de Angulo, Jaime – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Le Lasso & autres écrits » de Jaime de Angulo. https://www.librairie-ptyx.be/le-lasso-autres-ecrits-de-jaime-de-angulo/ https://www.librairie-ptyx.be/le-lasso-autres-ecrits-de-jaime-de-angulo/#respond Fri, 28 Sep 2018 07:10:10 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7854

Lire la suite]]>  

Malheureusement, l’homme à qui il est étranger se trouve nécessairement contraint d’expliquer par les termes de sa propre pensée un phénomène qu’il observe chez autrui mais n’éprouve pas lui-même, un phénomène essentiellement subjectif qui plus est, mais qu’il s’efforce d’appréhender par des moyens strictement objectifs. Je pense que c’est là une piètre philosophie, d’une scientificité douteuse.

Vouloir saisir quelque chose duquel la perception nous serait refusée nécessite d’autres moyens que ceux auxquels l’intellect nous donne accès. Appréhender uniquement via des schèmes conceptuels des « comportements », des « rites », des « sensations » qui seraient « produits » au sein d’un environnement qui ne possède pas même une lointaine idée de la notion de « concept » ne permet en aucun cas de s’en approcher. Certes on intellectualise quelque chose, mais ce quelque chose a plus à voir avec les a priori qu’on s’était forgé sur la chose qu’avec la chose en elle-même. Ainsi le système de « jeu » de l’indien Pit River échappera-t-il toujours à un observateur extérieur s’il est envisagé selon les caractéristiques qu’il accole à sa propre catégorie « jeu ». Le « jeu » du Pit River est bien un « jeu » mais un « jeu » qui n’est pas saisissable sans modifier en profondeur les bases mêmes de la catégorie « jeu » de l’observateur. Et c’est cela que ce dernier se doit d’admettre pour atteindre à ce qui est radicalement autre que lui : ce qu’il cherche à saisir ne fait pas que dépendre de ses propres paradigmes, il les défait. Et c’est seulement au prix de ce démontage que l’autre peut être approché.

Alors que les premiers textes rassemblés dans ce recueil constituent une sorte de note d’intention – aussi intéressante que fascinante – mêlant récit, littérature et anthropologie, c’est avec Le Lasso, le texte le plus conséquent, que Jaime de Angulo construit un véritable monument à ses méthodes.

Bats-toi, bats-toi, Fray Luis! Les monstres tirent, tirent, t’emportent… Ah! C’est inutile, Fray Luis. Tu leur as donné ton âme. Tu tomberas.

En contant les heurs et malheurs de Fray Luis, un frère venu conquérir des âmes à son dieu dans un territoire indien reculé, Jaime de Angulo fait se rencontrer dans son récit des modes de penser et d’agir radicalement étrangers l’un à l’autre. Littéralement se « rencontrer ». Car il est parvenu à trouver ce très fragile équilibre qui permet la rencontre et non le placage d’une réalité sur une autre. Ainsi l’histoire de Fray Luis – mais est-ce même seulement l’histoire de Fray Luis? – nous est-elle contée par le regard de son acolyte Fray Bernardo, de celui d’une jeune membre de la tribu des Esselen, de Ruiz, du cousin de celui-ci, mais aussi par le biais d’une souris, d’un scarabée, d’un geai bleu, du vent de la nuit, et de bien d’autres. Et, aux antipodes d’un « couleur locale » à moindres frais, l’auteur fait bien plus encore que simplement confier le récit à des narrateurs inattendus. Car ce sont également les modèles narratifs, et les barrières anthropologiques ou épistémiques qui les refermaient l’un sur l’autre, qui sont ici bouleversés. Entremêlant logique occidentale et sentir amérindien dans le corps même du processus d’écriture, plutôt que de tenter artificiellement de rendre compte de l’un avec les filtres de l’autre, il réussit comme jamais avant lui à faire se compénétrer deux mondes. Et la grâce qui en sourd n’a pas de prix!

ce qui était vrai ici ne l’était pas ailleurs.

Jaime de Angulo, Le Lasso & autres écrits, 2018, Héros Limite, trad. Martin Richet.

]]> https://www.librairie-ptyx.be/le-lasso-autres-ecrits-de-jaime-de-angulo/feed/ 0
« Indiens en bleu de travail » de Jaime de Angulo. https://www.librairie-ptyx.be/indiens-en-bleu-de-travail-de-jaime-de-angulo/ https://www.librairie-ptyx.be/indiens-en-bleu-de-travail-de-jaime-de-angulo/#respond Fri, 14 Nov 2014 09:05:11 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4618

Lire la suite]]> Indiens en bleu de travail.Doc, nom de Jaime de Angulo chez les indiens, revient chez ceux-ci dans le but d’apprendre leur langue, le Pit River.  Très vite (et cela se confirmera lors des trois autres étés qu’il les côtoiera), cet idiome lui paraît bien plus complexe que la société au sein de laquelle il est employé.  Ou que l’image qu’il s’en donne de prime abord.

J’errais parmi les armoises.  Je pensais à cette langue de Pit River.  Je voyais déjà que ce serait très difficile, que c’était une langue très complexe, d’une structure complexe.  Et pourtant les indiens de Pit River étaient dits l’une des tribus les plus primitives, culturellement au niveau de l’Age de Pierre.  J’en restais songeur… Pourrait-il n’y avoir aucun rapport entre langage et culture?

Le langage est la trace de la différence entre deux conceptions du monde.

Les deux mots se ressemblent, n’est-ce-pas, astsuy et astsuy.  L’un signifie <maison> et l’autre <hiver> mais les blancs ne voient jamais la différence.

L’évidence de l’un se heurte à celle de l’autre.  Sans comprendre où se loge cette différence (ici, dans le ton), elle paraît irréductible et consacrer, dans le langage même, un écart qui ne pourra être comblé entre les deux « civilisations ».

Je n’ai que des mots.

Loin d’acter ce constat en s’y arrêtant, ou, défait, de se recentrer sur la seule étude linguistique dépouillée de ces oripeaux sociétaux, Jaime d’Angulo s’y enfonce plus encore.  Et grâce à lui et sa narration faisant fi des clivages épistémologiques, on aborde une culture (ici celle de Pit River, comme il eût pu s’agir d’une autre) par le propre cheminement de qui la découvre.  Et ainsi, cet ailleurs qu’il nous fait découvrir, garde tout son goût d’ailleurs.  Sans revêtir celui d’une étude reposant sur un calque posé par la civilisation qui étudie sur celle qui est étudiée.

La saveur de l’autre, dans ce qu’il a de plus différent se révèle à nous dans toute la fraîcheur de son apparition.  Où la chance peut devenir critère moral ou la paresse une vertu.  Où, si l’on n’a pas un quelque part où aller, il est possible de ne pas aller du tout.

Et si nous n’allions pas quelque part, nous n’allions pas, et voilà tout.

Et dire que suffit juste, pour que le lecteur puisse recevoir cette sensation radicale et vivifiante d’un écart, que Jaime d’Angulo ne soit pas quelqu’un « comme il faut ».

Les anthropologues comme il faut ne côtoient pas les ivrognes qui roulent dans les fossés avec les shamanes.

Jaime de Angulo, Indiens en bleu de travail, 2014, éditions Héros-Limite, trad. Martin Richet.

]]> https://www.librairie-ptyx.be/indiens-en-bleu-de-travail-de-jaime-de-angulo/feed/ 0