Le Bec en l’air – ptyx http://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Fri, 07 Dec 2018 08:17:23 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=4.9.4 « Les Chemins égarés » de Amelie Landry. http://www.librairie-ptyx.be/les-chemins-egares-de-amelie-landry/ http://www.librairie-ptyx.be/les-chemins-egares-de-amelie-landry/#respond Tue, 07 Feb 2017 09:38:16 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6626

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Dans un endroit sauvage, restez vingt minutes sans bouger et vous verrez les oiseaux arriver.

Il est de ces lieux dont on se dit qu’il est nécessaire d’y être initié pour y avoir accès. Voire même qu’on ne peut en dessiner une vue un tant soit peu « réaliste » sans en être un de ses acteurs. S’en dégage alors pour qui ne les fréquente pas un parfum d’interdit lardé de perversion, une impression d’ailleurs radical. Peuvent alors librement s’ériger sur ces distantes impressions les clichés les plus tenaces et les plus contradictoires. Les lieux de sexualité entre hommes, les lieux de rencontres « homosexuelles », ces lieux « incongrus » seront, pour qui ne les pratique pas, des lieux de liberté, de misère sexuelle ou de nivellement social, des endroits qui « craignent » ou qui exaltent, des lieux d’expression libérée de soi ou de fermeture à l’extérieur. Ils seront l’expression quintessenciée de notre monde ou sa marge la plus radicale. Ils seront à défendre ou à proscrire. Ils seront beaux ou moches. Mais très souvent, ils seront exclusivement l’un ou l’autre. Laissés dans le flou de la fascination que suscite toujours l’inconnu mâtiné de sexualité, ils ne seront plus qu’un support sur lequel fixer nos a priori.

Si quelqu’un a besoin d’aller s’exhiber et qu’il a un public, il va attirer quelques personnes. Un autre va se dire : « pourquoi pas moi? ». C’est comme ça que les lieux se créent.

Les Chemins égarés est au croisement de l’image et du texte. Les photographies prises sur les lieux de rencontre sont réparties en trois sections (lieux ouverts/présence humaine discrète/jour, lieux semi-ouverts/présence humaine plus affirmée/soirée, lieux fermés/corps affirmés/nuit) subtilement distinctes par des témoignages directs d’acteurs des lieux (prises de paroles brèves entre les deux premières parties photographiques, témoignages longs entre la deuxième et la troisième). Le tout, intelligemment hybride, se closant par un texte « témoignage littéraire » de Mathieu Riboulet et un autre, à consonance anthropologique, de Laurent Gaissad.

L’un s’y rendra pour baiser « hard », l’autre soft, le troisième pour regarder. D’aucuns sont hétéros et père de famille, d’autres homos assumés depuis toujours. Certains y vont en chasse, d’autres à l’aventure. Il en est qui prennent tous les risques et dont l’intérêt de l’expérience ne tient qu’à cela, beaucoup qui prennent des précautions sanitaires tatillonnes. Les uns vivent leur fréquentation comme une misère dont ils ont honte, les autres comme une libération qu’ils revendiquent. Certains en vantent le nivellement social et pécuniaire, d’autres qui attestent de la reproduction dans ces lieux des mêmes clivages qu’ailleurs. Un des grands mérites de ce travail est, par l’entremise des témoignages qu’il met adroitement et frontalement en contexte, de rompre radicalement avec la fascination initiale de son sujet. Aux antipodes de l’image d’Epinal de la sexualité librement vécue et assumée, comme d’un autre versant pudibond, la « vérité anthropologique » de ces lieux débordent largement des filtres partisans.

Yohan / Nord-Pas-de-Calais

Il y en a qui se donnent pour objectif d’en suivre d’autres, comme un petit ballet. Il y en a qui se mettent à quatre pattes direct et se font passer dessus par tout le monde. On dirait qu’ils sont prêts à tout, un peu en transe. Certains observent simplement de loin. Et y a ceux qui prennent ce qui passe, parce qu’ils ont envie d’un rapport rapide. J’ai compris que j’y allais comme au spectacle et que, pour qu’il y ait spectacle, il faut que certains se mettent en scène. J’accepte volontiers de participer, parce que si tout le monde vient pour regarder, il ne se passe pas grand-chose, on peut vite s’emmerder.

