Gass, William H. – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Regards » de William H. Gass. https://www.librairie-ptyx.be/regards-de-william-h-gass/ https://www.librairie-ptyx.be/regards-de-william-h-gass/#respond Thu, 27 Apr 2017 07:19:27 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6815

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Nous sommes infiniment plus nombreux qu’eux à présent, que cette tribu de gaspilleurs qui nous a inventés, nous utilise et nous enverra au rebut, empilements auxquels nos résidus serviront à mettre le feu. Les peignes à eux seuls excèdent le nombre de têtes qu’ils coiffent. Les ciseaux sont dans une situation identique ; et les stylos, les pièces de monnaie, les bagues, les boucles, les pistolets. […] Quand on déterrera notre civilisation, et qu’on tentera, à partir de ces tessons, de deviner à quoi ressemblait l’ensemble, nous offrirons une quantité d’indices infiniment plus importante que celle des ossements d’Êtres Humains.

Les choses! Elles nous entourent, nous envahissent même, et nous sommes pourtant si rétifs à leur concéder une voix… Dans ces nouvelles, directement ou plus insidieusement, William H. Gass prête sa plume à la conscience des choses. Un piano de plateaux de cinéma, une chaise pliante, des photographies d’art, des rails de train électrique, en leur donnant de facto une voix ou en les investissant d’un rôle de médiateurs des consciences de qui les utilisent, l’auteur américain plonge dans leurs tréfonds comme dans ceux de toute âme humaine.

Toute sa vie, présent y compris, l’assistant de Mr Lang avait vu se détourner les regards, se marquer le désintérêt, se dévier les trajectoires pour éviter les gênes diverses que provoquait son corps : son roulis et ses embardées, ses membres atrophiés, le doigt qui manquait, la paupière qui tombait, l’irréductible perle de bave aux commissures qui privait sa bouche de toute dignité, et la vacuité d’une allure manquant de muscle ; qui aurait pu souhaiter les croiser? regarder en face cette erreur de la nature? faire comme si vous parliez à un citoyen normal plutôt qu’à un nain crétinoïde pas très éloigné du sol? Les gosses de son âge étaient curieux, bien sûr, et lui trouaient la chemise de leurs regards. Etre ignoré ou être dévisagé, l’un n’était pas plus tolérable que l’autre.

Dans la première longue nouvelle, Mr Lang, collectionneur et revendeur un peu louche de photographies d’art, accompagné de son « idiot d’assistant », consacre une vie à regarder, jusqu’à disparaître dans le dispositif même qu’il vénère. Qu’est ce qu’une image? Qu’est ce qu’un regard? A travers l’histoire de ce couple de personnages improbables et attachants – qui ne sera pas sans en rappeler d’autres mythiques de la littérature – c’est toute une esthétique de l’image qui est passée en revue et questionnée.

Et puis, pour peu qu’il tombe et se salisse à présent le genou, peut-être qu’elle appuierait sa tête contre sa cuisse, passerait, pour une fois, toute une nuit à le plaindre.

Dans la seconde longue nouvelle, l’auteur américain, en croisant impressions et récits de charité, interroge, par le travers des « bonnes œuvres », notre rapport à l’autre. Où l’économie de nos relation est lue dans notre irrépressible besoin à être plaint. Plaint. Non consolé. Ainsi notre dégoût mâtiné de culpabilité du spectacle de la mendicité n’est-il plus conséquence de la détresse ou de l’injustice que cette mendicité exprime, mais bien plutôt, et plus vicieusement, de la concurrence qu’elle institue avec les nôtres propres. La main tendue du mendiant, quémandante, plaignante, ne culpabilise pas, elle est juste ma concurrente.

Déchirantes, retorses et vertigineuses, ces nouvelles démontrent encore une fois, si besoin en était, que William H. Gass est l’un de nos plus essentiels virtuoses.

Je sais. Je sais. Une fois avalée notre date d’aujourd’hui, quelques miettes, quelques traces de gras subsisteront sur l’assiette. Léchée, mais pas propre. Pas propre. Ensuite, le passé que nous avons dévoré, nous l’excrétons. Et ce fumier nourrit la chair d’un moment nouveau. Réjouissant, pas vrai?

