui-même s’il est simple accusé ou déjà condamné) se doit de revenir sur ce qu’il a déjà écrit pour le préciser ou l’amender.  Son récit se contaminant peu à peu des souvenirs plus personnels du narrateur.  Ce que dit la caisse, c’est l’impossibilité du témoignage.

Et puisque vous vous obsinez à ne pas me répondre, j’ai songé, pour passer le temps en attendant (car je continue à attendre), j’ai songé à combler certaines lacunes qui subsistent dans le récit que j’ai déjà fait des événements, et pourtant, je sais très bien que tout ce que je pourrai ajouter ne sera jamais qu’un abrégé du texte définitif.

Et lentement, au-delà de cette impossibilité à dire que ressent le narrateur, le doute s’étend non pas même à qui s’adresse cette déposition, mais si elle s’adresse à quelqu’un.

J’ai déjà fait une longue déposition, j’ai cité des faits précis, des noms, des dates, je suis revenu sur de détails pour éclaircir des points qui pouvaient prêter à confusion, j’ai avoué que dans certains cas il m’est arrivé de ne pas dire toute la vérité et vous, vous ne trouvez rien de mieux que de vous taire, vous ne semblez pas vouloir  jouer votre rôle, vous ne semblez pas vouloir me questionner, vous me laissez deviner ce qui peut vous intéresser – or, est-ce que je suis devin?

Incertitude à pouvoir exprimer le passé qui s’étend à la réalité du passé lui-même, d’où l’espoir d’avoir un jour été aimé est lui-même mis à mal par la folie guerrière, incertitude du dire-vrai, ce que parvient à toucher sublimement du doigt Aris Alexandrou, entre Kafka et Beckett, par delà le contexte politique aliénant, c’est l’angoisse d’être.  Où seules des règles, qu’on sait (vertige intranquille) n’être là que pour cela, nous maintiennent douloureusement à flot.

J’ai décidé de respecter jusqu’au bout les règles du jeu, même si je suis seul à jouer et à établir ces règles.

Aris Alexandrou, La caisse, 2014, Cambourakis, trad. Colette Lust.

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