Chauvier, Eric – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « La petite ville » de Eric Chauvier. https://www.librairie-ptyx.be/la-petite-ville-de-eric-chauvier/ https://www.librairie-ptyx.be/la-petite-ville-de-eric-chauvier/#respond Mon, 09 Oct 2017 08:32:54 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7065

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Saint-Yrieix La Perche. Ville de Haute-Vienne, située à 40 km de Limoges. 6234 habitants en 1793, 6848 en 2014. Noms des habitants : les Arédiens. Un tissu industriel en crise. Un tissu commercial déliquescent. Un centre-ville déserté. Une population vieillissante. Un électorat Front National grandissant à chaque élection. Saint-Yrieix La Perche, ça fait pas vraiment rêver…

La perception d’un monde global est ici le fruit d’un renoncement local mâtiné d’une terreur vague. 

De retour dans sa ville natale, Eric Chauvier y chemine en compagnie de Nathalie, travailleuse précarisée, fumeuse impénitente, ancienne séductrice – malgré elle – de l’anthropologue depuis déménagé à Bordeaux. On y apprend l’histoire d’une petite ville en pleine déréliction. Le paternalisme politique (le « Père Boutard », l’ancien maire) et industriel (le « Père Morin », l’ancien papetier) qui régente l’organisation sociale. La monopolisation planifiée des réseaux de distribution, de services. Le remplacement d’une économie à « visage humain » (avec tout ce que cette économie cachait déjà, elle aussi) par une autre où ne sont plus décelables que les marchandises, toujours plus semblables l’une à l’autre.

Avec Eric Chauvier, la petite ville de Saint-Yrieix La Perche devient le moyen de lecture d’un capitalisme qui recycle sans fins ses propres procédés. Et dont les rêts n’offrent plus à ceux qui y sont pris de recours autre qu’une forme de nostalgie réactionnaire et d’autre perspective que de se réjouir de l’ouverture prochaine d’une Fnac ou d’un Macdo. Même l’espoir est capitalisé.

Durant trente ans, Jean-François a géré le stock d’un magasin de prêt-à-porter, rue de l’hôtel de ville – ma mère nous y habillait, mon frère et moi. Il a pris sa retraite il y a un peu moins de dix ans. Face au déclin des petits commerces, auxquels il demeure très attaché (Pour le SAV ou pour avoir une pièce, il faut mieux aller voir les petits commerces), quoique sur le mode de la défaite assumée (En même temps, y en a plus, de petits…), il a proposé au principal édile de Saint-Yrieix une sorte de pis-aller (J’ai parlé d’une idée au maire, une ville en Bourgogne où le maire avait proposé de poser des décalcomanies sur les commerces vides). Peu de temps après, à peine quelques heures à vrai dire, Jean-François a admis à ses proches, c’est ce qu’il m’a dit, que cette proposition était en réalité une illusion, une contradiction parfaite avec ce qu’il venait de dire (Ça faisait une animation, un commerce virtuel, déjà rien qu’à l’œil je trouvais ça très intéressant), pour tout dire un véritable cache-misère (C’était un trompe-l’œil en quelque sorte, y avait une photo avec deux ou trois personnages qui achetaient du pain ou des fruits), une suggestion désespérée (Ça amenait peut-être quelque chose…) pour conserver (… un petit peu de vie…) un peu de ce qui avait été.

Le matériau de l’anthropologue est ce qui est dit. Mais dans ce qui est dit, réside la façon dont c’est dit. Dont il n’est pas possible de faire l’économie si l’anthropologue veut se donner pour tâche d’aborder vraiment son sujet. Eric Chauvier parvient non seulement à soutirer de son matériau son essence formelle mais aussi à le rendre disponible au lecteur. Ainsi, en faisant alterner, à un rythme soutenu, paroles de l’enquêté et analyses de l’enquêteur (elles-mêmes parfois redoublées de ses ressentis, de ses souvenirs ou de ses doutes), il érode utilement la traditionnelle hiérarchie qui oppose, plus qu’elle ne fait s’épauler, le spécialiste et le sujet de son étude. Paroles, analyse et doutes sont sur le même pied. Il n’éclaire pas le réel (dans le sens où l’analyse du spécialiste serait le projecteur nécessaire à révéler la vraie nature des choses), il le montre. Et c’est grâce à cela (et non malgré, ni en sus), qu’il convient bien de nommer une esthétique, qu’il peut retracer tout à la fois l’histoire d’une petite ville, l’apprentissage culturel de la soumission, le destin d’une femme et les errements d’un anthropologue.

Eric Chauvier, La petite ville, 2017, Amsterdam.

Les sons ci-dessus ont été produits, enregistrés, façonnés par Alain Cabaux, Maître es Œuvres chez Radio Campus.

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« Les mots sans les choses » de Eric Chauvier. https://www.librairie-ptyx.be/les-mots-sans-les-choses-de-eric-chauvier/ https://www.librairie-ptyx.be/les-mots-sans-les-choses-de-eric-chauvier/#respond Tue, 26 Aug 2014 06:41:43 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4401

Lire la suite]]> Mots sans les chosesil faut parler précisément et […] il s’agit là d’un acte politique fondateur.

Imaginez un plombier (la métaphore est de l’auteur) faisant un devis sur une planète où il n’y a aucun problème de tuyauterie.  Poussée dans ses retranchements, l’image décrirait à merveille l’attitude de certains œuvrant dans les sciences sociales.  Pris dans les rets d’une habitude solidement ancrée (d’autant mieux qu’elle est bien souvent devenue inaccessible à la conscience), beaucoup s’entêtent à plaquer sur l’ordinaire, des concepts, des modèles théoriques, sans plus parfois s’inquiéter de ce sur quoi ils tentent de les appliquer ni de la correspondance entre le fait sensé être décrit et le modèle supposé en rendre compte.