Mais aussi, par un mariage subtil des documents, des mots et des images, par une pratique de la narration très maîtrisée, ce travail s’affirme comme une brillante réussite esthétique. Où, derrière la réalité « crue » du terrain, se déploie, sans ostentation aucune ni mise en scène incongrue, une beauté à la fois brute et délicate. Dans les images de ces lieux en marge ou en friche – où l’on devine des labyrinthes paniques – et de ceux qui les occupent – qui ne sont pas sans rappeler parfois des faunes – Amélie Langry réussit à capter les éternels liens entre la violence et la douceur, la misère et la grandeur, la crainte et le désir.

Amélie Landry, Les Chemins égarés, Géographie sociale des lieux de sexualité entre hommes, 2017, Le Bec en l’air. Avec des textes de Laurent Gaissad et Mathieu Riboulet.

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« D’entre eux » de Cédric Gerbehaye. http://www.librairie-ptyx.be/dentre-eux-de-cedric-gerbehaye/ http://www.librairie-ptyx.be/dentre-eux-de-cedric-gerbehaye/#respond Tue, 08 Sep 2015 08:00:12 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5346

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On appartient au monde que l’on fait, pas à celui d’où l’on vient.

Cédric Gerbehaye est belge. Un Belge qui a voyagé. Beaucoup voyagé. Et qui, de retour « chez lui » a désiré s’interroger sur ce qu’est, précisément, ce « chez lui », ce qu’il représente factuellement, indépendamment de ses projections de sujet, comme dans le regard qu’il y porte.  Lors de ses derniers retours en Belgique, c’est un pays en crise politique profonde qu’il retrouvait. Sans gouvernement pendant longtemps, traversé par les séquelles d’une crise économique profonde, tiraillé entre deux communautés, deux langues, deux identités (et oui, l’on sait ce qui peut se loger sous ses vocables), secoué par les soubresauts d’une Europe en mal de politique, la Belgique, cet espace destiné à séparer, ce no man’s land hérité de 1830, ce laboratoire européen, lui offre un visage à la fois exsangue, éreinté, et riche des questions qu’il continue de soulever.

Le sujet est donc bien, par la bande, la Belgique. Mais pas celle que d’aucuns, plaintivement fatalistes, se donnent à condamner. Ni celle dont d’autres cherchent exalter une illusoire mais si utile tradition. La question n’est pas d’être wallon ou flamand. Ni, non plus – autre poudre aux yeux – d’être belge. Il ne s’agit pas de rajouter du clivage au clivage. Mais de déceler les séparations que l’on vous impose du dehors, que l’on fabrique pour vous aveugler mieux (tu parles flamand, tu es wallon, tu es de droite, tu es black, tu es vieux, tu es de gauche, tu es jeune) et qui occultent celles qui comptent. Diviser pour mieux régner. Ou plutôt fabriquer d’autres divisions pour ne plus qu’on s’attache à celles qui vaillent.

Ainsi sont-ce – mettez les guillemets où vous voulez – des laissés-pour-compte, des détenus, des gens jetés au chômage, des sdf, des précaires, des réfugiés, des gens du peuple, des gens du peu ou leurs objets, des traces de leurs rites, que Cédric Gerbehaye a photographié trois ans durant. S’y lisent, en contrepoint des clichés éculés, une tendresse lucide, une colère sourde (presque de la rage contenue), un désemparement aussi. Flamand ou wallon, la détresse comme la joie sont les mêmes. La peur de l’autre, de l’extérieur, il n’est pas de langue qui puisse la dire sinon une qui se moque des langues normées. Et celle du photographe, subtile et percutante, éclairante mais pas aveuglante, est ici à la fois recadrage (« la division n’est pas celle qu’on vous donne à « choisir » ») et prise de position radicale (« là se trouve les frontières et je suis de ce côté-là »). Dans son objectif se dessine, par delà l’appartenance que l’on cherche à vous faire endosser, celle que vous choisissez.

