Duvanel, Adelheid – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Anna & moi » de Adelheid Duvanel. https://www.librairie-ptyx.be/anna-moi-de-adelheid-duvanel/ https://www.librairie-ptyx.be/anna-moi-de-adelheid-duvanel/#respond Tue, 21 Aug 2018 09:01:17 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7745

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Après Délai de grâce, premier recueil traduit en français de l’auteure suisse disparue en 1996, nous continuons la découverte de cette oeuvre majeure. Publié en 1985 chez l’éditeur munichois Luchterhand Literaturverlag, Anna und ich explorait déjà avec une inventivité radicale la forme courte. Souvent un peu plus longs que ceux du recueil précédent, les petites proses d’Anna & moi présentaient déjà peu ou prou les ingrédients qui allaient asseoir l’auteure bâloise parmi les noms essentiels de la forme courte : extrême précision de la formule, des personnages « différents », une émotion toute en réserve, une apparente simplicité qui dissimule un travail de polissage forcené…

Mes désirs ou mes appréhensions, par exemple, se dissimulent en un rien de temps dans les objets et les animent.

L’ami d’un poète, saoul, qui passe à travers une vitre. Une nourrice dont l’époux déteste l’enfant qu’on lui a confié et qu’elle aime. Une mère qui rêve toujours d’un avenir radieux pour son fils alcoolique. Les êtres qu’Adelheid Duvanel parvient à saisir en quelques traits sont certes « étranges », « affaiblis », « inaptes », mais, quel que soit le vocable sous lequel on cherche à nommer leur différence, leur histoire éveille inévitablement en nous la sensation d’un connu commun. Comme si, par la magie de sa prose, elle parvenait à rejoindre au fin fond de l’expression la plus précise des êtres les plus « en marge » cette infime mais si belle essence que nous partageons tous. Comme si ces monades, ces petites histoires suspendues au bord d’un abîme, fonctionnaient comme de redoutables machines à créer de l’empathie.

Troublé comme quelqu’un qui a vu de ses propres yeux une fleur boire l’eau d’un verre en quelque secondes, il se leva et quitta la femme pour prendre le bateau et retourner sur son île. Là, il dit à son perroquet : « J’ai fait un détour ». 

Ni conte, ni fable, ni roman, ni nouvelles, ces miniatures ne ressemblent à rien de connu. Mais c’est dans ce rien que tout se joue…

Mais il se passe à présent quelque chose d’inattendu : des phrases qui affluent se soulèvent des mots qui, deux par deux, s’élancent vers le ciel où ils s’immobilisent sous formes de lettres de feu.

Adelheid Duvanel, Anna & moi, 2018, Vies Parallèles, trad. Catherine Fagnot.

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Cadeau. https://www.librairie-ptyx.be/cadeau/ https://www.librairie-ptyx.be/cadeau/#comments Fri, 29 Jun 2018 07:10:34 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7698

Lire la suite]]> Depuis 6 ans maintenant, nous vous tenons informés via ce blog des essais, des romans ou des recueils de poésie qui se dégagent naturellement de la production éditoriale actuelle. Sans consensualisme (on l’espère) ni élitisme (on l’espère aussi, même si on sait très bien que là, on ne fera pas l’unanimité…), notre objectif n’y est autre que de vous avertir de ce qui s’édite de mieux de nos jours. Parfois aussi, rarement, nous profitâmes de la notoriété inattendue de cet outil pour donner libre cours  à l’une ou l’autre de nos indignations. Ce qui ne fut pas sans résultat. Aujourd’hui, ce blog fut visité plus d’un million de fois. Ce qui fait un sacré paquet… On ne sait s’il faut nous en réjouir (ça veut peut-être dire qu’on est pas inutile) ou s’en inquiéter (si c’est utile de nous lire, ça veut aussi peut-être dire que c’est parce que ce qu’on écrit n’est plus lisible ailleurs). Le temps est venu de prendre un peu de repos (sur le blog hein, la librairie, elle, reste bien entendu ouverte comme d’habitude). Ce sera l’occasion pour nous de se concentrer sur d’autres tâches : conseiller des clients en restant attentif au tour de France et à la coupe du monde de Football, remplir des dossiers de demandes d’aides à l’édition et/ou à la traduction, traduire de la poésie néerlandaise, tenter de comprendre comment un gars qui dit qu’il est « de gauche » en arrive à commander ses livres sur Amazon et/ou à circuler en Uber, traduire de la prose américaine, replonger dans le mécanisme passionnant d’attribution des aides à l’édition de la Fédération Wallonie Bruxelles, lire des services de presse de la rentrée littéraire, ricaner en lisant des services de presse de la rentrée littéraire, s’extasier en lisant des services de presse de la rentrée littéraire, faire des livres, lire et relire tout Aristote, maintenir la forme pour le Tuscany Trail et la Frend Divide de l’année prochaine, contempler les engins de chantier qui vont bloquer la rue pendant six mois… Bref, le blog (et le blog seul hein, la librairie, on le répète, reste bien ouverte comme d’habitude) ferme pour un mois.

