Patrolin, Pierre – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « L’homme descend de la voiture » de Pierre Patrolin. https://www.librairie-ptyx.be/lhomme-descend-de-la-voiture-de-pierre-patrolin/ https://www.librairie-ptyx.be/lhomme-descend-de-la-voiture-de-pierre-patrolin/#respond Fri, 29 Aug 2014 07:57:44 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4303

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homme descend de la voitureNous conduisons en silence, les uns derrière les autres, sans impatience à chaque nouvel arrêt.

Le narrateur vient de rentrer en possession d’un nouveau véhicule.  Alors qu’il se laisse aller chaque jour un peu plus au plaisir de la conduire et que la voiture se marque peu à peu des dégâts que sa conduite occasionne, alors aussi qu’il développe, avec sa compagne, le projet de cultiver des framboisiers, il découvre un vieux fusil dans son garage.

Je roule à la vitesse d’un homme qui marche.  Assis, les jambes à peine repliées.  Le dos droit, maintenu par le siège.  Les bras tendus pour choisir sa direction.  Un homme qui marche vite, et arrondi ses trajectoires.  Sans pousser sur les mollets.  Ni lever les genoux pour avancer.

« Descendre de la voiture » est à lire à la lumière darwinienne.  Car, l’homme, à côtoyer la technologie qu’il a créé, à s’en laisser guider, y a arraché des pans qui le constituent à son tour.  Et l’évolution humaine est aussi, par parcelles, le résultat, souvent inconscient, des marques du pouvoir qu’il délègue à ses créations.  Comme l’homme a tant gardé du singe dont il descend, il est constitué par la voiture.

Je roule.  J’avance parmi d’autres voitures automobiles, des gens assis qui roulent les bras tendus devant eux.  Comme moi.

La nature est devenue celle-là même : avancer assis les bras tendus.  A tel point que, quand il s’agit de définir un autre représentant de l’espèce utilisant un mode de déplacement moins commun, la redondance devient nécessaire.  Comme si, s’agissant pour ainsi dire d’une autre espèce, l’expression annulait la tautologie.

J’ai doublé un cycliste à vélo.

La voiture devenue nature.  Le paysage n’étant plus paysage, mais bien flux parsemé de publicités, décor (Un décor, entre les voitures et les camionnettes).  Les odeurs, les saveurs, les touchers fabriqués par l’industrie humaine étant censés nous rappeler une autre nature, perdue celle-là.

Je roule en suivant les virages, la paume des mains fermées sur le cercle du volant, les doigts serrés sur le grain d’une peau figée.  D’un cuir instantané, au dessin régulier, la trame répétée d’un réseau artificiel, moulé dans une résine de polyuréthane.  Doux sous la main.  Presque tendre.  Sec.

Les polymères, les polyuréthanes, les polychlorures, sont devenus notre quotidien, notre ordinaire.  Notre nature.  Où nos propres odeurs semblent devenues déplacées, artificielles.

Il prétendait que pour essayer de saisir ce que chacun perçoit, il faut soumettre son analyse à ce que la plupart croient percevoir […] le général, l’ordinaire, le banal, nous est commun.

Rien que de banal dans ces envies de conduite du narrateur, comme dans son projet de cultiver des framboisiers, comme dans tout ce qui lui arrive, finalement, découverte du fusil incluse.  Et pourtant l’aventure est là.  Une des rares disponibles à notre époque, certes, mais bien présente.  Ou, du moins, possible.  A chaque tour de roue, l’éraflure est un danger, la mort se loge sous les pneus.  Et la fonction de l’écriture est ici d’en faire surgir, conjointe à sa banalité même, la possibilité d’en sortir qui s’y loge, s’y dissimule.  Le défi (dont on ne dira jamais assez à quel point il est magnifiquement relevé chez Pierre Patrolin) est tout entier là, lisible.  Comment faire sourdre des brumes du général, de ce commun, cet ordinaire, avec les mots mêmes dont la fonction est de ne pas s’en distinguer, d’y rester confortablement lovée, ce qui s’y loge d’individuel?

