Krasznahorkai – ptyx http://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Fri, 07 Dec 2018 08:17:23 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=4.9.4 « Seiobo est descendue sur terre » de Laszlo Krasznahorkai http://www.librairie-ptyx.be/seiobo-est-descendue-sur-terre-de-laszlo-krasznahorkai/ http://www.librairie-ptyx.be/seiobo-est-descendue-sur-terre-de-laszlo-krasznahorkai/#respond Fri, 30 Mar 2018 07:46:12 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7524

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il lui aurait pourtant suffi de regarder

Un gardien de musée tombé sous la fascination de la Vénus de Milo. Un rite shinto gardé secret pendant plus d’un millénaire que l’on dévoile peu à peu à des chercheurs. Les difficultés qu’éprouvent des spécialistes à attribuer à un auteur peu connu une oeuvre exceptionnelle de la Renaissance italienne. Un sans-abri praguois qui découvre, lors d’une exposition à Barcelone, la copie d’une icône majeure. Voyageant dans le temps, l’espace, et se défaisant des frontières culturelles, Laszlo Krasznahorkai nous enjoint à regarder autrement ce que nous nommons l’art, quelles qu’en soient les formes.

l’Alhambra se dresse sans but et sans raison, et personne ne comprend pourquoi il se dresse là, et personne n’y peut rien

Comme l’Alhambra en est un exemple paradigmatique, l’art conjoint, dans un entrelacs souvent indémêlable, les causes et les effets de l’admiration qu’on lui porte. Cette admiration, l’oeuvre la suscite-t-elle seulement elle-même? Ou ne sont-ce pas nos propres allégeances culturelles, conscientes et inconscientes, qui, une fois projetées dans l’oeuvre, en viennent à lui bâtir un piédestal? Ou y a t-il quelque chose qui soit inhérent à l’oeuvre, qui ne dépende de rien qui lui soit extérieur, et qui la constitue comme telle digne du regard? Et aussi, l’essence même de ce qui la rend unique ne dépend-t-elle pas inéluctablement de quelque chose d’inconscient dans l’acte qui l’a créée? Pourquoi l’Alhambra a-telle été posée là? Quelle fut sa fonction? Qui l’a construite? Alors que, dans le cas de cette merveille architecturale par exemple, aucune « raison » définitive ne peut venir « justifier » sa construction, nous ne pouvons nous contenter du simple constat de sa beauté – le « c’est beau et puis voilà ». Sans doute parce que nous sommes désemparés par cette beauté, nous nous sentirons toujours enclins, à défaut de pouvoir lui en « trouver », à lui « créer » des raisons. Cette quête venant alors participer de la construction  du beau. Peut-être est-ce alors justement cela, ce désarroi ancestral mais toujours vécu comme neuf, mêlé d’un savoir érudit et de ce qui toujours y échappe, qui nous saisit devant la chose « belle », qui forme alors notre plus sure manière de la reconnaître comme telle et dire que oui, décidément, elle est « vraiment belle »…

Ne pas savoir quelque chose est un processus complexe, dont l’histoire se déroule dans l’ombre de la vérité. La vérité existe. Puisque l’Alhambra existe. Il est la vérité.

Laszlo Krasznahorkai est de ces rares écrivains qui parviennent à dire ce qui, sinon, demeurerait dissimulé. En nous permettant d’approcher – en lui donnant une « expression » – le beau, il démontre que c’est de cela qu’une littérature se nourrit, de la possibilité qu’elle offre, lorsqu’elle est poussée dans ses retranchements, de toucher au caché, au sacré. La littérature devient alors, pour notre plus grande joie, un acte qui révèle…

Tenue secrète dans son essence, révélée dans son apparence.

Laszlo Krasznahorkai, Seiobo est descendue sur terre, 2018, Cambourakis, trad. Joëlle Dufeuilly.

 

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« Tango de Satan » de Laslo Krasznahorkai. http://www.librairie-ptyx.be/tango-de-satan-de-laslo-krasznahorkai/ http://www.librairie-ptyx.be/tango-de-satan-de-laslo-krasznahorkai/#respond Fri, 14 Apr 2017 07:51:10 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6786

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Il n’y a pas de salut, tête de chou-fleur.

