Chevillard – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Défense de Prosper Brouillon » de Eric Chevillard. https://www.librairie-ptyx.be/defense-de-prosper-brouillon-de-eric-chevillard/ https://www.librairie-ptyx.be/defense-de-prosper-brouillon-de-eric-chevillard/#comments Wed, 13 Sep 2017 07:33:14 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6989

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Il y a quelques années, nous décidâmes de décorer les murs de nos lieux d’aisance des phrases les plus représentatives d’une certaine littérature (comment la nommer d’ailleurs : « littérature a succès », « best-sellers », « textes à concours »?) glanées au cours de nos consciencieuses lectures. Notre objectif, modeste, n’étant autre que dans le même temps soulager vessie et intellect, nous n’avions jamais osé penser retrouver l’une de ces phrases dans un roman du célèbre Prosper Brouillon! Quelle ne fut pas notre surprise donc lorsque nous lûmes cette phrase, tirée de l’essai commis par monsieur Chevillard sur la dernière Oeuvre de l’illustre Brouillon, Les Gondoliers :

Le tam-tam sourd de l’absolu l’appelait vers une rencontre non capitonnée, un amour tissé de vérités dangereuses pour soi et pour l’autre.

Immédiatement, nous nous précipitâmes vers nos toilettes et comparâmes la page chevillardienne, elle-même stricte recension de la page brouillonienne, avec nos murs, elle-même stricte recension – croyions-nous! – d’une page jardinière : les mêmes mots dans le même ordre, kif-kif, idem, itou!

Fierté! Joie! Quels autres mots – diantre, nous ne sommes pas auteurs, nous! – utiliser pour nommer le sentiment qui nous gonfla, comme la voile de l’amour se gonfle du vent des yeux de l’aimée – parfois, cependant, on s’y essaie. Fiers, joyeux, comment ne pas l’être alors que quatre ans avant sa subtile analyse par monsieur Chevillard, nous avions nous mêmes extirpé ce joyau de son écrin jardinier, dans un geste qu’il convient donc bien d’appeler propitiatoire? Quelle belle communauté d’esprit que l’avant-garde littéraire! Hein? Non mais?

Mais, fi de cette note personnelle, revenons-en au propos de cet essai qui fera date.

Prosper Brouillon vend. Il vend beaucoup. Ses livres partent si bien, si vite, qu’on pourrait croire qu’il les donne. Le premier tirage s’écoule aussi vivement que la semence de l’adolescent qui entrevoit un sein par une échancrure.

Rendre justice. Et faire rendre gorge aux grincheux, aux frustes, aux jaloux, qui, sous prétexte qu’il vend par tombereaux, considèrent Prosper Brouillon pour qualité négligeable. Tel est donc l’objectif de monsieur Chevillard. Objectif oh combien risqué. Car, d’une part, à se heurter frontalement aux nombreux contempteurs de l’oeuvre de l’immense Brouillon, le défendeur s’expose à leur ire vengeresse, et, connaissant leur assiduité à haïr qui s’élève plus haut qu’eux, s’y condamne même ; d’autre part, car à approcher d’aussi près les arabesques, les métaphores, les métonymies, les oxymores, les audaces encore sans nom, de la forme brouillonienne, l’essayiste engage dans son juste combat sa santé même, telle la mouche s’engluant dans le ruban tentateur. Comment sortir indemne en effet de l’analyse scrupuleuse des exemples qui suivent – alors même que leur lecture seule nous saisit déjà de vertige :

Je suis ton Hitler et tu es ma France. Ne t’inquiète pas, je ne te demande rien en échange de mon occupation de ton territoire spirituel.

Les vestiges de sa queue s’agitaient en tous sens.

Nul n’échappe à la pois de cette prose…

Alors, certes, l’objectif n’est que partiellement réussi. Car l’échec est inhérent à la tentative. L’oeuvre de Prosper Brouillon est si vaste. Sa prose est si prodigue. Son talent, si profus. Comment reprocher à son plus ardent défendeur quelques approximations, quelques oublis :

La France est une façon de mourir un dimanche.

La, la, reli… drela

Le soir, très absente dans ses bras, elle lui faisait encore l’aumône de son corps mais sans rien livrer d’elle-même.

Et puis, comment embrasser complètement une Oeuvre qui s’écrit encore et encore, à flots continus et intarissables. Ainsi ne peut-on reprocher à monsieur Chevillard de n’avoir pas encore pu découvrir des pans entiers de l’art brouillonnien qui paraîtront prochainement – à l’heure d’écrire ces quelques lignes, nous dépeçons à peine le cadavre de la rentrée littéraire. Qui plus est sous d’autres noms. Car le style brouillonien, modeste mais profus, prospère dans l’hétéronymie.

