Denoël – ptyx http://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Fri, 07 Dec 2018 08:17:23 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=4.9.4 « Brutes » de Anthony Breznican. http://www.librairie-ptyx.be/brutes-de-anthony-breznican/ http://www.librairie-ptyx.be/brutes-de-anthony-breznican/#respond Fri, 16 Oct 2015 07:47:10 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5537

Continue reading]]> brutesNous devrions avoir peur… En voyant comme il est facile de faire le mal en essayant de pousser les autres au bien.

Alors qu’ils viennent à peine de s’inscrire dans leur nouvelle école de Saint-Mike à Pittsburghs, Lorelei, Peter Davidek et Noah Stein assistent à l’improbable et violente agression dont se rend coupable Colin Vickler. Après avoir planté un stylo dans la joue d’un de ses « condisciples », ce dernier s’enfuit sur le toit de l’école dont il entreprend de faire chuter une à une les statues de saints qui la dominent, tout en balançant sur les élèves médusés de la cour des bocaux remplis de formol…

On est tous la brute de quelqu’un.

Survivant péniblement sur les restes déliquescents d’une tradition chrétienne dont ne subsistent plus qu’à grand’peine de maigres apparences, le système éducatif de Saint-Mike est à l’image du christ en croix qui trône dans ses couloirs : surplombant tout, les bras démesurés, mais accroché au-dessus de la vitrine à trophées et le regard originellement compassé remplacé par deux yeux singeant la surveillance. N’y demeurent plus – et encore – que les miettes preverties de ce qui en fonda l’origine.

Comme tout le monde porte une cravate ici, dès que ces sales connards remarquent quelqu’un avec un modèle un peu différent ils essaient de le pendre avec. Tout ça pourquoi? Parce que ça leur donne un sentiment d’unité, ça fait de l’autre un marginal. S’ils détestent tout ce qui est différent, c’est parce qu’ils sont tous pareils, ces cons.

Devenus amis, Peter Davidek et Noah Stein, en première année confiés au bon vouloir de dernière année selon des rites présentés comme traditionnels mais devenus simplement cruels, devront affronter un système scolaire qui s’est mué en machine à broyer. Devenue figuration baroque d’un enfer sur terre, Saint-Mike sera le lieu où ils perdront bien plus que leur innocence.

Dans ce premier roman tour à tour cruellement drôle, terrifiant, et émouvant, Anthony Breznican réussit avec brio à saisir un monde en plein délitement, dont les repères s’estompant ne servent qu’à mieux corrompre tout qui cherche à en percer l’hypocrisie. Tout en en captant, aussi, la beauté de ce qui résistera toujours à l’ignominie.

ce qu’on abandonne quand on est jeune, on l’abandonne pour le restant de ses jours.

Anthony Breznican, Brutes, 2015, Denoël, trad. Mathilde Tamae-Bouhon.

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« La maison des feuilles » de Mark Z. Danielewski. http://www.librairie-ptyx.be/la-maison-des-feuilles-de-mark-z-danielewski/ http://www.librairie-ptyx.be/la-maison-des-feuilles-de-mark-z-danielewski/#respond Tue, 22 Jul 2014 07:50:22 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3636

Continue reading]]> Maison des feuillesZampano savait d’entrée de jeu qu’ici, distinguer ce qui est réel de ce qui ne l’est pas importe peu.  Les conséquences sont les mêmes.

La maison des feuilles se présente comme un manuscrit écrit par un aveugle, Zampano, retrouvé à sa mort par un de ses voisins, Johnny Errand.  Ce manuscrit est une exégèse d’un film, le « Navidson Record », au cours duquel (pour faire simple, hein! parce que ça se complique diantrement par la suite) le réalisateur découvre que la maison dans laquelle il vient d’emménager en Virginie ave sa famille, est plus grande à l’intérieur qu’à l’extérieur.  Le manuscrit, lui-même abondamment annoté par Zampano, l’est aussi par Johnny Errand qui s’en sert comme d’un palimpseste pour nous conter sa vie.  Et donc (pour faire simple, je le rappelle), au fur et à mesure qu’on découvre ce qu’il arrive à Navidson, le réalisateur plongeant dans les entrailles de sa maison, on en apprend plus sur la réception de son film, sur la vie de Zampano et sur celle de Johnny Errand.  Ca s’appelle (pour, envers et contre tout, rester simple) un récit enchâssé.