Dans son enfance, l’être humain commence par parler des voitures pour tester le monde, mais cette phase d’expérimentation et d’autonomie ne dure pas ; à l’adolescence, il apprend déjà à la conduire ; à l’âge adulte, il les conduit effectivement ; puis, quelquefois, il les brûle, sans se rendre compte que cet acte se produit sur la ruine d’une pratique enfantine.

Tout jeune déjà, on apprend à plaquer des mots sur des choses, construisant peu à peu un réseau, non d’appropriation des choses par le nom, mais de distanciation d’elles par celui-ci.  Jusqu’à, s’y habituant, penser ne plus devoir requérir à l’expérience de la chose pour la saisir dans toute sa saveur.  Le modèle théorique (qui abouti, comme Eric Chauvier le nomme si justement à une « fiction théorique »), utilisé ou conçu par le chercheur en sciences sociales, n’étant qu’une des productions de cette psychopathologie du langage, qu’il vient sans cesse renforcer.

décrire précisément ce qui permettrait de saisir l’ordinaire ne fait pas l’ordinaire.

Les modèles théoriques viennent ainsi moins expliquer le réel ordinaire que le contraindre à se mouler dans les formes qu’ils lui construisent.  Non qu’ils ne soient utiles.  Mais jamais au sacrifice de l’expérience, ni du singulier.

Les seules limites du monde sont celles du langage.

S’interrogeant avec acuité sur la production de langage en sciences sociales, enrichissant Lévi-Strauss, Bourdieu ou Foucault de sa lecture attentive de Spinoza ou Wittgenstein, Eric Chauvier montre tout le poids d’une théorie qui s’aliène la pratique.  Réquisitoire parfois dur (et c’est quand il est le plus dur qu’il est aussi le plus drôle) contre le parler de l’à peu près, il attire l’attention sur cette irréductibilité de l’expérience de l’ordinaire, ordinaire que toute théorie faisant fi de son expérience singulière ne parviendra jamais à recouper.  Et, redoublant son analyse du discours qui la porte, il recourt à sa propre expérience, non bien entendu pour légitimer un autre modèle général qu’il proposerait, mais bien pour démontrer, dans un scepticisme joyeux, que l’expérience peut s’émanciper des modèles conceptuels qui ont tant tendance à les surplomber.  Rien qu’en cela, Eric Chauvier est un indispensable « casseur d’ambiance ».

C’est en cassant l’ambiance que le sens apparaît.

Eric Chauvier, Les mots sans les choses, 2014, Allia.

Nous parlions de son précédent livre ici.  Et on peut voir une présentation de son dernier livre qui le prolonge admirablement.

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« Somaland » de Eric Chauvier https://www.librairie-ptyx.be/somaland-de-eric-chauvier/ https://www.librairie-ptyx.be/somaland-de-eric-chauvier/#respond Tue, 10 Apr 2012 13:42:13 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=471

Lire la suite]]> Un anthropologue enquête sur les rapports entre précarité et exposition aux risques industriels.  Dans le parc industriel de Somaland, au sein de sa partie la plus pauvre (Thoreau), il rencontre Yacine G.  Ce dernier lui raconte comment sa petite amie, Loretta, s’est peu à peu éloignée de lui.  Selon Yacine, les changements (psychiques et physiques) à l’oeuvre chez elle ne peuvent qu’être le résultat du contact qu’elle a eu, via le système de climatisation du magasin  où elle venait d’être engagée (le Monstros), avec un produit inodore et incolore, le silène. 

Ce qui marque ici est que l’étrange est moins dans les thèses défendues bec et ongles par Yacine G. que dans l’absence de la possibilité d’un déni de celles-ci.  Yacine, par des mots mêmes frustes, construit un possible en lequel croire.  Il élabore une fiction que rien n’étaye.  Mais les gouvernants, de la classe desquels leurs experts font aussi partie, confrontés à ces mots, restent cois.  Ils n’y opposent rien qui viennent les démonter.

Le discours du laissez-pour-compte est une fiction.  Mais une « fiction crédible », qui révèle et alerte. 

En identifiant l’instabilité qui constitue et désagrège son ex-petie amie, mon témoin révèle la chair à fiction, une entité inédite, une chimie invisible et obsédante, provoquées par le désir de chacun et par son ferment naturel, l’angoisse, avouée ou refoulée, de vivre à Somaland.  L’hypothèse du silène, qu’elle soit avérée ou non, constitue une sorte d’anti-théorie, radicalement opposée au bon-sens, un îlot de vigilance, qui permet d’approcher la condition de l’homme soumis à ses désirs de science, d’objectivité, de vérité, mais condamné au bricolage (…) dans un environnement aléatoire (…) dont la complexité est illimitée.

Face à ce discours, déviant certes mais créateur, celui du gouvernant, lui, ne génère que du vide.  Son ordre est phatique et tautologique.  Son meilleur mode d’expression est le « Power point ».  Où le mot n’est plus sensé rien véhiculer, tout (c’est à dire rien) étant pris en charge par une police de caractère et un fond d’écran.

vos paroles ont disparu/votre cerveau est un fond d’écran.

Entre rigueur documentaire et fiction, Eric Chauvier nous convie à une confrontation entre deux solitudes irréductibles.  Dont les marques sont à retrouver dans les languages par lesquels chacune s’exprime.

Eric Chauvier, Somaland, 2012, Allia

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