A l’heure où, dans une « belle » et castratrice unanimité, tant se plaignaient ou semblaient se réjouir de la fin possible d’une « si belle » unité – celle, fabriquée par essence, d’un pays -, Cédric Gerbehaye nous rappelle que la seule qui vaille est celle que l’on fabrique au jour le jour.  Et dans laquelle il est vital, au risque de se perdre, de travailler à s’y reconnaître. Qu’importe cette nation ou une autre, si elles vous sont imposées. Vous n’appartiendrez jamais pleinement et légitimement qu’à celles que vous bâtirez.

Il y a un « D » pour débuter le titre. Ainsi, le titre du livre n’est pas « Entre eux » mais « D’entre eux ».  Et dans ce « D » se dissimule la différence radicale entre ce qui sépare et ce qui réunit. De ce titre qui eût peu signifier la séparation, « l’entre », Cédric Gerbehaye le transforme en un superbe « parmi ».

Cédric Gerbehaye, D’entre eux, 2015, Imprimé en Italie, Le Bec en l’air.

Vous pouvez voir un teaser réalisé pour la sortie du livre.

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« Ulysse ou les constellations » de Franck Pourcel. http://www.librairie-ptyx.be/ulysse-ou-les-constellations-de-franck-pourcel/ http://www.librairie-ptyx.be/ulysse-ou-les-constellations-de-franck-pourcel/#respond Fri, 25 Oct 2013 07:47:49 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3448

Continue reading]]> ConstellationsOn sait qui est Ulysse.  On du moins, possède t’on suffisamment d’outils que pour s’en dresser une image culturelle.  Celle d’un voyageur, d’un exilé, d’un errant ballotté par des luttes qui le dépassent.  Image dont l’origine est devenue insécable de ses développements ultérieurs.  Le Ulysse d’aujourd’hui n’est plus uniquement le Ulysse d’Ithaque.  Il est, entre autres, Enée ou Léopold Blum.  Et aujourd’hui aussi un peu celui de Frank Pourcel, ou de Barbara Cassin dans son dernier livre.  Ulysse est donc moins connaissable que toujours de nouveau à connaître.

Mais qu’est ce qu’une constellation?  Une constellation « est un ensemble d’étoiles dont les projections sur la voûte céleste sont suffisamment proches pour qu’une civilisation les relie par des lignes imaginaires, traçant ainsi une figure sur la voûte céleste ».  Une constellation est donc une construction.  Elle est constituée de points, certes.  Mais les points ne sont que donnés.  Ils ne tracent rien d’eux-mêmes.  Il y faut une main qui dessine entre eux.  Ce n’est pas le point qui fait sens, c’est la ligne entre eux.  Le sens ne préexiste pas à la ligne.

Et ce sont des lignes que tissent Frank Pourcel.  Enrichissant le héros d’Ithaque, en noir et blanc ou en couleur, il photographie en traçant, il narre en photographiant.  Sa méditerranée devient maillage de signifiants.  Y constellent des portes, des conflits, des moments heureux, des corps, des insularités.  L’Ulysse nouveau, le errant contemporain, trouve sens en interrogeant ses racines homériques.  Mais en n’en exhumant que la patine antique sans vouloir y déceler la modernité que dessinent ses trajets, n’émerge d’Ulysse qu’une nostalgie.  Le Ulysse antique n’est qu’un point.  Comme le sont Enée ou Léopold Bloom.  C’est la constellation que construit le photographe Frank Pourcel entre les paysages du héros d’Homère et les nôtres aujourd’hui qui fait sens.  Et en donnant à voir vraiment (et si la photographie ne le peut pas, quoi alors?) une méditerranée d’aujourd’hui en lien avec l’homérique, en marchant dans les traces d’Ulysse mais en y marquant son pas propre, sont renouvelées et sublimées des images aussi essentielles que celles de l’errance ou de l’autre.

Frank Pourcel, Ulysse ou les constellations, 2013, Le Bec en l’air.