C’est ce que c’est.

Et ce que c’est, pour qui se contenterait d’y passer distraitement un doigt sur la tranche, c’est d’abord un objet étrange.  Où l’on aperçoit des mots en bleu, d’autres à l’envers, d’autres barrés, des pages blanches, des typos différentes, des effets de transparence…  Pour qui s’y arrêterait s’en dégagerait un sentiment mêlé de futile et d’hermétisme.  Le premier effet que provoque un livre de Mark Z. Danielewski est celui-là.  De confronter « l’aspirant lecteur » à son propre trouble.  Face à l’objet, soit on se laisse submerger par la crainte que laisse perler en nous toute confrontation à une différence si radicale, soit on s’abandonne à cette différence, y saisissant que seule la confrontation avec cet ailleurs peut provoquer la joie.

C’est presque comme si le fait d’entrer, sans parler d’un but – n’importe quel but – face à ces régions sombres et infinies, était une raison suffisante pour se réjouir.

Et tout de suite, qui s’y lance y découvre, tout en se prenant dans les rets de la fiction (et ce sans difficulté, sans les aspérités qu’on s’attendait à y trouver, tout entier livré au « plaisir de lire »), y découvre donc que ce sont les faiblesses de la représentation qui sont ici mises en jeu.  Et que le travail de l’auteur est d’y pallier.  Ainsi la transparence des pages permet-elle de jouer sur le sentiment de ce qui va advenir.  Le texte en miroir atteste d’une page faite de trois dimensions (et non la crée, car c’est bien la page en deux dimensions qui est l’illusion).  Comme l’explorateur s’enfonçant dans l’obscurité de la maison, dont il ne peut atteindre ni même apercevoir les limites, les blocs de phrases sur la page s’éloignent de ses marges de papier.  Comme Navidson tournoyant dans un vide sans repères, les mots quittent leurs lignes.  Tout, dans la maison de Davidson, pose la question du réel (Je flotte ou je tombe, je ne sais pas.).  Tout, dans La maison des feuilles, se doit de le faire ressentir.

La maison de Navidson peut-elle exister sans qu’on en fasse l’expérience.

Mieux même, et plus subtilement renversant, c’est ce dont on fait l’expérience qui existe.  Et en transcrivant sur la page l’expérience de l’étrange, de l’ailleurs, qu’il se propose de conter, c’est cet ailleurs même que l’auteur fait advenir.

Il semblerait donc que le spectre qui hante le « Navidson Record » et ne se cesse de se ruer contre la porte, soit tout simplement la menace de sa propre réalité.

La théorie de la relativité, la mécanique quantique, aujourd’hui la théorie des cordes nous ont ancré dans une réalité que nos perceptions habituelles ne peuvent plus saisir dans toute son étendue.  Le réel n’est plus ce qu’il était.  Et le génie de Danielewski est précisément là.  Son œuvre, comme de petits flocons qui rongent nonchalamment de minuscules parcelles de sens, bien loin de simplement malmener le réel, le creuse en fait à chaque page plus profondément.

Bien sût, les ténèbres existeront toujours mais je sais désormais que quelque chose les habite.

Mark Z. Danielewski, La maison des feuilles, 2002, Denoël, trad. Claro.

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« L’épée des cinquante ans » de Mark Z. Danielewski. http://www.librairie-ptyx.be/lepee-des-cinquante-ans-de-mark-z-danielewski/ http://www.librairie-ptyx.be/lepee-des-cinquante-ans-de-mark-z-danielewski/#comments Wed, 04 Dec 2013 08:52:42 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3349

Continue reading]]> epee des cinquante ansTarff, Ezade, Iniedia, Sithiss et Micit sont cinq orphelins conviés, lors d’une fête donnée à l’occasion de l’anniversaire des 112 ans de Mose Dettledown,  à écouter le récit qu’un raconteur d’histoire fait de ses pérégrinations.  Le tout sous le regard de Chintana et de Belinda Kite, rivales amoureuses.

