Laumonier, Alexandre – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « 4 » d’Alexandre Laumonier. https://www.librairie-ptyx.be/4-dalexandre-laumonier/ https://www.librairie-ptyx.be/4-dalexandre-laumonier/#respond Fri, 18 Jan 2019 07:18:00 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=8036

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Il est indubitablement difficile d’expliquer à de paisibles retraités que des traders ont besoin d’un pylône de 322 mètres pour gagner quelques microsecondes de temps de latence afin de réaliser 0,01 euros de profit par transaction, laquelle a lieu dans un serveur de quelques centimètres carrés, lui-même enfoui dans un data center de plusieurs dizaines de milliers de kilomètre carrés.

S’il n’est pas aisé d’expliquer cela à de paisibles retraités c’est certainement car il n’est naturel pour personne que de telles relations au temps et à l’espace puissent coexister. Ce mélange très pragmatique – quoi de plus pragmatique que l’argent – de l’infime temporel et du gigantisme spatial parait tout à fait contre-intuitif. Le rappel de la matérialité bien tangible de ce que l’on a pris l’habitude de définir comme « dématérialisé » est souvent douloureux.

Le temps c’est de l’argent. Cette antienne devenue cliché est d’autant plus vérifiable en un lieu – l’espace boursier – où des masses colossales de devises sont échangées, et en un temps où un bit peut voyager à une vitesse qui s’approche toujours plus de celle de la lumière. Être informé avant les autres c’est pouvoir gagner plus d’argent. Si, au début du siècle dernier, une avance de quelques jours ou quelques heures sur votre concurrent (par exemple quant à une fluctuation de prix de matières premières) pouvait vous permettre de prendre « plus rapidement » que lui les bonnes décisions et d’emmagasiner plus de profits, aujourd’hui le laps de temps s’approche de la microseconde. Traitée par des algorithmes surpuissants, véhiculée par des fibres optiques ou par des ondes, l’information est analysée et voyage aujourd’hui à des vitesses telles qu’un laps de temps humainement perceptible (une seconde, un clignement d’œil)  paraît une éternité. Et durant cette éternité, des masses colossales d’argent peuvent être perdues ou gagnées. Ainsi, les sociétés de trading cherchent-elles par tous les moyens possibles à disposer de l’information quelques microsecondes avant leurs concurrentes. Jusqu’à délaisser la fibre optique, trop lente, pour les micro-ondes. Jusqu’à défigurer des paysages millénaires avec des tours gigantesques. Jusqu’à tenter de séduire secrètement des habitants d’immeubles en bord de mer pour y installer des antennes.

En investissant 6.5 millions d’euros dans une infrastructure haute de 243,5 mètres, la société de Chicago gagna plus ou moins 10 microsecondes de temps de latence, soit 0,00001 seconde, soit cent fois moins de temps qu’il n’en faut à un humain pour cligner de l’œil. La « valeur » d’une microseconde était donc, en 2013, de 650.000 euros […] cinq ans plus tard, à Aurora, une microseconde nécessitait un investissement de 14 millions de dollars. 

Ce qui fait 50400000000000000 dollars/heure ou, dit autrement, 50 millions 400 milles milliards de dollars de l’heure…

Raconter, aussi précisément que possible, décrire les faits, scrupuleusement, et s’y arrêter, quand ceux-ci révèlent justement une inextinguible fuite en avant, suffit parfois. Plus précisément encore, c’est quand des faits semblent à ce point tendre vers l’acmé d’un processus en cours depuis des lustres qu’il convient de les circonscrire au mieux, pour en faire jaillir non pas seulement leur absurdité, mais la nécessité de leurs contraires. Quand elle est intelligente, comme ici, la description vaut tous les bavardages.

Alexandre Laumonier, 4, Zones Sensibles, 2019.