William H. Gass, Regards, 2017, Cherche-Midi, trad. Marc Chénelier.

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« Le musée de l’inhumanité » de William H. Gass. https://www.librairie-ptyx.be/le-musee-de-linhumanite-de-william-h-gass/ https://www.librairie-ptyx.be/le-musee-de-linhumanite-de-william-h-gass/#respond Tue, 03 Mar 2015 08:54:52 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4988

Lire la suite]]> musée de l'inhumanitéNe jamais achopper, juste passer.  Glisser.

Joseph Skizzen est un fils d’immigrés ayant fui leur terre natale peu avant le début des hostilités de la Seconde Guerre mondiale pour se réfugier, via l’Angleterre, aux Etats-Unis.  Et cela, comble de l’imposture en ces temps troublés (ah l’euphémisme!), en se faisant passer pour juifs.

Ah! être communs, carrément quelconques.  Voire normaux.

Après que son père ait abandonné sa famille sans laisser de trace, Joseph décide de consacrer son passage ici-bas (ah l’expression consacrée!) à y laisser une trace aussi discrète que possible.

il prit soin d’effacer toutes traces qu’il avait laissées ; il aurait rassemblé sa respiration, aussi, si cela avait été possible.

Vendeur dans un magasin de disques, bibliothécaire puis professeur de musique, Joseph cultive, hormis une passion pour la musique – et Schoenberg et la musique atonale en particulier – une autre, plus étrange (quoique), pour les actes les plus sombres qui aient émaillé l’histoire humaine.  Ainsi, dans une des pièces de la maison qu’il habite seul avec sa mère, il collectionne les coupures de presse, les articles, les photographies, les livres, bref tout ce qui peut témoigner des divers et ingénieux procédés que l’homme a pu inventer, depuis qu’il est homme, pour faire du mal à l’homme.

La race humaine croit que ce train roule pour le plaisir alors qu’il bing qu’il tchroïnk qu’il crac qu’il zing qu’il chtoïnn qu’il tr trr trote – cornes en berne et queue basse – satan toujours omniprésent – et tous les veaux voués à l’éviscération.

Obsédé par une phrase qui devrait rendre compte de son hésitation à souhaiter que l’être humain soit sauvé ou non, et qu’il retravaille sans cesse, il s’enferre peu à peu dans la misanthropie.  Mais une misanthropie qui se veut moins détestation de l’espèce humaine que dédain lucide.  Et qui puise ses raisons profondes dans ce désir (et cette impasse) de rester pur.

où aller, franchement, pour rester pur – pire, qui être pour rester tolérable?

Seule voie raisonnable pour qui désire rester vierge de tout mal, « passer simplement » dans cette vallée de larmes, sans y peser, ne va pas de soi.  Une vie simple, à l’écart, dissimulée, choisie en raison même des risques que le moindre mouvement peut faire courir à l’autre, cette vie ne va pas de soi.  Non que les renoncements qu’elle suppose soient lourds à supporter pour qui cherche à « rester pur ».  Mais c’est l’autre lui-même qui ne tolère pas ce retrait.  Et la dissimulation, le « passer outre », le glissement dans la vie, devient une conquête.  Comme s’il s’agissait moins « ici-bas » de ne pas commettre « le mal » que de s’en arracher.  Comme s’il nous constituait.  Comme si c’était Adam lui-même qui était issu du mal, cela bien avant qu’un geste vers une pomme ne l’y jette.

Pour questionner aussi profondément cette responsabilité qu’est être, il fallait une écriture comme capable d’hésiter.  Il fallait organiser la phrase pour montrer que nos vies ne peuvent être que des impostures.  Mais en montrant que la phrase elle-même en est une.  Et celle de Gass qui se fond dans les musiques qu’affectionne Joseph Skizzen, tour à tour en achoppant sur ses doutes ou en épousant les linéaments, est cette superbe imposture qui permet de sonder les troublants et vertigineux pans sombres de notre inhumanité!

Vous avez passé votre vie de menteur à réarranger de façon obsessionnelle les mots dans cette phrase que vous souhaitez prononcer devant l’humanité.

William H. Gass, Le Musée de l’inhumanité, 2015, Cherche-midi, trad. Claro.

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