Mais ce que je vais vous montrer, je dois aussi vous le dire.  Je n’ai que moi-même, là où je suis allé, ce que j’ai trouvé et maintenant ce que je rapporte.

Montrer.  Dire.  Comme il l’avait déjà tenté dans La maison des feuilles ou O Révolution, Mark Z. Danielewski utilise tout l’espace qu’offre le livre pour signifier.  Le texte est parsemé de reproductions de broderies en couleurs.  Chaque phrase est placée entre guillemets de couleur différente pour illustrer qui prend la parole.  Tout fait sens.

Imaginez en chaque son le soupir d’une unique chose périssant et qu’au lieu que les sons viennent l’un après l’autre, il s’exhalât un soupir de toutes choses en même temps.  Quel serait ce son?

C’est ce son que parvient à traduire l’écriture de Danielewski.  Rarement une écriture aura à ce point réussi à faire corps avec les voix qu’elle est sensée déposer sur la page.  Tels les fils de la broderie tissant en vis-à-vis des images, tour à tour soliste, duo, quattuor ou chœur, la phrase de Danielewski se fait partition.  Et cela, sans que jamais le lecteur ne soit laissé sur le bord du chemin.

(mais y a-t-il une brise si je peux encore la sentir sur mon visage?)

Formelle, sans conteste.  Mais jamais artificielle.  Car utilisant l’artifice a fin de signifier mieux.

muet et sans forme mais venant s’ajouter allez savoir pourquoi à quelque chose dont Chintana ne savait dire que le mot.

Ce qui intéresse l’artiste est ici ce quelque chose, quel qu’il soit, dont on ne connaît que des parties éparses et dont il conçoit être de sa compétence d’en traduire une image complète.  Le mot jeté sur la page ne suffit plus.  Il y faut organiser ce qui lie ce mot au lecteur.  Car, après Joyce, Faulkner, Simon, Lowry, on sait que c’est en lui que ça se passe.  Et que ce qu’on a à dire ne peut faire l’économie d’à qui on le dit.  L’Epée des cinquante ans est une histoire d’ogre moderne, de rivalités amoureuse, de papillon, mais aussi et surtout une polyphonie dont la sublime beauté ne trouve à éclore que dans l’interprétation qu’en joue le lecteur.

Et pouvez vous imaginer ce que ça fait de marcher sur l’ombre d’un jour?  Moi, je ne le puis point, mais n’en ai point besoin.

Mark Z. Danielewski, L’épée des cinquante ans, 2013, Denoël.

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« L’entrée du Christ à Bruxelles » de Dimitri Verhulst. http://www.librairie-ptyx.be/lentree-du-christ-a-bruxelles-de-dimitri-verhulst/ http://www.librairie-ptyx.be/lentree-du-christ-a-bruxelles-de-dimitri-verhulst/#respond Fri, 22 Feb 2013 11:06:36 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=2191

Continue reading]]> entrée du christEt si, comme l’espérent nombre de croyants, le Christ revenait.  Et si, comme l’avait déjà imaginé Ensor, le Christ choisissait comme lieu de parousie Bruxelles, la capitale de l’Europe et de cette Belgique, qui malgré les coup de boutoir de « Belgïe barst » toujours plus fréquents, n’a toujours pas crevé.

la Belgique n’a toujours pas crevé […] Bien sûr que la Belgique allait un jour cesser d’exister pour être remplacée par quelque chose dont l’éternité serait tout aussi peu garantie.  Longue vie n’est donnée qu’aux éponges, et même elles doivent tôt ou tard dépérir.

