Carpentier, Christophe – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Le Mur de Planck, tome 1 » de Christophe Carpentier. https://www.librairie-ptyx.be/le-mur-de-planck-tome-1-de-christophe-carpentier/ https://www.librairie-ptyx.be/le-mur-de-planck-tome-1-de-christophe-carpentier/#respond Wed, 02 Mar 2016 08:36:55 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5775

Lire la suite]]> Max_Planck_1933S’attaquer à la laideur du monde est-il un acte aussi incompréhensible que cela?

Marvin Taylor déteste les obèses. Leur surpoids confortablement assumé, la part d’horizon que leur masse adipeuse dissimule à nos regards, leur laisser-aller graisseux qu’ils tentent vaille-que-vaille de faire passer pour un contrepoint moral à l’idéal maigre, tout cela a nourri une haine qu’il a choisi de laisser déborder. S’il se rend à Long Cross, au barbecue organisé par Rick Loyd, c’est donc dans la ferme intention de laisser libre court à sa fureur. Mais quand le lendemain, les deux agents du FBI Travis Bogen et Tilda Lindgren se rendent sur les lieux et découvrent les dix corps volumineux, hommes, femmes et enfants, méthodiquement exécutés durant leur sommeil d’une balle dans la tête, ils découvre aussi leur assassin inexplicablement plongé dans une complète prostration.

il n’y a aucune différence entre un objet, un acte ou une pensée […] tout est fait d’atomes, rien que d’atomes, y compris la mort.

Très rapidement, les deux agents vont constater que ce qui est arrivé à Marvin Taylor n’est que le prélude à une opération d’ampleur préparée par les particules baryoniques dont l’intention est d’éradiquer le mal de la planète en plongeant ceux qui s’en rendent coupables dans une immédiate, automatique et indéfectible hébétude. Eh oui… Tout cela n’étant qui plus est que le début d’une chaîne d’événements certes probables – mais qu’est ce qui ne l’est pas! – mais encore inédits (quoique…).

qu’est ce qu’un monde dans lequel il n’y a plus ni crimes, ni agressions, ni incivilités, non par goût de l’harmonie, mais par simple peur de la sanction? N’est-ce pas tout simplement un monde soumis à une force qui l’effraie et le fait marcher au pas?  Que pourrait-il bien naître de cette soumission, même inconsciente, sinon une humanité dénaturée, une humanité sans éclat, sans honneur, ni fierté, une humanité rabaissée au rang de bibelots animés?

A l’évidence questionnant notre relation au mal, à la violence et aux stratégies que nous mettons en oeuvre pour l’éviter ou s’y vautrer mieux, Le Mur de Planck ne se limite pourtant pas à un brillant catalogue éthique de ce que la pensée peut sublimer ou pervertir. Qui, au travers de ses multiples strates fictionnelles se donnerait pour seule tâche d’éclairer différemment l’être moral qu’est l’homme. S’il est cela aussi, il est avant tout la mise en scène diantrement efficace des moyens qui président à son élaboration. Comme si comptait moins d’advenir quoi que ce soit que de montrer comment tout cela advient.

Disons que j’improvise, mon vieux, j’improvise au mieux, et je dois dire que ce n’est pas évident.

Le mur de Planck est cette limite en-deçà de laquelle la pensée ne peut aller. Mais cette limite est – à défaut d’en être une fabrication – une révélation de la pensée elle-même. Et si la pensée se révèle à elle-même ses propres limites, rien ne peut non plus en toute logique lui enlever le privilège de les dépasser. Et ce rôle d’exploration radicale des possibles de la pensée, du terreau initial de toute imagination, à qui peut-il être mieux dévolu qu’à la littérature!

Tout est envisageable au cœur de l’ignorance, la vie comme la mort; l’éternel comme l’éphémère. Tout est plausible et se vaut, au Grand Royaume des mots.

Christophe Carpentier, Le Mur de Planck, tome 1, 2016, P.O.L.

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« La permanence des rêves » de Christophe Carpentier. https://www.librairie-ptyx.be/la-permanence-des-reves-de-christophe-carpentier/ https://www.librairie-ptyx.be/la-permanence-des-reves-de-christophe-carpentier/#respond Tue, 20 Jan 2015 09:14:39 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4838

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Ce type est un fou, et la folie est incompatible avec l’évaluation d’un talent artistique.