J’ai encore sur mes lèvres carbonisées le goût des siennes – c’étaient des lèvres douces et tendres comme la chair des papayes, elles avaient la couleur rose du jus de grenade et le goût de noisette des graines de sésame qui parsèment les petits pains du matin et qu’elle aimait lécher le soir sur les doigts de ma main

la mer était très salée, mais déjà douce et tiède, sirupeuse : on aurait dit un mélange de miel et de lait dans lequel une salière géante se serait déversée

A vingt et un ans, à peine dépucelés de l’entrejambe, on était encore puceau de l’horreur.

Au vrai génie, il faut sa sentinelle. Comme la carangue royale (ou la crevette rayée, cette oubliée) l’est au squale, monsieur Chevillard, en patient et courageux éclaireur de l’avant-garde, s’affirme comme l’un des plus grands serviteurs d’une des œuvres les plus remarquables de ces quatre derniers millénaires.

Eric Chevillard, Défense de Prosper Brouillon, 2017, Noir sur Blanc, illustrations de Jean-François Martin.

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« Ronce-Rose » de Eric Chevillard. https://www.librairie-ptyx.be/ronce-rose-de-eric-chevillard/ https://www.librairie-ptyx.be/ronce-rose-de-eric-chevillard/#comments Thu, 05 Jan 2017 09:11:27 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6442

Lire la suite]]> Ronce-Rose

 

Si Ronce-Rose pend soin de cadenasser son carnet secret, ce n’est évidemment pas pour étaler au dos tout ce qu’il contient. D’après ce que nous croyons savoir, elle y raconte sa vie heureuse avec Mâchefer jusqu’au jour où, suite à des circonstances impliquant un voisin unijambiste, une sorcière, quatre mésanges et un poisson d’or, ce récit devient le journal d’une quête éperdue.

Le quatrième de couverture a bien pour fonction d’aguicher, non de dévoiler – ou tout au plus d’en soulever un coin, de ce voile. Et si le quatrième en question revient, comme ici, sur sa fonction, ce n’est pas pour qu’un libraire, se confondant avec un herméneute, se livre à une exégèse exhaustive de la chose. Diantre, le libraire est commerçant avant tout. Et, plutôt que de s’étendre en long, en large et en travers dans une analyse circonstanciée qui pourrait dégoûter le chaland – la critique littéraire est au tiroir-caisse de librairie ce que la cryogénisation est à la libido – il est bien plus indiqué que le libraire, cet aigri aux cheveux gras et aux branches de lunettes en sparadrap, ne cherche pas à devenir calife à la place du calife. Chacun à sa place et les vaches seront bien gardées!

Nous ne dirons donc pas grand’chose d’intelligent sur ce dernier opus de Eric Chevillard sinon qu’on y apprend :

  • que le savon mousse de peur, comme l’escargot bave.
  • que la responsable de ce jet d’eau en plein milieu du square n’est autre que la baleine
  • que les gens te font toujours payer leur solitude lisse
  • qu’on dit bien faire la molle et non la moue
  • que ce qui vient après le « comme » est bien plus excitant que ce qui le précède.

Nous ajoutons que ce qu’on y lit en l’ouvrant est bien le carnet de Ronce-Rose et uniquement SON carnet, que, sous ses dehors parfois primesautiers, se dissimulent plein de questions très très sérieuses, que ce Chevillard-ci plaira aux amateurs de ces Chevillard-là mais aussi à tous les autres, et surtout que c’est vachement, mais alors là, vachement bien, et que, comme on ne recule devant rien, et surtout pas devant les clichés, on y collera un gros post-it en forme de cœur sur lequel on inscrira en attaché – car qui n’est surtout pas contre les clichés ne peut l’être contre la redondance – « coup de cœur de la librairie ».

Et voilà!

Eric Chevillard, Ronce-Rose, 2017, Minuit.

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« Juste ciel » de Eric Chevillard. https://www.librairie-ptyx.be/juste-ciel-de-eric-chevillard/ https://www.librairie-ptyx.be/juste-ciel-de-eric-chevillard/#respond Fri, 20 Mar 2015 08:33:57 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5018

Lire la suite]]> juste ciel-Où allons-nous?

En finirons-nous jamais avec cette question si même mort, on se la pose encore?

Albert Moindre n’est plus.  N’en déduisons pas alors qu’il n’a plus rien à nous dire.  Tel Enée portant Anchise, Eric Chevillard charge Moindre mort (on vous laisse imaginer ce que peut représenter un moindre qui n’est plus) sur ses musculeuses épaules et nous convie à visiter un au-delà très loin de l’image que l’on s’en fait d’habitude.

Il se sentait bien.  Plus exactement, il ne sentait rien.  Mais n’est-ce pas là la preuve absolue de l’accomplissement spirituel et moral?