Nous roulons tous ensemble.

Pierre Patrolin, L’homme descend de la voiture, 2014, P.O.L.

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« La montée des cendres » de Pierre Patrolin. https://www.librairie-ptyx.be/la-montee-des-cendres-de-pierre-patrolin/ https://www.librairie-ptyx.be/la-montee-des-cendres-de-pierre-patrolin/#respond Tue, 08 Jan 2013 08:56:10 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=1830

Lire la suite]]> La montée des cendresLa Seine monte.  Paris s’organise face aux craintes d’inondation.  Un chantier creuse toujours plus profondément des fondations.  Une voisine sort de temps à autre fumer sur sa terrasse.  Dans l’appartement dans lequel le narrateur vient d’emménager se trouve un âtre.  Dans un Paris détrempé par les pluies incessantes, il cherche du bois.

Je ne suis pas doué pour le feu.

Dans une ville qu’on peut traverser sans croiser le moindre feu, trouver un peu de bois (pas même sec) se révèle être une aventure à laquelle se livrer entièrement, jusqu’à en oublier ses propres besoins vitaux (Je me promets de rapporter quelque chose à manger quand je retournerai chercher du bois).  C’est glaner qu’il faut faire.  Ramasser dans la ville les quelques restes de bois qu’elle même rend rares (un bout de palissade, de palette).  Ou bien cueillir ceux que son fleuve, dans sa crue, amène d’un ailleurs.  Ou encore s’exiler vers cet ailleurs pour en arracher quelques bouts et en remplir une pleine valise.

Je suis rentré mouillé, deux branches à la main.  Deux rameaux courts, glanés autour d’un parterre de pensées.  Deux scions oubliés.  Deux tiges humides que le carton ne suffira pas à enflammer.

Certes, « La montée des cendres » est un catalogue de techniques utiles au maintien d’un feu en milieu urbain.  Il est aussi le récit documenté d’un chantier, d’une inondation.  Il est également tentative de la description (presque tentative d’épuisement) d’un feu, dans la diversité de ses couleurs, dans la saisie de l’évanescence de ses flammes.  Il est évocation (peut-être) d’un amour naissant (peut-être).  Il est exercice ludique (les amis sont partis.  Ils me laissent des cendres.  Je ne les ai pas accompagnés dans l’escalier).  Tout cela comme suspendu.  Laissant dans l’esprit de celui qui lit une irrépressible sensation d’attente.  Mais il n’est pas récit d’une attente, il est cette attente même.

Je suis assis depuis longtemps, immobile, sans imaginer ce que j’attends.

Ce que réussit Pierre Patrolin, c’est à créer de l’attente.  Non pas classiquement reposant sur un récit dont on suspend le fil à sa péripétie.  La péripétie est bien là.  Mais elle est ad minima dans l’ « évènement », toute entière dans la langue.  Ce qui advient advient par la langue. Qui crée, elle même, les conditions de la survenue de ce qui viendra résoudre cette attente : l’imprévu.  Comme  « La traversée de la France à la nage » ,  « La montée des cendres » est une sublime et magistrale démonstration de ce que peut une écriture ramenée à son essence.

comme une eau sèche […] un corps réduit à sa douceur, concentré dans sa capacité de ne pas peser, ou d’oublier son poids.

Pierre Patrolin, La montée des cendres, 2013, P.O.L.

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« La traversée de la France à la nage » de Pierre Patrolin https://www.librairie-ptyx.be/la-traversee-de-la-france-a-la-nage-de-pierre-patrolin/ https://www.librairie-ptyx.be/la-traversee-de-la-france-a-la-nage-de-pierre-patrolin/#respond Wed, 07 Mar 2012 09:11:59 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=356

Lire la suite]]> La traversée de la France à la nage est un titre-programme.  Tout du roman est contenu dans son titre.  Il s’agit en effet d’une traversée de la France à la nage.  Par les fleuves et les rivières.  De l’Espagne à la Belgique.  Et il ne s’agit, dans le roman, que de conter cette expérience.  Par le menu.  Comme un compte-rendu, fidèle et que rien ne vient déborder.