Thomas Prudhomme est un artiste-œuvre d’art.  A l’image de nombre d’artistes qui ont décidé d’utiliser comme matière première de leur art leur propre corps, il s’est inscrit dans cette lignée qui a abandonné pinceau, marbre, glaise ou polyester.  Mais il a été un tantinet plus loin.  Lors d’une opération multiple en Inde, il s’est fait retirer langue, yeux, odorat, ouïe, bras et jambes.  Depuis lors, son corps mutilé, mais bien vivant, est exposé dans un hôtel de maître parisien.

On ne peut que se demander comment un être figé dans un immobilisme total, un homme qui ne peut ni vous toucher, ni vous regarder, ni vous parler peut vous amener à vous crever les yeux.

Humphrey Winock, brillant dermatologue, a décidé, après la mort tragique de son fils William (qui s’est suicidé après avoir assassiné Florent Gallaire, un acerbe critique de Michel Houellebecq!) de se consacrer entièrement à désamorcer le risque considérable que représente selon lui Thomas Prudhomme, dont l’exhibition inciterait certains esprits fragiles à s’auto mutiler à leur tour.  Christophe Carpentier fait s’enchevêtrer, dans La permanence des rêves, les extraits de la conférence sur Thomas Prudhomme que donne Humphrey Winock à Princeton et le récit de sa propre vie.

C’est surprenant […] de voir qu’ici, dans ce trou du cul du monde artistique, il se produit exactement la même chose que dans n’importe quelle grande galerie internationale d’art contemporain, à savoir qu’à de rares exceptions près, c’est encore et toujours le titre et l’explication conceptuelle qui sauvent l’œuvre d’une médiocrité esthétique banalisée.

Certes brillant et lucide décodage des mécanismes qui président à certaines formes d’art contemporain, La permanence des rêves est bien plus qu’une énième ludique et féroce analyse du « milieu de l’art contemporain ».  A quoi bon effectivement s’étendre encore et encore sur l’inanité de certaines formes de l’art, sur ses rapports avec le commerce, à quoi bon « critiquer » si c’est pour n’en tirer que de quoi faire sourire, dans un entre-soi rassurant, les convaincus par avance de cette critique.  Le projet de Christophe Carpentier est bien plus vaste et retors…

La fluidité est le maître-mot de la littérature d’aujourd’hui, les gens veulent lire un roman comme ils visionnent un DVD, sans buter sur un mot ou une image.

Une fois l’analyse opérée, Christophe Carpentier va y adjoindre sa réalisation.  La littérature d’aujourd’hui érige la fluidité en paradigme?  Soit!  Qu’elle soit fluide!  L’empathie en est un de ses moteurs historiques?  Qu’elle soit empathique!  Comme pour un film d’horreur, dont la réussite repose sur la minimisation des indices qui permettent d’éloigner qui le regarde du réel, Carpentier enserre son lecteur dans le réel (d’où qu’on y retrouve Houellebecq ou Obama) mais en en omettant pas sa critique.  Car sa critique en fait partie!

l’autobiographie et la biographie vont devenir dans quelques années l’extension du club de gym ou du lieu de travail, ces lieux de convivialité et de neutralité affective pour un nombre de plus en plus croissant de célibataires endurcis qui continuent de s’intéresser aux autres par réflexe ou par sincère envie, mais sans vouloir quitter leur foutue solitude narcissique.

Le projet n’est pas ici « post-moderne ».  Il n’est pas artificiel, ni cyniquement ludique.  Il vise à réaliser pleinement un processus en germe.  En poussant à bout, et en en utilisant les outils, une logique artistique, en se rendant « complice de ce qui semble détruire le monde », il montre que cette logique ne peut aboutir sans ce dont elle cherche à tout prix à se départir.  Ainsi la tentative, géniale, sublime, superbe de détermination, de Thomas Prudhomme, de se débarrasser radicalement du langage pour se défaire de sa domination castratrice, en se débarrassant de ses cinq sens (qu’il ne voit plus que comme des moyens ou des excuses à la prolifération du langage), cette tentative, donc, ne peut aboutir sans le langage.

se dire qu’on a une présence au monde moins dense que celle d’un type qui n’a plus ni jambes, ni mains, ni nez, ni langue, ni yeux, ça vous fout le moral à zéro.

Alors certes, La permanence des rêves est drôle aussi.  Mais le rire qu’il provoque a le goût de l’écho.  Car, dans cette confrontation inédite, s’il rit de ce qu’il lit, le lecteur se rend bien compte qu’il devra rire de sa propre vie.  Y est-il prêt?

nous pratiquons tous l’art de réinventer nos vies en donnant aux mots un sens qui va dans notre sens

Christophe Carpentier, La permanence des rêves, 2015, P.O.L.