Dans le village d’une coopérative en complète déliquescence, les villageois attendent, entre espoir et désillusion, le retour d’Irimias, qu’une rumeur avait prétendu mort. Alors qu’il pleut sans cesse, couvrant tout de boue, qu’un vent incessant siffle aux oreilles de chacun, un carillon lointain retentit soudain, et sourd, mystérieux, parait suspendre même l’attente.

Ce monde dans lequel nous naissons […] est cloisonné comme une porcherie et, comme les cochons qui se roulent dans leur propre fange, nous ignorons quand cesseront les combats permanents autour des mamelles nourricières, ces éternels corps-à-corps sur le tracé qui mène soit à l’auge soit, lorsque tombe le crépuscule, à la couche.

Madame Schmidt, figure même de la séduction, qui trompe son mari avec Futaki, Madame Kraner qui met ses derniers espoirs dans une religion vécue ad minima, la mère et filles Horgos qui se prostituent, l’ancien maître d’école, devenu aubergiste, qui est obsédé par les araignées, le docteur, obèse et cantonné à son fauteuil, qui s’obstine à témoigner de la marche du monde, tous, sombrés dans la concupiscence et l’alcool, semblent s’engluer à chaque pas un peu plus dans une Sodome et Gomorrhe sans espoir. Et parmi ceux-ci, Estike, l’enfant tentée par la mort, figure d’une innocence définitivement impossible, et Irimias, le rédempteur, image même de la conscience.

Elle repensa à la journée passée et, le sourire aux lèvres, comprit comment les choses étaient liées ; elle savait que les événements qui s’étaient déroulés n’étaient pas unis par le hasard mais qu’un sens d’une inexprimable beauté les reliait au-dessus du vide.

Dans un monde où tout s’écroule, chaque étincelle d’une possible rédemption, en allumant en chacun un bref feu d’espoir, rejette dans l’ombre les origines parfois fort troubles de celle-ci. Tyrannie, opprobre, le mal fait à autrui, qu’importe la contrepartie. Seul ne compte plus que le salut. Et, qu’elle soit préfigurée par un ersatz de dieu ou de christ, par une cloche lointaine, par le souvenir d’une histoire antédiluvienne, chaque pâle copie d’une possible rédemption, une fois déçue, entraîne vers la suivante. Et la suivante vers la suivante. Ainsi de suite et sans fin. Dans cette farce des ténèbres, où chacun est enclos sans fuite possible, c’est la vie elle-même, tissée de tout ce qu’elle propose de plus désespérément sombre, que saisit le génial hongrois. Rarement plongée aussi vertigineuse dans l’irrémédiable aura généré à sa lecture une si subtile réjouissance.

et la pluie se remet à tomber, à l’est le ciel s’illumine à la vitesse d’un souvenir, se pare de reflets rouges, bleu aurore, s’agrippe aux vagues de l’horizon, et avec une détresse bouleversante, comme un mendiant qui chaque matin gravit péniblement les marches de l’église, voici le soleil qui s’élève pour créer les ombres, détacher les arbres, la terre, le ciel, les animaux, les hommes, de cette union glaciale, chaotique, où ils se sont laissé enfermer, telles des mouches dans un filet, et dans l’immensité du ciel il aperçoit la nuit qui s’enfuit de l’autre côté, vers l’ouest de l’horizon, là où l’un après l’autre, chacun de ses frêles éléments vient s’effondrer, comme les soldats désespérés, désorientés d’une armée vaincue.

Laszlo Krasznahorkai, Tango de Satan, 2000, Gallimard, trad. Joëlle Dufeuilly (réédition en Folio poche, 2017)

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« Sous le coup de la grâce » de Laszlo Krasznahorkai. http://www.librairie-ptyx.be/sous-le-coup-de-la-grace-de-laszlo-krasznahorkai/ http://www.librairie-ptyx.be/sous-le-coup-de-la-grace-de-laszlo-krasznahorkai/#respond Mon, 18 May 2015 06:22:38 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5248

Continue reading]]> Sous le coup de la grâce.

