Szentkuthy, Miklos – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Europa Minor » de Miklos Szentkuthy. https://www.librairie-ptyx.be/europa-minor-de-miklos-szentkuthy/ https://www.librairie-ptyx.be/europa-minor-de-miklos-szentkuthy/#respond Fri, 09 Feb 2018 08:40:30 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7311

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Toute culture commence avec un conte – la nôtre, apparemment, finira avec une légende où cultures, peuples, dieux maîtrisés ou non, paysages et logiques danseront comme des lutins ou comme des nymphes, et nul ne saura dire s’il s’agit d’une danse macabre ou d’un ballet optimiste, de résignation ironique ou du fondement d’une nouvelle santé.

Quatrième tome du Bréviaire de Saint-OrphéeEuropa Minor s’ancre comme le tome précédent dans l’Espagne du 16ème siècle. Mais, en lieu et place du François Borgia de Escorial, c’est de Saint Toribio qu’il opère l’hagiographie. Né en 1538 et mort en 1606, ce saint très particulier fut nommé président du Tribunal d’Inquisition en 1552 par Philippe II alors qu’il était… laïc, puis Archevêque de Lima dès 1581. Dès cette date, il n’eut de cesse, toute sa carrière, d’œuvrer pour ses pauvres. N’hésitant pas, pour ce faire, à heurter les puissants en place et à utiliser, fort adroitement, toutes les ficelles du pouvoir. Ainsi ce personnage est-il aujourd’hui encore célébré, dans nombre de chansons populaires américaines, comme une sorte de Robin des Bois hispanique. Cette alliance entre le temporel le plus incarné et le spirituel ne pouvait que plaire à l’Ogre de Budapest.

Placé sous cet exergue, toute la suite du tome s’articule autour de trois personnages principaux : Elizabeth de Valois (1545-1568), Akbar (1542-1605) et Marie Tudor (1516-1558). Chacun de ceux-ci recevant une voix à laquelle vient bien entendu se mêler celle de l’auteur, cette dernière s’entremêlant elle-même de textes censément ramenés par Francis Drake  (1540-1596). Et dans l’entrelacs, peu à peu, se dessine une idée, un thème : l’Europe est bien plus la résultante de l’Orient qu’un reliquat de l’Antiquité. Et l’avenir de l’Europe – si un avenir est encore possible – ne pourrait dès lors tenir en un retour, forcément illusoire, à une Héllade fantasmée, mais ne serait possible que par la prise en compte, pleine et entière, de cette origine. L’Europe sera orientale ou elle ne sera pas…

Composé alors même que l’Europe sombrait dans le chaos (Europa Minor fut écrit originalement en 1937, puis revu en 1973), ce quatrième tome est bien entendu l’occasion, pour son auteur, de nous donner à lire des fantaisies de son cru (les histoires tirées du livre d’Akbar ne sont pas loin de la fantasy la plus délirante) et des considérations esthétiques définitives et éclairées (le mondain est perfection, l’ornement est l’art ultime) mais il est donc aussi l’occasion d’une réflexion, toujours nécessaire, sur nos origines.

En rendant à ses personnages leur complexité (Drake, serviteur de la couronne et corsaire ; Akbar, machiavel moghol et premier instigateur d’un syncrétisme des trois monothéismes ; Toribio, religieux et voleur, etc…), il leur rend aussi leur historicité. Et par là même, aux antipodes d’un érudit (si besoin en était encore, ce tome-ci est l’occasion parfaite pour vérifier l’ampleur sans fond de sa culture) glosant en chambre close, par ses tentatives – réussies – d’épouser le réel dans sa totalité, il fait ô combien œuvre utile.

Miklos Szentkuthy, Europa Minor, 2017, Vies Parallèles, trad. Georges Kassaï et Robert Sctrick avec la collaboration d’Elizabeth Minik.

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« Escorial » de Miklos Szentkuthy. https://www.librairie-ptyx.be/escorial-de-miklos-szentkuthy/ https://www.librairie-ptyx.be/escorial-de-miklos-szentkuthy/#respond Mon, 13 Mar 2017 13:41:43 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6175

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Il me faut à présent me délivrer de tout et de tous : pape, époux, parents, amis, princes et paysans vendangeurs, professeurs d’université, écrivains et artistes, saints et baroques conventionnels : il me faut rester seul, comme jamais ne l’ont été les vieux routiers de la solitude ; il faut que je sois jusqu’à ma mort, et au-delà, absurdité provocante aux yeux de tous.