Ainsi, nous ne saurons rien du narrateur hors de ce qu’il nous relate de son expérience.  Ce je n’a ni nom, ni âge.  Rien n’est dit de son passé, d’un entourage.  Pas plus, nous ne sommes conviés au chevet des raisons (mais y en a t’il seulement) du voyage.  Seul compte celui-ci et d’en rendre compte. 

La Loire (…) m’enferme avec elle dans un couloir large, continu, aux limites indécises à travers une plaine inaccessible.  Une plaine qu’elle ignore.

Comme l’eau du fleuve s’écoulant n’accède pas à la plaine, la parole du roman nous enferme dans son flot, que le titre avance sans embage.

La traversée de la France à la nage est un roman d’aventure.  Il y a les crues.  Les barrages, les centrales électriques, les centrales nucléaires.  Il y a les rapides, l’ennui des canaux ou l’éreintement des courants contraires.  Il faut trouver un gîte, et le couvert.  Il y a les rencontres, avec des êtres humains, avec des animaux, avec un bidon voguant au fil de l’eau.  Et comme dans toute aventure digne de ce nom, il y a le comparse, un baluchon, à la fois protégé et protecteur. 

Aussi, on découvre une France non pas autrement mais plus encore autre.  Au fil de l’eau, couché, le regard est borné.  Le paysage n’y est jamais point de vue.  L’horizon, c’est la rive.  Le regard s’empreint alors d’humilité, de discrétion.  Il n’embrasse plus.  Il détaille, sans hauteur, sans juger.  Et ce qui se révèle de cette France étrécie, du plus bas car au ras de l’eau, de ses paysages, de sa gastronomie, de sa faune, de sa flore, de ses habitants surtout, surprend, et charme infiniment. 

Mais traverser la France à la nage est impossible.  Et la magie du roman est précisément là.  Dans la construction d’une langue à même de dire cet impossible.  L’aventure inscrite dans le roman, son fil, sa trame fictionnelle se redouble de l’aventure d’en rendre compte.  Ainsi, on rentre dans le récit par les temps du futur avant de glisser vers le présent et de le clore sur une phrase au passé.  Comment mieux rendre compte de l’impossible que dans le mouvement propitiatoire du futur et celui fantasmé du présent. 

Aucun affluent, aucune dérivation ne s’offrent à moi.  Je dois seulement continuer.  Me contenter de nager sans rien décider, conformément à mon projet.  Nager vers le nord, obstinément.  Nager chaque jour, sous la pluie ou le soleil.  Pousser mon baluchon.  Et franchir des écluses silencieuses, faute de barrage ou de déversoir, en poussant sur les jambes pour me hisser sur le vantail de bois, les mains tendues au gond qui ferme le sas de l’écluse : mes pieds viennent toucher le sol au creux du canal.  Je touche le fond.  Je me laisse enfoncer.  J’ai pied, ou presque.  La tête sous l’eau épaisse qui mouille mes cheveux, je me tiens debout dans un liquide vert, et trouble.  En équilibre sous la surface de l’eau : je pourrais marcher, sans respirer, au fond du canal, marcher sous l’eau, le sac sur l’épaule.  En brassant l’eau autour de mes hanches pour pouvoir lancer les jambes devant moi.  Dans un mouvement lent, retenu, pénible.  Parmi les poissons étonnés.  Sans avancer dans une eau grise, opaque.  Les pieds dans la vase, les yeux ouverts dans une lueur glauque, jaune, sans expirer.  Je pourrais marcher dans l’eau, au creux d’un chemin rectiligne, en ignorant le paysage, sous les berges et les racines.  Sans voir, sans entendre, sans le besoin de respirer.

La littérature dit l’impossible.  Elle en rend compte.  Mieux même, il est de sa fonction de le faire advenir.  Comme Proust  (« J’ai « fabriqué » Albertine à partir d’un nom« ), mais par d’autre méandres, Pierre Patrolin se révêle génial fabricant d’un « réel » impossible.

Pierre Patrolin, La traversée de la France à la nage, 2012, P.O.L.

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