 

 

il comprit qu’il avait jusqu’ici vécu dans l’inconscience la plus profonde et s’était laissé mener par le bout du nez, servile tout le temps qu’il avait cru obéir à la volonté divine en séparant le monde entre êtres utiles et nuisibles, car en vérité ces deux catégories découlaient de la seule et même cruauté impardonnable que les feux de l’enfer, tout au fond, pavent si bien.

Un garde-chasse à qui l’on confie, peu avant sa mise à la retraite, de « gérer » une parcelle de forêt restée jusque là sauvage et inextricable, un assassin inexpérimenté qui se rend chez le barbier après son premier forfait, un haut fonctionnaire du fisc qui décide, « la fin de l’unité nationale étant annoncée », de « disparaître un certain temps du paysage » avec sa compagne jusqu’au « retour de jours meilleurs » : tous les personnages que met en scène Laszlo Krasznahorkai sont au bord d’un profond changement.  Et que celui-ci soit la conséquence d’évènements extérieurs ou plus intimement lié à leur existence propre, toujours elle paraît survenir d’un ailleurs diffus.  On sait que le changement est la conséquence de quelque chose, mais jamais il ne nous est dit de quoi.  La raison du meurtre, les causes du changement de régime, le pourquoi du caractère sauvage d’une partie de forêt comme la volonté subite d’y remédier : tout cela reste mystérieux, baigné dans l’ignorance des causes premières.

Ainsi en va-t-il dans bien d’autres domaines de la vie : on tient en main toute la pelote, mais impossible de rien démêler.

L’une des raisons profondes de l’originalité du génial hongrois tient là, dans cette conjonction qu’il installe entre le désarroi de ses personnages et celui du lecteur.  Comme le garde-chasse, l’assassin ou le fonctionnaire, celui-ci est au bord d’un changement dont il ne maîtrise ni ne comprend les causes.  Et dans cet espace incertain, il est tiraillé entre la liberté que lui octroie l’imagination de celles-ci et le désarroi d’avoir à les imaginer.  La liberté désempare!

Cet ordre qu’orchestre la puissance invincible de l’irrévocabilité consume sans merci quiconque en reste à l’amertume de ne pouvoir se dominer – se réinventer, mourir et renaître – soi-même.

S’il existe un espace libre, il ne va pas sans les contraintes inhérentes à la condition humaine.  Contraintes que ne font souvent que renforcer les hommes s’organisant entre eux.  Et ce que nous démontre Laszlo Krasznahorkai c’est que s’il est impossible d’échapper au déterminisme de nos existences, une vie humaine ne peut se dire libre si elle ne passe pas par la détection puis la mise à bas des pouvoirs que l’organisation des hommes présente souvent comme inéluctables.  Tâche qui, dans un monde déserté par la pensée, paraît bien souvent aussi insurmontable que se défaire de notre humaine condition.

L’univers de Laszlo Krasznahorkai n’est pas le nôtre.  Tout comme le désespoir qui s’y lit.  Mais il en est la représentation de son aboutissement.  A s’enferrer dans l’acceptation d’un ordre donné comme extérieur et inéluctable ne nous reste plus même de regard pour le défier.

plus on regarde le monde avec haine et répugnance, plus le monde devient haïssable et répugnant ; à cela près que même si l’on porte sur lui un regard bienveillant et serein, il reste toujours aussi hostile et imprévisible ; si bien que le mieux reste encore de n’avoir aucun regard d’aucune sorte.

Et à ce projet, Laszlo Krasznahorkai (et son traducteur!), donne une langue pour le dire.  Sublime, comme de volutes, d’une inégalable subtilité, elle paraît – comme les personnages à laquelle elle prête une vie si précaire – être sur un bord.  Et fait du lecteur – ô jouissance – un funambule…

on ne peut à soi seul tenir à bout de bras le monde sur le point de s’écrouler.

Laszlo Krasznahorkai, Sous le coup de la grâce, 2015, Vagabonde, trad. M. Martin.