Troisième tome de l’immense Bréviaire de Saint-Orphée, Escorial, comme le fait justement supposer son titre, nous emmène cette fois – alors que les deux premiers avaient pour cadre Venise – en Espagne. Et plus précisément dans l’Espagne du XVI ème siècle, par l’entremise de l’un de ses personnages les plus énigmatiques : Saint François Borgia. Neveu de la célèbre Lucrèce, duc de Gandie, Vice-Roi de Catalogne, Grand Général des Jésuites, grandement estimé par Charles-Quint puis par Philippe II, confident de la très belle Isabelle de Portugal – dont il sera chargé (épisode célèbre et tragique) de reconnaître le corps -, canonisé en 1671, il offre une image toute en nuances des « paradoxes » de son temps. S’exerçant à élever l’âme tout en sachant se garder, mais aussi se servir de sa chair, serviteur de la foi et de l’Empereur, solitaire et déterminé à servir le collectif, tenté par l’acédie et l’amour, l’illustre saint offre une image à la fois exemplative et radicale de son époque. Mais, et surtout, il paraît être, pour Miklos Szentkuthy comme pour son lecteur, une des images idéales de cet Orphée sanctifié que tente de dessiner l’Ogre de Budapest. Preuve en est, le cadrage, peu habituel dans le reste de l’oeuvre de l’auteur hongrois, sur la figure du jésuite. Alors que dans les deux premiers tomes les digressions, jouissives et innombrables, en diluaient toute possibilité affirmée d’un centre, ici le centre est bien et solidement campé par François Borgia. Ainsi, pour la première fois dans ce Bréviaire, l’hagiographie du saint qui ouvre chaque tome n’est ni plus ni moins que celle du personnage principal. François Borgia en Orphée. Orphée en François Borgia.

Une vieille Aspasie fardée pourpre de Toletan fut lutinée jusqu’à ce que, multipliant ses appâts babyloniens sur son hameçon, en compagnie de Bial doré de Catalogne, qui chassait loin de lui les hommes pieux avec une couronne noire entre ses cornes en toupet, ce dernier, hébété, défaillît dans les nombreux poisons de la dame, et acheminât sa bosse sous le joug d’icelle. Leur rejeton fut mort-né et, sur sa physionomie se trouvait une telle “mors evidens” que tous les nobles lardés d’onctions et aromatisés d’huile prirent la poudre d’escampette de dégoût, cependant qu’un juif “lunaticus” pris de pitié jouait un simulacre du rite de Jean, au bénéfice des bâtards diaboliques hispaniques Albaracin, Sanlucar et Sahagun, car que Notre Seigneur ne pût point y être, c’est aussi sûr que lourdement certain.

Délire baroque, folie du langage, oeuvre historique, histoire d’amour, catalogue esthétique occidental que complète une première et longue incursion en Asie, Escorial, car moins profus et plus empathique que ses autres parties, tout en en conservant l’étrange et folle beauté, est sans doute l’une des voies privilégiées pour entrer dans ce mastodonte de la littérature.

Je ne me considère pas comme un être vivant, mais comme un observateur absolu.

Miklos Szentkuthy, Escorial, 2016, Vies Parallèles, trad. Georges Kassaï & Robert Sctrick.

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« En marge de Casanova » de Miklos Szentkuthy. https://www.librairie-ptyx.be/en-marge-de-casanova-de-miklos-szentkuthy/ https://www.librairie-ptyx.be/en-marge-de-casanova-de-miklos-szentkuthy/#respond Thu, 12 Mar 2015 08:46:53 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5042

Lire la suite]]> En marge de CasanovaEn marge de Casanova est le premier tome du Bréviaire de Saint Orphée, projet colossal que Miklos Szentkuthy porta de 1938 jusqu’à sa mort en 1988.  Tentative démesurée de dire le réel dans sa totalité, d’une érudition folle, le projet prenait comme socle, précisément, de n’en avoir aucun.  Mouvante, revendiquant le droit à la contradiction et au péremptoire, docte et grotesque, mêlant temps et lieu dans un maelstrom virevoltant, le Bréviaire est aussi une quête sans cesse remise en question d’un langage pour exprimer le réel.  Ce réel, qu’à défaut de chercher à dire, nous laissons peser sur nous.