Mais comme on est gentil et qu’on désirait vraiment vous remercier d’une fidélité à laquelle on ne s’attendait pas (et qu’on n’est pas sûr de mériter), on vous donne à lire ici un inédit absolument splendide d’Adelheid Duvanel dont le prochain recueil, Anna & moi, sort ce 21 août 2018, chez Vies Parallèles bien sûr, traduit par Catherine Fagnot bien sûr! Qui, comme toute l’oeuvre de l’immense suissesse, est à lire un minimum de deux fois…

 

Sansmoi

            Le jeune homme essaie de prendre pied dans la nouvelle ville. Au café, il dit souvent : « Sans moi » quand ses collègues conviennent de quelque chose. On l’appelle bientôt Sansmoi ; on oublie son véritable nom. Après chaque phrase qu’il prononce, Sansmoi est pris de crainte et d’effroi : il est persuadé qu’il ne pourra plus dire une phrase de sa vie. Parler le fatigue : il doit reconstituer son âme image par image. Mais ses images sont vagues, confuses. L’arbre dénudé danse dans le vent froid. Sansmoi est debout devant la baie vitrée, le coude levé, le verre de bière à la main. Dans la rue, la lampe qui se balance à un fil soudain s’allume : il est cinq heures et quart. Une demi-heure plus tard, il fait nuit et le tramway fait entendre sa cloche. « C’est oppressant, tout ce que tout le monde attend de moi », dit Sonja au fond de la pièce en tirant violemment sur sa manche. Sansmoi veut qu’elle soit maternelle avec lui : par mère, il entend une femme aux pieds enflés qui porte de petites pantoufles. Il essaie de faire savoir à Sonja qu’il est presque aveugle et presque sourd, mais elle n’en croit rien. Bien qu’il ait loué un grand appartement, Sonja n’est pas autorisée à vivre chez lui. Elle s’occupe de son ménage et couche à l’occasion avec lui, mais il ne permet pas qu’elle passe la nuit là. Sonja demanda un jour dans quoi il travaillait : « Piscine », répondit-il. Elle s’imagina qu’il était maître-nageur, un de ces hommes qui font les cent pas le long du bassin en surveillant les nageurs, pour sauter illico dans l’eau et sauver quelqu’un qui serait en train de se noyer. Mais Sansmoi ne fait pas partie des sauveteurs : il construit des piscines. Quand elle s’aperçut de son erreur, Sonja fut déçue. On entend un craquement dans le mur. Sansmoi est toujours immobile à la fenêtre. Sonja, qui n’a pas le droit d’allumer la lumière, vacille soudain et heurte violemment du bras la porte de l’armoire, qui s’ouvre. En fait, Sonja voudrait dire : « Je suis enceinte », mais elle remet sans cesse cela à plus tard. Elle craint que son ami ne lui dise : « Sans moi. »

 

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« Délai de grâce » de Adelheid Duvanel https://www.librairie-ptyx.be/delai-de-grace-de-adelheid-duvanel/ https://www.librairie-ptyx.be/delai-de-grace-de-adelheid-duvanel/#respond Fri, 09 Mar 2018 08:48:48 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7314

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Née à Bâle en 1936, Adelheid Duvanel eut une vie marquée par les épreuves. Très tôt diagnostiquée schizophrène, internée, traitée à l’insuline et aux électrochocs, elle dut encore affronter la toxicomanie de sa seule fille, puis le décès de celle-ci dans les années 80. En 1996, par une nuit de juillet exceptionnellement froide, elle est trouvée en état d’hypothermie par un cavalier dans une forêt non loin de Bâle. Elle avait absorbé une grande quantité de somnifères. Elle mourra le 11 juillet.

Toute petite déjà, Adelheid Duvanel écrivait de très courts textes, assortis de dessins, qu’elle lisait à ses frères et sœurs. Malgré la douloureuse tragédie que fut sa vie, elle n’eut de cesse d’explorer et d’explorer encore la forme courte. Jusqu’à lui créer un écrin radicalement neuf. Peu lue de son vivant, son oeuvre fait aujourd’hui l’objet d’une véritable redécouverte.

C’est étonnant comme un mouvement de paupières efface le monde entier.

Chacune des très courtes proses qui composent Délai de grâce met en scène un personnage « différent ». Une enfant attardée lors de la rentrée des classes. Une jeune femme dont les parents ont obtenu la garde de sa fille. Un vieil homme dans un hospice. Un SDF. Tous sont ce que l’on pourrait nommer des êtres dérangés, radicalement autres, des « inaptes à la vie » dont le seul maintien dans le monde qui les entoure tient du défi permanent ou du miracle.

Grolo voulait acheter des cartouches pour son stylo à encre, mais le mot « cartouche » ne lui revenait pas à l’esprit, aussi écrivait-il au stylo à bille.

En une page, une page et demi, rarement plus, Adelheid Duvanel parvient à nous enserrer dans ces vies bancales et à nous les rendre proches. Et, en nous permettant de percevoir l’équilibre fragile qui les rend malgré tout possibles, elle nous renvoie subtilement à nos propres tâtonnements. Maîtresse incontestée de la forme courte, elle est parvenue à conjuguer dans un même espace tout à la fois étrange, facétieux et bouleversant, l’extraordinaire originalité du regard « différent » (qu’il soit celui de l’enfant, du « dérangé » ou du rêveur) et la rigueur pointilliste d’une conteuse hors pair.

Chacune de ces histoires forme un monde en soi. Une monade. Tout y est. Rien n’y manque. Elles sont comme des petits cercles dessinés à la main. Des petits cercles hésitants, délicats, qui entourent quelque chose. On ne sait pas toujours bien quoi. On sait juste que c’est infiniment précieux.

La fin était toujours en même temps un début. Il n’y avait pas de droites, il n’y avait que des cercles. Elle ne peignit plus dès lors que des cercles.

Adelheid Duvanel, Délai de grâce, 2018, Vies Parallèles, trad. Catherine Fagnot.

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