Les voix enregistrées ci-dessus l’ont été lors de l’émission Temps de Pause sur Musique 3 aux commandes de laquelle vous retrouvez les inénarrables Fabrice Kada et Anne Mattheeuws.

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« Guerre & Guerre » de Laszlo Krasznahorkai. http://www.librairie-ptyx.be/guerre-guerre-de-laszlo-krasznahorkai/ http://www.librairie-ptyx.be/guerre-guerre-de-laszlo-krasznahorkai/#respond Wed, 18 Dec 2013 08:49:32 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3571

Continue reading]]> guerre-guerre-couvpourquoi l’auteur ne prenait-il pas la peine de se soumettre aux contraintes minimum imposées par toute œuvre littéraire?

Korim, archiviste de son état, triste par nature, découvre un manuscrit dans une chemise référencée IV- 3/10/1941-42.

il avait ressenti le besoin de relire ce que le hasard avait placé entre ses mains, le relire immédiatement […] car les trois premières phrases avaient suffi pour le convaincre qu’il détenait là un ouvrage peu ordinaire.

Rapidement, l’objectif devient clair.  Ce texte, il doit le recopier, lui donner une vie, une pérennité.

ce manuscrit devait […] être porté « en avant » vers l’immortalité, là où était sa place, et il avait alors pris la décision de mettre sa vie en jeu pour cela.

On suit alors le trajet du copiste d’une région reculée au nord de Budapest jusqu’à New-York (New York, là où il avait décidé de réaliser son projet d’accéder à l’immortalité, puis de mourir.), au travers de ses rencontres.  Réellement au travers de celles-ci.  Car, tout dans Guerre & guerre, n’avance que par celles-ci.  Si Korim parle et parle encore, sans cesse, sa logorrhée ne nous est jamais donnée directement.  Elle ne nous est rapportée que par ce qu’en dit quelqu’un qui l’a rencontré à un autre.  Chaque personnage rencontré prenant la narration à son compte, contant l’action à un autre qui prendra éventuellement à son tour le relais.  Se tisse ainsi une histoire à la fois toute en tension et en mouvement.  Le sol sur lequel repose l’acte de narrer même étant lui-même mouvant (la question de qui raconte à qui étant ici aussi un enjeu), le lecteur est toujours comme en terrain étranger, à la fois indécis, et tendu dans la résolution de cette incertitude qu’il sent approcher.  A la narration des aventures de Korim, s’enchevêtre celle du texte qu’il copie peu à peu.  Mais là aussi par l’expédient de ce que le copiste en ressent.

Pourquoi inventer, même secrètement, même dans une tour d’ivoire, même sans intention de la rendre publique, une histoire pareille […] quel était le sens, l’intérêt de tout cela?

Le seul but ici est de faire une œuvre de beauté.

il ne fallait pas faire le bon ou le mauvais choix mais admettre que rien ne dépendait de nous, accepter que la justesse d’un raisonnement, aussi remarquable fût-il, ne dépendait pas de son exactitude ou de son inexactitude, puis qu’il n’y avait aucun modèle de référence auquel le mesurer, mais de sa beauté

Laszlo Krasnahorkai ne relate pas une histoire.  Il écrit une histoire de relations.

Il existe une relation forte entre les choses proches, une relation faible entre les choses distantes, et entre les choses très éloignées, il n’y aucune relation, et là, on touche au divin.

Et dans ces mises en doute et l’étrange dans lequel il plonge le lecteur, se dessinent peu à peu des mondes aux traits incertains, comme diffus.  En faisant reposer sa fiction sur le croisement des paroles de tous ceux qui l’interprètent, le réel dont il rend compte apparaît comme chancelant sans cesse.  Renversant la théologie, il fait de ce même réel une question de croyance, où le monde n’est et subsiste que par la foi en son existence.

le manuscrit n’avait qu’un seul propos : écrire la vérité en boucle jusqu’à la folie.

Laszlo Krasznahorkai, Guerre & Guerre, 2013, Cambourakis, trad. Joëlle Dufeuilly.

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