En marge de Casanova est l’ensemble des notes qu’aurait pu prendre Miklos Szentkuthy à la lecture de l’œuvre de Casanova.  Un essai littéraire donc.  Mais qui se grossit de l’autobiographie de l’ogre de Budapest, qui se gonfle des interventions (réelles? fictives?) d’Abélard ou d’Alphonse de Ligure, qui s’enrichit d’une exégèse abyssale de l’œuvre du Tintoret…  Roman, essai, autobiographie, exercice poétique, hagiographie, chaque tome du Bréviaire est une tentative radicale de dépassement des contraires.  Et réalise génialement, pan après pan, l’une des œuvres les plus indispensables de la littérature.

Place à celui que nombre de ses lecteurs (et non des moindres) considéraient à l’empan de Proust, Joyce ou Rabelais…

C’est toujours de [l’imagination] que la réalité dépend.

Transformer le passé en objet de culte tient de la pire barbarie!

écrire un livre intitulé Il y a – lequel ne serait que le catalogue « sec » de tous les objets, sentiments, phénomènes et fables logiques composant le monde.

mon texte – ou prétendu texte – se voulant ici semblable aux anciennes partitions, lesquelles n’indiquaient que l’essentiel, abandonnant aux interprètes la tâche de l’exécution.

la chose la plus excitante pour un cerveau est la rencontre instantanée d’éléments hétérogènes au sein d’une constellation fortuite.

est pensée tout ce qui provoque une excitation physiologique peu ou prou indépendante de la conservation de soi ou de l’espèce.

Puisque la pensée m’apparaît comme la galaxie éternelle et toujours neuve des myriades de nuances que présente le monde, et puisqu’en premier et dernier lieu, je suis un penseur (et non un être vivant), il me faut fixer tant bien que mal cet amas stellaire, en le déformant certes, et en assumant pleinement les paradoxes et les vides stylistiques inhérents à toute description. La vraie réponse intellectuelle au monde ne saurait être mythe ou philosophie, roman ou essai ; ce sont là fictions isolées, nar­cissismes irrationnels, jeux ou – dans le meilleur des cas  – ­“tendres langueurs” selon l’expression propre à l’un des fils du vieux Bach. Non, la seule réponse, c’est la restitution pleine et entière de la vie, avec tous ses phénomènes vibratiles, ses chaînes d’associations infinies et ses millions de variantes mentales ! Qu’une telle approche puisse être taxée de « rêve romantique de la totalité » en dit long sur le mépris de nos contemporains… 

Saisis d’une incroyable cuistrerie de rongeurs, nous avons découpé l’amour en tranches sensuelles, psychologiques et morales.  Aujourd’hui, nous passons cahin-caha de la morale au corps et du corps à l’âme, avec les secousses du tortillard cahotant sur des bouts de rail mal ajustés.

L’aspiration à la totalité sera-t-elle toujours burlesque?

Il y a du libéralisme à Byzance, du cosmos hellène dans le gothique français, du juif en Dieu, du classiscime chez Freud, du bouddhisme au Portugal, etc. – l’Histoire reste et demeure le marché aux puces de toutes les perspectives!

Devant le Tintoret, j’ai assumé et déclaré divine cette sensiblerie universelle – et me suis promis de l’élever au rang d’une sainte logique!

Nous ne vivons pas pour l’art – jamais de la vie! – mais pour quelques grains de poudre abandonnés sur nos cravates!

Oui, seul le désespoir est à même de répandre sur cette terre la beauté divine, seule la mort conjugue la polychromie, seul l’enfer apporte le salut, seule la folie accède à l’intelligence, seule la maladie brille de mille éléments, seul le non-sens est méritoire – seul, enfin, le Mal peut fournir les contours d’un sujet!

est-ce le détail qui contient la vérité – ou celle-ci réside-t-elle dans l’essence?

Si le prochain existe, c’est faute de mieux

Miklos Szentkuthy, En marge de Casanova, Bréviaire de Saint-Orphée 1, Vies Parallèles, 2015, trad. G.Kassaï & Z.Bianu.

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« Renaissance noire » de Miklos Szentkuthy. https://www.librairie-ptyx.be/renaissance-noire-de-miklos-szentkuthy/ https://www.librairie-ptyx.be/renaissance-noire-de-miklos-szentkuthy/#respond Tue, 04 Feb 2014 09:05:59 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3786

Lire la suite]]> Renaissance noire couv finaleMa vie toute entière n’est qu’un aboi guerrier lancé à la face du « nom ».