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« Numéro d’écrou 362573 » de Arno Bertina & Anissa Michalon. http://www.librairie-ptyx.be/numero-decrou-362573-de-arno-bertina-anissa-michalon/ http://www.librairie-ptyx.be/numero-decrou-362573-de-arno-bertina-anissa-michalon/#respond Tue, 26 Mar 2013 07:35:53 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=2254

Continue reading]]> Numéro d'écrou 362573La solitude d’Ahmed me serre le coeur, et celle d’Idriss.

C’est à l’occasion du travail qu’elle a mené sur la communauté malienne de Montreuil que la photographe Anissa Michalon a fait la connaissance d’Idriss, un jeune homme arrivé en France à l’âge de vingt ans.  Arno Bertina se saisit du destin tragique et bien réel d’Idriss pour créer une courte fiction.

Continue de me regarder Ahmed, et pas eux, regarde-moi MOI.

Les questions posées par les deux artistes sont bien entendus celles, classiques mais encore trop peu entendues relatives aux pressions s’exerçant sur les sans-papiers.  Mais ces questions prennent ici un relief particulier car s’ancrant dans et s’articulant à partir de celle de la possibilité d’en rendre compte.  Idriss est mort.  Il était malien, sans-papier.  Et sa mort tragique n’est sans doute pas étrangère à cela.  C’est un fait.  Que peut la fiction face à ce fait?  Que peut-elle pour Idriss?  Ou pour ceux qui restent et dont Idriss pourrait devenir un étendard?  La mort d’Idriss ne se suffit-elle pas à elle-même?  La fiction ne redonde-t-elle pas?  Le risque n’est-il pas  « d’esthétiser » ce dont le fait brut témoignerait mieux seul?

Ray te regarde et ses yeux ne viennent pas te chercher mais ils t’attendent et parfois ils t’espèrent.

La narration dans « Numéro d’écrou 362573 » est double.  Dans la deuxième partie, les photos d’Anissa Michalon interrogent ce contraste entre l’acceuil que nos contrées ont réservé à Idriss et celui que lui fait le village dont il est originaire.  A la solitude que seules de « bonnes âmes », comme autant d’électrons eux-mêmes isolés, viennent soulager, répondent des rituels d’acceuil organisés par la communauté.  Au bouc offert en offrande sur un autel de branchages à la photographe lors de son séjour, répond le visage d’Idriss.  D’un côté la bête que l’on sacrifie pour accueillir, de l’autre celui que l’on sacrifie au lieu d’accueillir.

Dans la première partie, les mots d’Arno Bertina enchevêtrent à la narration des faits celle d’un enterrement au cours duquel l’organiste se demande comment jouer de son orgue alors qu’il vient d’apprendre le suicide d’un sans-papier.  Au développement des faits (eux-mêmes modifiés par rapport à ceux réels, où Idriss devient Ahmed) se mêle le compte rendu de leur réception dans l’esprit de qui n’était alors qu’un interprète.  Et la question essentielle devient alors celle de la modification qu’induit l’évènement sur qui cherche à s’exprimer à son sujet et qui, seule, permet de le dire entièrement.

Leur mettre du baume au coeur en osant tout ce bruit qu’ils ne pouvaient pas faire à partir d’une partition que j’ai souvent jouée bien, c’est-à-dire une interprétation mesquine trahissant la ferveur qui a commandé sa composition.  Oui c’était avant que je l’abîmais, et maintenant que je la sers.

La fiction n’est pas un baume mis sur la réalité.  L’auteur fait de l’évènement une partition qu’il enrichit de son dégoût, de sa rage.  Une partition qu’il ne sert bien qu’en faisant autre chose que la simplement dire.  En la faisant déborder de ce qui l’excède lui-même.  En la tendant vers un agir.

J’ai fait entrer quelqu’un en douce.

Ahmed n’était plus seul.

Arno Bertina & Anissa Michalon, Numéro d’écrou 362573, 2013, Le Bec en l’air.

Vous pouvez trouver ici l’enregistrement de notre rencontre avec les deux auteurs (un tout grand merci à Anne-Lise Remacle)

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