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« Dictionnaire historique et critique. Miscellanea philosophica » de Pierre Bayle. https://www.librairie-ptyx.be/dictionnaire-historique-et-critique-miscellanea-philosophica-de-pierre-bayle/ https://www.librairie-ptyx.be/dictionnaire-historique-et-critique-miscellanea-philosophica-de-pierre-bayle/#respond Fri, 15 May 2015 07:36:06 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5136

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bayle

185!  C’est le nombre d’années qu’il aura fallu attendre pour voir rééditer en partie (hormis un fac-similé un tantinet onéreux – 2306,00 CHF tout de même! – chez Slatkine en 1995) l’un des chefs d’œuvre incontestable de l’histoire de la pensée.  C’est en 1697 que Le Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle sortit des presses amstellodamoises de l’éditeur Reinier Leers pour la première édition.  Et dès ce moment, il fut considéré par tous ceux qui l’approchèrent comme une des tentatives les plus téméraires et les plus abouties de saisir le réel dans son ensemble. Référence indispensable pour nombre de chercheurs tous domaines confondus pendant des décennies, inspiration directe des fondateurs de l’Encyclopédie, ouvrage culte pour certains bibliophiles, bible du scepticisme, tout cela n’empêcha pas cette œuvre hors normes de sombrer dans un relatif anonymat…

Ce dictionnaire se présente comme une suite alphabétique d’articles sur des personnages illustres de l’histoire (Aristote, Bacon, Mahomet, Spinoza ou Rorarius, par exemple…) mais sous une forme un peu particulière.  L’objectif de Pierre Bayle étant, si pas l’exhaustivité (qu’il savait inatteignable par essence), du moins d’y tendre  – comme, en mathématique, on dit d’une suite qu’elle peut tendre vers l’infini -, il ne s’agissait pas simplement de faire se succéder pages après pages des savoirs présentés nus, platement, dépouillés de leur histoire.  C’eût été affirmer, comme par défaut, l’objectivité inhérente des connaissances sur le personnage en question.  En ne mettant pas en scène l’histoire des connaissances qui porte sur un sujet, les doutes qui y pèsent encore, on avait, pour Bayle, tendance à le donner à voir comme immuable.  L’impression d’objectivité qui en découlait fatalement se profilant alors à la manière d’une brume, rassurante certes, mais mensongère.  Il fallait donc aussi donner à lire, en sus de la connaissance elle-même, son élaboration (tant passée – son histoire -, que présente – ses doutes).  Et cela dans la page même.

Mais comment, me questionnerez vous?  L’article proprement dit est placé en haut de page.  Il est annoté doublement.  Une partie des annotations figure en marge de part et d’autre de l’article.  Les autres annotations sont disposées en deux colonnes sous l’article.  Ces deux colonnes sont elles-mêmes annotées de part et d’autre en marge.

Pierre Bayle 2Les notes en marge de l’article principal, sorte de « narré succinct des faits », sont des notes bibliographiques au sens strict ou des renvois à d’autres articles du dictionnaire.  Les autres disposées sous l’article en colonnes sont elles des remarques, « un grand commentaire, un mélange de preuves et de discussions ».  Ce commentaire, lui-même annoté, prenant – largement! – plus de place que l’article qu’il est censé commenter.

En articulant pour la première fois dans l’histoire (du moins à ce niveau) sur une même page une idée et sa construction, Pierre Bayle donne à lire, dans cette langue typiquement 17ème, sublime, cette quintessence du scepticisme qu’est la pensée laissant transparaître les moindres fils dont elle est tissée.  Véritable développement spatial de cette pensée, il fallu les outils pour la rendre à nouveau dans toute sa splendeur.  Ce qu’Alexandre Laumonier (plus d’info ici), s’aidant d’outils typographiques, informatiques et logarithmiques novateurs a réalisé magnifiquement après vingt années de doutes, de tergiversations et de sueurs.  Un Must have absolu!

bayle 2Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique. Miscellanea philosophica, 2015, Belles Lettres & Ecole supérieure d’art de Cambrai & Alexandre Laumonier.

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