Barthes, Roland – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 Du bon sens… https://www.librairie-ptyx.be/du-bon-sens/ https://www.librairie-ptyx.be/du-bon-sens/#respond Thu, 08 May 2014 08:22:16 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4139

Lire la suite]]> filigranes 1Un slogan de campagne, si du moins on n’écoutait que les responsables des partis dont il découle, est sensé résumer, par une formule, un programme.  Mais au-delà de son objectif de raccourci sémantique, il est surtout devenu effet d’appel.  Et comme tout groupe politique vise, dans notre système démocratique, à appeler le plus grand nombre, le slogan se doit d’attirer à lui la multitude.  D’où, vous l’aurez peut-être remarqué, la reprise de plus en plus étendue d’expressions éculées par des partis aux programmes sensés diamétralement opposés.  Le slogan, se devant d’attirer le plus grand nombre, a tout intérêt à épouser au mieux le moyen terme, celui-ci dût-il au final être partagé par tous.

C’est pourtant avec le désir de se démarquer de la concurrence, on l’imagine, que furent choisis pour exprimer le programme MR, celui de Melchior Wathelet (CDH), ou celui du PP, des slogans en appelant tous au « bon sens ».  Simplement « Le bon sens » chez l’un, « C’est l’heure du bon sens » chez les bleus ou « Retour au bon sens » dans le camp de la droite de la droite de droite de la droite (restons pudiques).  Les différences à la marge de ces slogans de campagne n’en doivent masquer ni l’aspect généalogique questionnant (PP,MR,CDH mais aussi Poujade ou encore Jean-Marie De Decker y recourent tous dans une belle unanimité) ni l’essence à laquelle ils renvoient : le recours à la notion d’évidence.  Du style : « je vais vous parler de l’évidence, de ce qui ressort de la raison.  Je ne vais pas vous ennuyer avec des circonvolutions accessoires.  J’en appelle, comme vous, à ce qui est directement évident. »  On suppose également que leurs références (très partagées comme l’on voit) se sont bornées à quelques clics wikipedia évoquant Descartes ou Balzac.  Mais ils n’ont certainement pas été jusqu’à se poser la question de savoir si quelqu’un avait déjà travaillé sur la reprise de cette notion en politique.

ce réel [petit-bourgeois], le plus étroit qu’aucune société ait pu définir, a tout de même sa philosophie : c’est le « bon sens ». 

Ceci se trouve chez Barthes, dans l’article des Mythologies « Quelques paroles de monsieur Poujade« .  Où l’on trouve une analyse brève mais acérée non de ce qu’est le bon sens, mais de ce que suppose en appeler à celui-ci.  C’est-à-dire de facto s’en prétendre le garant, suggérer qu’on le possède en propre, à la manière d’un appendice physique glorieux, d’un organe particulier de perception.  Qui de plus, puisque se présentant comme épousant tout le programme qui s’articule selon lui, ne laisse de place à rien d’autre, exclut tout autre possible.  L’appel au bon sens est foncièrement totalitaire.  Et implique, sous l’évidence de son discours tautologique, le refus de l’altérité, la négation du différent, le bonheur de l’identité et l’exaltation du semblable.

[Le bon sens] bouche toutes les issues dialectiques, définit un monde homogène, où l’on est chez soi, à l’abri des troubles et des fuites du « rêve » (entendez d’une vision non comptable des choses).

Oui, définitivement, le bon sens…  Voilà qui les définit admirablement…

]]> https://www.librairie-ptyx.be/du-bon-sens/feed/ 0
Telenet vs « Mythologies » de Roland Barthes https://www.librairie-ptyx.be/telenet-vs-mythologies-de-roland-barthes/ https://www.librairie-ptyx.be/telenet-vs-mythologies-de-roland-barthes/#comments Fri, 13 Apr 2012 15:18:17 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=533

Lire la suite]]> Hier, on a vu ça.  Loin de nous l’idée de se lancer dans une exégèse publicitaire exhaustive.  Mais un fait nous a sauté aux yeux.  Par delà l’apologie d’un certain type de spectacle que cette publicité se propose de vendre (une fille en lingerie sur une moto, des coups de feu, une bagarre, etc…), par delà les liens qui peuvent être tissés entre ce spectacle à acheter et des évènements récents (qui viennent questionner la notion même de décence) , par delà même tout cela donc, ceci : un raffinement pervers.

Dans une ville où il ne se passe rien (sous-entendez l’ensemble des chaînes concurrentes), il suffit au passant (le téléspectateur) de pousser sur un bouton (celui correspondant sur la télécommande à la chaîne vantée) pour accéder au vrai spectacle, celui dont Telenet affirme détenir la connaissance (We know drama).  Dans cette mise en abîmes, tout le scénario repose précisément sur le comportement du téléspectateur, qui y est décortiqué, pas à pas.  Un panneau (une publicité) tente l’instinct.  Le spectateur, grégaire, dressé à obéir, respecte l’injonction qui lui est faite.  Ne lui reste plus alors qu’à se laisser subjuguer, à exprimer des ersatzs d’émotions qu’il croit siennes alors qu’elles sont programmées.  Bref, appuie sur le bouton comme je te le demande et laisse toi faire.  Mieux même, appuie tous les jours sur le bouton.  Car cette apathie qui est déjà contenue dans ce seul geste d’appuyer, tu peux la vivre chaque jour.  On te promet ta dose quotidienne (your daily dose of drama).

La publicité est ici à nu.  Elle est décomplexée.  Elle a assumé son Debord.  Elle n’a plus peur de se scénariser elle-même, de mettre en scène son vrai rapport au sacro-saint client.  Spectateur, tu es un être grégaire qui fait ce que je te dis de faire.  Tu es un con doublé d’un junkie que j’abreuve.  Je ne m’en cache plus.  Je te le dis ouvertement.  Mieux même, je te rends encore plus con, car je fait du fait de te le dire un argument supplémentaire de te le vendre.  Je te fais rire non pas de toi mais de ce que je fais de toi.   Non content de t’aliéner, je me délecte de te le dire.  Suprême perversité, je t’asservis encore un peu plus dans le rire que suscite en toi la mise en scène de ton propre asservissement. 

On n’est pas certain que Roland Barthes, lors de l’écriture des « Mythologies », ait imaginé que la publicité puisse atteindre un jour ce degré de raffinement.  Sa lecture n’en paraît pas moins de nos jours essentielle.  On y apprend ce qu’est le catch, le bon-sens, le tour de France.  Ou plutôt ce qu’ils signifient.  On y apprend donc à déconstruire ces signes innombrables qui nous entourent et nous enjôlent.  On y apprend à lire ces signes, et donc à leur remettre une bride, avant qu’eux mêmes ne nous la passent au cou.  Alors, oui, on peut rire d’être pris pour un con.  On peut choisir aussi de l’être un peu moins.  

Roland Barthes, Mythologies, 1957 (2010)*, Le Seuil.

*La version 2010 reprend en vis-à-vis des textes de Barthes les images l’ayant inspiré à l’époque.  Si vous ne devez posséder qu’un seul « beau-livre » dans votre bibliothèque, ce doit sans doute être celui-là.

]]> https://www.librairie-ptyx.be/telenet-vs-mythologies-de-roland-barthes/feed/ 1