Une gigantesque bureaucratie.  Tel se découvre à nous cet après-trépas fantasmé de longue date.  Divisé en administrations, le « royaume des morts » se dévoile à Albert Moindre (et par son entremise à nous, ébahis) comme une succession de bureaux où des anges-fonctionnaires proposent au tout frais décédé divers services.  Ainsi, à côté de l’inévitable bureau des réclamations (réclamations dont on sait seulement, évidemment, qu’elles « sont bien prises en compte »), on trouve, entre autre exemple, un « bureau des élucidations ».  Où l’on propose au nouveau venu ces solutions aux innombrables problèmes ou questions qui ont, bénins ou pas, enquiquiné son existence.  Ainsi pour Moindre : Palmyre l’aimait-elle? ou Combien de tubes de dentifrice consomma-t’il de son vivant?

tout ce qu’il est possible de confronter dans une phrase se touche aussi dans le monde.

D’une écriture qui titille plus activement vos zygomatiques que jamais, Eric Chevillard démonte cette supercherie qu’est notre existence, toute entière perceptible dans ce qui la suit.  Et se propose, en dénonçant haut et fort la perfidie de cette « pieuvre omnipotente » qui nous créa si bancals, de nous rappeler cette question essentielle (que nous occultons trop souvent) : cette pieuvre, dans sa sardonique cruauté, ne nous dota-t’elle de deux pieds que pour multiplier les risques d’égarer une pantoufle?

Eric Chevillard, Juste ciel, 2015, Minuit.

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« L’auteur et moi » de Eric Chevillard. https://www.librairie-ptyx.be/lauteur-et-moi-de-eric-chevillard/ https://www.librairie-ptyx.be/lauteur-et-moi-de-eric-chevillard/#respond Sat, 15 Sep 2012 06:33:11 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=1397

Lire la suite]]> j’aime tout […] aussi l’oeuf, quel qu’il soit, qui tient si étroitement serrée aussi longtemps que possible la déconvenue.

Tout donc. Sauf une chose : le gratin de chou-fleur.  Dès le début, le narrateur l’affirme sans ambages à une demoiselle aussi mutique qu’à l’oreille charitable.  Le gratin de chou-fleur est sans conteste la pire chose qui soit arrivée à l’humanité.  Rien n’y peut trouver grâce à ses yeux : le chou, ce brassicacée fractal rejouant à l’infini son insignifiance; la béchamel sous laquelle on tente vainement de dissimuler la honte d’être gratin de chou-fleur, et qui perd dans sa glu qui s’y aventure ; la patate commune enfin qui l’accompagne systématiquement de sa médiocrité standardisée.  Et comment même oser comparer le gratin au chou-fleur à la truite aux amandes, si ce n’est comme la négation de l’un par l’autre, dans le gouffre dans lequel l’un annihile l’autre.

Il existe un monde entre le gratin de chou-fleur et la truite aux amandes, et ce monde est justement celui que l’homme a bâti en donnant le meilleur de lui-même pour le rendre habitable, jusqu’à peindre au fond du dé à coudre une scène bucolique avec un pinceau à poil unique prélevé à ses risques et périls dans la barbe du bouc – la civilisation, si vous voulez.

On pourrait croire que le gratin n’est que métaphore (le gratin ressemble-t’il un peu à la littérature, voire au monde?).  On pourrait même en appeler à la comparaison, à la métonymie (le monde ne serait’il pas contenu dans le gratin?).  Cela serait rassurant.  Sous le voile des mots semblant jouer entre eux et se jouer de nous, se découvrirait alors le réconfort d’un rapport au monde.  « Ouf!  C’est ça qu’il veut dire ».  De la bonne vieille littérature bien ancrée dans le réel.  Du message!  Chevillard a enfin assimilé son critique littéraire tout en chevelure ondoyante…  Et non, le « gars » est décidément incorrigible.  Le monde n’est pas comme un chou géant et gratiné, Le monde est […] un chou géant, gratiné.  Et c’est précisément là, dans ce travail de sape du référent (qui, de toute façon, s’incarne toujours dans le lecteur), qu’à l’opposé de ceux qui s’échinent à le trouver vain (« rigolo » mais vain), nous y voyons le génie des plus grands.  Dans cette volonté de se défaire du réel, d’en dévêtir ses mots, d’essayer d’y faire rentrer de l’autre en en contaminant la langue.  D’ouvrir un autre part par le langage.

Les mots me paraissaient plutôt faits pour nommer ce qui n’existait pas et je ne comprenais pas l’intérêt de redoubler l’évidence du réel de cet écho baveux.

Et en plus, on assiste, pas si impuissant qu’il n’y paraît, aux conflits entre l’auteur et le narrateur.  On y suit une fourmi sur 105 pages.  Et on y rit.  Mais surtout, surtout, on y apprend l’émotion qu’il y a à s’entendre dire par l’être aimé ce mot, merveilleux entre tous, qui désigne le tamanoir.

Eric Chevillard, L’auteur et moi, 2012, Minuit.

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