Demarty, Pierre – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Le petit garçon sur la plage » de Pierre Demarty. https://www.librairie-ptyx.be/le-petit-garcon-sur-la-plage-de-pierre-demarty/ https://www.librairie-ptyx.be/le-petit-garcon-sur-la-plage-de-pierre-demarty/#respond Fri, 25 Aug 2017 07:29:44 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7069

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Alors que sa femme et ses deux jeunes enfants l’ont devancé sur le chemin des vacances, un père (dont on ne saura pas le nom) se rend au cinéma. Dans le film qu’il a choisi (dont l’auteur ne nous donnera jamais le nom), une scène le happe littéralement : un petit garçon sur une plage, hurlant après ses parents disparus en mer. Bouleversé, il prend la voiture dès la nuit suivante pour rejoindre sa famille. Quelques temps après, une image, d’actualité celle-là, montrant une autre plage sur laquelle gît un autre petit garçon (dont le nom sera également tu), ravive en lui la première expérience.

Il y a donc deux images. Une, dynamique, de fiction, montrant un tout jeune enfant sur une plage, encore incapable de marcher, hurlant. Et il y en a une seconde, statique, arrachée au réel, celle d’un enfant un peu plus âgé, sur une plage aussi, mort. Et entre les deux, il y a ce père. Il y a surtout le regard de ce père.

Si l’image se mettait à bouger, à s’animer, la mer à aller et venir sur le sable, avec le bruit que fait la mer, et le vent à souffler, avec le bruit que fait le vent, emportant peut-être le sac en plastique bleu ciel qui s’envolerait et disparaîtrait peut-être hors du cadre de l’image, dans le ciel (mais dans cette image il n’y a pas de ciel), peut-être alors on verrait, à peine, la tête soulevée puis reposée encore et encore, et encore, comme bercée lentement, plusieurs fois, régulièrement, par le mouvement très doux des vagues, mais même alors, même si tout le reste, tout autour de ce petit corps de petit garçon, se mettait même lentement à bouger, rien d’autre, rien de corps lui-même ne bougerait, et on verrait alors, on verrait bien, on comprendrait tout de suite, qu’il n’y a que la mer qui bouge. Que le petit corps du petit garçon couché sur le sable et sur l’eau et dans l’eau, lui, est bougé mais ne bouge pas.

En tentant d’épuiser par la parole ces images, dont l’une au moins aura été vue, revue et revue encore, et en nous contant la réaction d’un père confronté à celles-ci, Pierre Demarty ne s’entête pas à revenir frontalement sur des faits en tant que tels, ou les controverses qu’ils ont suscités. Son récit ne s’ancre ni dans les faits dont on a « tiré » les images, ni dans les actes et polémiques qui les ont suivies. C’est le regard qui l’intéresse.

Des images on ne ressort pas, ni ceux qui les habitent, ni ceux qui les regardent.

Le petit garçon sur la plage nous conte le récit d’un regard qu’ouvre la fiction, le prépare à recevoir le réel, puis y revient pour pouvoir y vivre. Le petit garçon sur la plage, sans nous l’expliquer doctement, nous donne à lire notre propre regard. Aux antipodes du cynisme obscène ou du sentimentalisme béat, Pierre Demarty nous démontre qu’il est possible – nécessaire même – d’émouvoir, de bouleverser. A la fois regard sur la fiction et fiction sur le regard, Le petit garçon sur la plage nous invite à revenir là où tout commence…

C’est l’histoire d’une dévoration. Une histoire de corps, ce qu’on fait d’eux, ce qu’ils font de nous, comment ils s’incarnent et se désincarnent, et qui commence par un œil.

Pierre Demarty, Le petit garçon sur la plage, 2017, Verdier. 

Les sons ci-dessus ont été produits et captés par l’excellent Alain Cabaux sur Radio Campus (92.1)

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« En face » de Pierre Demarty. https://www.librairie-ptyx.be/en-face-de-pierre-demarty/ https://www.librairie-ptyx.be/en-face-de-pierre-demarty/#respond Fri, 24 Oct 2014 08:03:16 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4657

Lire la suite]]> En faceQu’on peut vivre ainsi très facilement, sans presque se soucier d’exister.

Jean Nochez, marié, père de deux enfants, philatéliste, parfait indice du moyen terme de l’humanité, incarnation de la normalité faite homme dans tout ce qu’elle représente de plus insipide banalité, Jean Nochez décide un jour (mais y a t’il seulement quelque chose chez lui qui ressorte de la décision?) de quitter domicile, femme et enfants, de traverser la rue et de louer l’appartement en face.

Jean Nochez, fantassin admirable de la division des nombres qui parmi nous se dirige à pas certains, incalculable et inhéroïque, vers le terme du combat sans songer un seul instant à en dévier l’issue, Jean Nochez, suprême et paradoxale incarnation de ce que l’humanité peut avoir de plus désincarné, Jean Nochez, huître, moule, mollusque, particule, en un mot très exactement individu, n’avait pas la moindre raison de se concevoir capable d’un geste si singulier.

Pas de côté, ou plutôt pas vers l’autre côté d’une vie faite de rien (C’est beaucoup déjà, ce trois fois rien.), tissée d’habitude, nourrie à grands coups de journaux télévisés, de gratins ou de quiches, le geste de Jean Nochez paraît LA transgression par excellence.

Par cet infinitésimal pas de côté, ce très léger glissement dans la marge […] il s’apprête à accomplir le geste le plus scandaleux qui soit : tourner tranquillement le dos au monde, à sa vie, pauvre vie, vieille maîtresse acariâtre et possessive, bien fait pour elle.  Et ce sans motif, sans mobile, ni la moindre finalité.

Racontée par l’un de ses collègues du zinc des Indociles heureux qu’il apprendra à fréquenter assidument, l’aventure (car aventure il y a) de Jean Nochez a ceci d’extraordinaire qu’elle nous enseigne qu’un rien suffit à bouleverser l’édifice d’une vie.  Dans cet océan d’ennui qu’offre le spectacle de nos existences, le fantastique tient à un minuscule écart.

Car on peut aller très loin sans aller nulle part.

D’une drôlerie féroce parsemée de références (certes pas toujours utiles), brillamment rythmé, « En face » parvient à subtilement nous offrir en miroir l’image de ce néant quotidien, un peu pompeusement nommé vie, dans lequel nous sommes moins plongés qu’englués, et que ne semble parfois traverser, mais si scrupuleusement, que le temps.

C’est un récit plein de silence et de rumeur, et moi l’idiot qui le raconte, et vous qui en cherchez le sens.

Pierre Demarty, En face, 2014, Flammarion.

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