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« Chaosmos » de Christophe Carpentier. https://www.librairie-ptyx.be/chaosmos-de-christophe-carpentier/ https://www.librairie-ptyx.be/chaosmos-de-christophe-carpentier/#respond Fri, 10 Jan 2014 08:21:57 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3742

Lire la suite]]> Chaosmos

L’humanité, on a beau dire, mais pour un écrivain, c’est un matériau vraiment théorique, ne serait-ce que parce qu’on ne peut pas englober tout le monde on choisit des cibles narratives qu’on traite les unes après les autres tout au long d’un roman, et on s’en tire comme ça, en dégraissant la complexité de la vie pour la rendre accessible.

Les 92 Instituts de Vigilance de Tensions Urbaines (IVTU) répartis dans le monde ont pour mission de collecter les faits de violence en regard de leur Indice de Proximité Affective (IPA).  Plus l’IPA est bas, plus le crime est commis contre une personne n’ayant que peu de rapports affectifs avec le criminel.  Ainsi, l’IPA maximal sera accordé au suicide. Ce que constate Ned Peterson avec inquiétude, c’est que le nombre de meurtres à faible taux d’IPA augmente dangereusement.  Cette violence pépère, traditionnelle, que l’on retourne contre soi ou ses proches pour calmer celle du monde contemporain ne suffit plus à apaiser les tensions.  Les temps sont venus de la violence comme émancipation.  Où l’humanité n’est plus que milieu, et la violence l’onde qui le traverse.

la quantité de souffrances que l’humanité porte en elle a fini par dépasser la quantité d’espoir et de joies.

Dans ce triptyque inspiré et terriblement addictif qu’est Chaosmos (néologisme oxymorique joycien (un NOJ quoi)), Christophe Carpentier nous décrit en apparence un monde évoluant de la propagation de la violence (onde) à son règne sans partage (ode) et aboutissant au retour de l’ordre (ordre).  Et ce monde qu’il nous décrit nous semble être comme en devenir.  Mais dans le tourbillon d’anecdotes factuelles et cruelles de ce monde, l’argument du récit anticipatif ne fonctionne pas.  Ceux qui auront lu Chaosmos comme tel en auront manqué la force.  Que le titre est là pour rappeler.  Le cosmos est affaire de chaos ET d’osmose.  Notre monde est plan d’immanence (comme dirait l’autre).  Ou lieu de possibles.  De tous, en ce compris les plus contradictoires.  Et forcer le trait de l’un ou l’autre de ces possibles n’est pas fait pour nous avertir de leur survenue prochaine.  Mais pour nous rappeler que tout (en ce compris ce que l’on nomme le pire) est déjà là.  Chaosmos n’est pas le récit halluciné d’un demain.  Il ne nous alerte pas sur un futur, dont la fonction performative du texte nous permettrait de nous garder.

il faut se créer un petit Chaosmos à soi, qui vous permettra de garder pied dans l’époque, parce que le pire […] c’est de se croire ailleurs que là où on est vraiment.

Bien loin d’anticiper, Chaosmos replace maintenant et ici.  La violence trop longtemps contenue que pour être encore avec satisfaction retournée contre soi, l’abandon par principe des filtres que les civilisations ont déposé sur les corps, le travail élevé en vertu, la tentation de se préserver de toute possibilité de désordre (et donc de tout espace mental) par un ordre qui l’éradique à sa base, tout cela, c’est le quotidien et non l’avenir craint ou fantasmé.  Et le roman est là pour cela.  Non pour prévenir mais pour rappeler qu’on ne peut jamais totalement évoluer en périphérie de son époque.  Dans un langage dépouillé de ses contraintes d’ordres, contraintes où se lit, plus encore que les faits qu’elles érigent, l’idée fascisante non de ce qui est mais de ce qui DOIT être.

le langage est là pour dire ce qui est, étant entendu que ce qui est est ce qui doit être.

Dans les fictions qu’il produit, Christophe Carpentier ne nous prévient donc de rien.  Chaosmos, en donnant sa place à qui raconte (là où l’époque s’évertue à le dissimuler sous les faits dont elle le borne à rendre compte), en se défaisant des jugements moraux qui jamais n’expliquent les comportements d’un homme mais servent au contraire à dissuader de le faire, en montrant donc que le langage n’est pas que véhicule, et que raconter des histoires peut être le contraire de divertir, en ce sens donc, Chaosmos est bien plus que l’imagination débridée d’un destin.  Un récit mythologique.  Une cosmogonie de l’immanence.  Où Chaos n’est plus seul et la loi d’entropie un éternel retour.

un monde qui continue de produire des histoires ne peut être si mauvais que cela.

Christophe Carpentier, Chaosmos, 2014, P.O.L.

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