Ingold, Tim – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Faire » de Tim Ingold. https://www.librairie-ptyx.be/faire-de-tim-ingold/ https://www.librairie-ptyx.be/faire-de-tim-ingold/#respond Fri, 10 Mar 2017 09:03:59 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6745

Lire la suite]]> Tout mon propos consiste à montrer qu’il est impossible d’élaborer une quelconque « théorie » qui serait coupée du monde qui nous entoure et de ce qui s’y passe, et qui fournirait des hypothèses se prêtant plus ou moins à être appliquées au monde environnant dans le but de le rendre intelligible.

Prenons en exemple le biface. Outil considéré aujourd’hui comme caractéristique du paléolithique inférieur, il doit, pour s’inscrire dans cette catégorie, répondre à certaines caractéristiques bien précises. Reconnaissable et identifiable comme artefact stable dans le temps et l’espace, il devient la marque d’une conscience qui l’a façonné, et donc d’un état de développement cognitif. Formé selon un plan et des objectifs précis et partagés dans un espace très étendu et pendant une très longue période de la préhistoire, le biface traduirait à la fois une avancée technique et intellectuelle par rapport aux temps qui précèdent son « invention » et une stagnation des mêmes capacités technologiques et cognitives pendant le très long laps de temps pendant lequel il fut fabriqué. C’est oublier que le biface est peut-être et avant tout la marque de notre propre façon de considérer l’artefact.

Nous n’apprenons qu’en faisant.

Qui nous dit que le biface que nous considérons comme tel, comme un outil fini, destiné à des tâches bien précises, n’est pas « usé »? Le biface ne serait-il pas inachevé? L’instrument décodable comme tel selon des particularités bien précises ne l’est-il pas uniquement selon les principes d’analyse de l’historien? Nous fabriquons aujourd’hui le biface. En supposant qu’un artefact ne peut être fabriqué qu’en faisant subir à une matière des contraintes formelles précises et conscientes, nous posons sur sa fabrication un filtre qui en fait autre chose que ce qu’il est. C’est d’abord pour le préhistorien que le fabricant fabrique en ayant un plan en tête. L’application à la matière d’un modèle formel, l’hylemorphisme, est lui-même un modèle intellectuel que nous appliquons à l’histoire. Parfois pouvant en rendre compte efficacement, il est à d’autres moments radicalement anachronique.

En l’absence d’un savant, […], il n’y aurait pas de modèle de chauve-souris.

Il n’y a pas, chez l’être paléolithique, d’un côté l’idée intellectuelle du biface, de l’autre sa réalisation conforme à l’idée. Il n’y a pas, chez le bâtisseur médiéval de cathédrale, d’un côté le plan, de l’autre l’édifice religieux, scrupuleuse transcription en trois dimensions du dessin d’un architecte. Il n’y a pas d’un côté la forme, de l’autre la matière. Les organismes croissent, comme les artefacts. Les artefacts sont fabriqués, comme les organismes. A la succession des formes, qui ne permet pas de rendre compte dans toute son ampleur de la complexité du réel, il faut passer au développement continu. A la distinction matière/forme, il faut substituer la relation force/matériau. A l’hylémorphisme il faut préférer la morphogenèse.

Même l’acier s’écoule et le forgeron suit le flux.

Dans ce livre passionnant et essentiel, Tim Ingold, aussi rigoureux que facétieux, aussi précis que pédagogue, nous convie à une nécessaire mise à plat de nos catégories. Nonobstant une conclusion à l’emporte-pièce, ce Faire est une invite ô combien bienvenue à passer du « connaître » à l’ « apprendre ».

Tim Ingold, Faire, Anthropologie, Archéologie, Art & Architecture, 2017, Dehors, trad. Hervé Gosselin & Hicham-Stéphane Afeissa.

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« Marcher avec les dragons » de Tim Ingold. https://www.librairie-ptyx.be/marcher-avec-les-dragons-de-tim-ingold/ https://www.librairie-ptyx.be/marcher-avec-les-dragons-de-tim-ingold/#respond Tue, 26 Nov 2013 09:09:17 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3592

Lire la suite]]> ingoldEn fait, pour ceux d’entre nous qui ont été éduqués dans les valeurs d’une société où l’autorité du savoir scientifique règne sans partage, la division de la réalité en deux domaines mutuellement exclusifs, celui du fait et celui de la fable, est à ce point enracinée qu’elle en est devenue évidente.

l’Histoire humaine à séparé culture et biologie, évolution et histoire.  Où et quand n’est pas dit.  Et c’est aussi cette indiscernabilité d’un lieu et d’un instant qui rend cette séparation encore plus constitutive de nos inconscients.  Cette séparation s’incarne non seulement dans les « domaines » sur lesquels portent nos réflexions mais aussi dès l’abord, entre qui analyse et l’objet de l’analyse, car, dans le contexte clivé attesté d’aujourd’hui, séparer le « monde » de l’explication qu’on en donne est une des premières obligations scientifiques que doit honorer tout scientifique.  N’est sérieux que ce qui raisonne.  La raison n’étant acquise que par delà, par dessus, les corps, les sensations.

Ainsi en va t’il de la réduction actuelle du biologique au génétique.  Dans ce dualisme, c’est le gène qui prédomine.  Il est le donné-là-d’abord.  Le substrat sur lequel viennent bien sûr se greffer et interagir des comportements, parfois au point d’en engager radicalement la forme à venir.  Mais toujours, le gène est premier.

L’écologie des manuels pourrait en fait être considérée comme profondément anti-écologique, dans la mesure où elle présente l’organisme et l’environnement comme des entités (ou des collections d’entités) mutuellement exclusives qui ne sont associées et amenées à interagir qu’après leur formation.

Les tentatives de Tim Ingold, sur lesquelles ce recueil d’article donne ici un éclairage précieux, visent toutes à rétablir ce lien entre nature et culture, à fonder une nouvelle écologie.  Rien ne vient de l’ADN.  Tout vient de l’ADN ET du segment de monde dans lequel il se trouve.  C’est d’une nouvelle science reposant sur une logique des relations et non plus seulement des entités dont nous avons besoin.

En fin de compte, les organismes et les personnes ne sont-ils pas pour les relations un moyen de produire plus de relations?

Imaginez une salle de spectacle comble.  Toutes les places sont prises.  Tenter d’en observer quoi que ce soit revient, pour le scientifique « lambda » actuel, à se suspendre par un filin au dessus de la salle.  En espérant convaincre tous que le filin est fixé en un point extérieur à la salle, dans un ailleurs un peu merveilleux.  Tim Ingold, lui, prend une chaise de l’extérieur et la déplace ça et là, dans la salle.  Certes, les perspectives successives peuvent parfois paraitre moins amples, plus réduites.  Mais dans leur succession même se lit une revigorante vitalité.

la vie n’est pas « dans » les organismes ; ce sont plutôt les organismes qui sont « dans » la vie.

Tim Ingold, Marcher avec les dragons, 2013, Zones Sensibles.

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