En quatorze stations, Dimitri Verhulst explore ce que cette annonce de la venue du Christ à Bruxelles (qui plus est un 21 juillet, fête nationale belge) peut porter en elle d’espérance et de questionnement.  Car cette entrée, on s’en doute, nécessite toute une préparation.  Quelle sera l’itinéraire du Christ?  Qui l’acceuillera?  Que lui faire visiter de la ville?  Et, bien évidemment, dans une ville à la complexité institutionnelle pour le moins remarquable, toutes ces questions d’organisation prennent des dimensions inconnues autre part.  Occasion pour l’auteur, en mauvais flamand revendiqué, de nous réjouir d’envolées sur le nationalisme ambiant.

Chaque année, les partisans rabiques d’une Flandre indépendante – quatre autobus en tout -, accompagnés de deux curés et d’un tonneau d’encens, se rendaient dans les polders pour y prier dans la verte nature fleurant bon le purin, saisis par la conviction que le Créateur approuvait leur idée de séparatisme, et évoquer ensuite les ressentiments d’une minorité opprimée. Roulements de tambour et jeux d’étendards en prime.  Lorsqu’à une autre date de leur calendrier, la joie que leur procurait leur identité culturelle avait gonflé au point de devoir exploser en chansons, ils se rassemblaient au Palais des Sport d’Anvers et hurlaient en choeur « Sur la bruyère pourpre », « Je vois des petites loupîotes sur l’Escaut » et « Mieke, tiens-toi aux branches des arbres » de même que, bien entendu, des tubes profanes.

Et quand la question se pose de savoir qui pourra accueillir le Christ dans sa langue, l’araméen, suprême renversement d’une société qui le considère comme son pire danger, l’étranger (pire l’illégal, le sans-papier) devient le seul espoir d’une communication avec le Sauveur.  C’est ainsi Ohanna, onze ans, dénichée par les services des Affaires étrangères dans le centre 127 bis pour sans-papiers qui sera désignée pour accueillir le Christ, ses origines ainsi que ses dons naturels la prédisposant à comprendre l’araméen ancien.  Et dans les rêves d’Ohanna accompagnant le Fils de Dieu à la découverte du vrai Bruxelles non fantasmé, ce sont moins ces réalités qu’ils découvrent ahuris que les convictions extirpées de ces réalités par des imbéciles.

Et là ils découvrent la conviction qu’aucun de ces semeurs de gale n’a finalement besoin d’une aumône, nous sommes un pays doté de tout l’équipement social nécessaire, celui qui veut être aidé reçoit de l’aide ; en définitive, ces losers dorment dans la rue par ce que c’est là leur choix personnel.  Les bébés qui dans les bras d’une maman d’allure misérable font appel à la compassion de ceux qui mettent tout simplement leur progéniture à la crèche pendant leurs heures de travail sont en vérité de vrais bébés, mais loués à un service mafieux de prêt qui a compris qu’une escarcelle agitée par une main de mère sonne mieux.  Ils découvrent en passant les convictions que ces vagabonds sont déposés à leur poste de mendiant le matin en taxi, une Mercedes noire, et rembarqués le soir par ce même véhicule.  Ils font partie d’une firme bien organisée et extrêmement lucrative, le commerce de la misère, et en vérité, en tant que citoyen soumis à l’impôt, faut être fou pour suer encore la moindre goutte pour un employeur, quand on voit ce que l’on peut ramasser comme fortune en restant bêtement assis sur son cul dans un hall de gare.

Par delà un humour naviguant entre tendresse et corrosion, touchant au sarcasme, jamais au cynisme, Dimitri Verhulst interroge bien plus que la « belgitude » : l’identité, comme cette chose à laquelle, si nous n’y prenons garde, nous nous laissons appartenir!

Etre bruxellois et belge n’est pas un mérite, et pour être honnête je me suis toujours méfié des gens qui arborent leur nationalité comme un label de qualité […]  Je suis ce fou inoffensif qui rêve doucement d’un monde sans nationalités, sans drapeaux. […]  Si j’étais né au centre de la Papouasie, je vanterais le confort d’un étui pénien!.

Dimitri Verhulst, L’entrée du Christ à Bruxelles, 2013, Denoël, trad. Danielle Losman.

 

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