De quoi sommes nous fait?  Assurément de ce qui nous précède.  Mais s’il nous parait évident d’appliquer cette logique à nous-mêmes, le passé nous semble composé d’éléments clos sur eux-mêmes.  Nous saisissons l’histoire par blocs.  La Renaissance est humaniste et pas autre chose.  Le baroque est extravagant et n’est que cela.  On découpe le réel en tranches.  On le débite pour mieux le circonscrire.  Mais on en oublie vite qu’il n’est pas cela.  Que le mode opératoire de connaissance d’une chose n’est pas la chose.  Pour retrouver vraiment l’homme, il convient d’aller par-delà le morcellement qu’a opéré sur lui l’histoire.

tous les moyens sont bons, des plus débiles aux plus sublimes, pour faire revivre un mort.

Renaissance noire, deuxième tome du chef d’œuvre de Miklos Szentkuthy, Le Bréviaire de Saint-Orphée, est centré sur la personnalité de Monteverdi.  Mais le centre chez Szentkuthy est très large ou comme percé de traverses.  Et approcher Monteverdi se fait chez lui avec Saint-Dunstan, Brunelleschi ou Roger Ascham.  Soit un Evêque mort en 988, l’inventeur de la perspective au 15ème siècle ou le précepteur de Elisabeth Tudor, mort en 1568, soit un an avant la naissance du génial créateur de l’Orfeo.  C’est bien la première chose qui frappe à la lecture de Renaissance noire : l’anachronisme.  Non pas l’anachronisme vécu comme erreur, ni forçage, mais comme procédé.  Par lequel se construit la possibilité de recomposer une histoire qui ne soit plus une succession d’instant mais un flux.  Un flux dont émerge l’idée d’un homme qui ne peut accéder vraiment à l’existence qu’hors de soi.

Que mon désir atteigne son but « hors de moi » et qu’ainsi j’appartienne à l’existence.

Et dans ce flux qu’est l’histoire, si elle est vécue comme telle, se donnent à contempler des « périodes », des « tendances » qui ne sont plus cloisonnées mais issues, aussi, de leurs contraires.  Disparait peu à peu le mirage d’une histoire progressive, logique, sagement « rangée », derrière la réalité d’un maelström.  Du sein duquel douter d’un dieu peut être signe d’affectueux respect et la prière d’odieux blasphème.  D’où l’harmonie d’une orbe peut surgir d’autre part que d’un esprit éthéré.

chaque orbe jaillit des mains d’une fille de joie.

La Renaissance de Miklos Szentkuthy est noire car reconnaissant provenir de son inverse.  L’enchâsser dans une filiation sagement et strictement hellène est la dépareiller de ce qui la constitue vraiment.

Les juifs ont adoré Balaam et les Romains Isis parce que ces dieux étaient autres.

Il n’existe aucune ville au monde dont « l’essence » ne se constitue de quelque noyau d’étrangeté, voire d’hostilité à elle-même.

Du même ne sourd que le même.  C’est la puissance de l’attrait troublé de répulsion pour l’autre qui fonde tout changement marquant.  Et l’assassinat du baroque [qui est causé] par sa propre apologie.

Mais le projet de Miklos Szentkuthy n’est pas d’enrichir l’exégèse renaissante d’un nouvel opus.  Son bréviaire (rien n’est jamais ironique dans ce bréviaire.) n’a d’autre objectif que d’épuiser le réel.  Par la parole.  En travaillant celle-ci.  La ciselant.  L’enrichissant, la fécondant de son érudition, tel Zeus se répandant sur Danaé.

Il n’est aucun dieu, seulement des jeux de mots – science souveraine à même d’éclipser la religion et de supplanter la philosophie.

Que des mots!  Dont on joue…  Non pour créer un ailleurs au réel.  Mais, à l’exact opposé de la facilité, pour l’approcher, toujours plus près.  Jusqu’à le toucher.  En définissant avec la plus grande précision l’imprécision des choses.

Comme il n’y a de Joyce que Joyce, ou Proust que Proust, il n’y a de Szentkuthy que Szentkuthy.  La prose du génial hongrois est résolument autre.  C’est cela qui la rend obligatoire.  Et c’est dans le constat qu’elle opère a priori de l’inéluctable échec auquel elle se destine qu’elle laisse entrevoir le plus sublimement son indispensable vitalité.

Un tel art ne peut être que tragique, résigné, mutin, vengeur même, puisqu’il doit se souvenir d’oublier sans fin ce qui le fonde : la vivante identification à toutes les vies présentes ou passées – et laisser, terrible fardeau! ce désir inassouvi jusqu’à la tombe.

Miklos Szentkuthy, Renaissance noire, 2016, Vies Parallèles, trad. Georges Kassai & Zéno Bianu.

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