Gaddis, William – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Le Dernier acte » de William Gaddis. https://www.librairie-ptyx.be/le-dernier-acte-de-william-gaddis/ https://www.librairie-ptyx.be/le-dernier-acte-de-william-gaddis/#respond Tue, 07 Jun 2016 08:22:45 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6056

Lire la suite]]> William Gadisil se puisse que la réalité n’existe pas du tout sinon dans les mots dans lesquels elle se présente.

Alors qu’il vient tout juste d’être victime d’un accident dont il est également le coupable – n’essayez jamais de faire démarrer votre véhicule en trifouillant dans le capot en vous plaçant en face de celui-ci -, Oscar Crease, assistant d’université érudit et dramaturge à ses heures, apprend qu’un producteur d’Hollywood vient de faire réaliser un film qui semble s’inspirer grandement d’une pièce qu’il a écrite quelques vingt auparavant. Tout portant qui plus est à croire que le film aura un retentissant succès, il décide de poursuivre le producteur pour plagiat.

c’est ça l’ironie, que chacun est la victime de l’autre ça n’est pas clair?

S’enchevêtrent alors, mêlés à la trame générale de ce procès principal, les aléas, péripéties, et comptes-rendus d’autres faits dont se saisit le droit : un chien coincé dans une sculpture monumentale, une noyade lors d’un baptême, l’utilisation par Pepsi-Cola, à des fins bassement commerciales, de l’anagramme du nom de l’Eglise épiscopalienne, sans oublier l’accident dont fut à la fois victime et coupable Oscar Crease.

Pouvons-nous séparer l’idée de son expression, monsieur?

Le Dernier acte est une satyre féroce et sans concession de l’envahissement de chaque parcelle de la société par le droit. D’un comique inégalé, il démontre avec un brio sans égal qu’à tout vouloir régir par le langage juridique, on en vient à vider de son sens propre tout ce à quoi il s’attachait et cadrait. Colonisant tout, dénaturé de son principe premier pour ne plus servir que l’avidité de chacun, le droit n’est plus ce gage d’ordonnancement – sans parler d’harmonie – du réel. Omnipotent, il le remplace.

Si vous ne pouvez qualifier d’enrichissement sans cause un vol quand il est évident je ne sais pas à quoi sert le langage!

William Gaddis ne fait pas que dresser le catalogue grinçant d’aventures désopilantes. L’absurde qui s’en dégagerait suffisant alors à illustrer entièrement son propos. Si on prend pour hypothèse que le réel serait une conséquence du choix des mots qui l’expriment, qu’en serait-il d’un réel exprimé par les seuls mots du juridique? Cette question ne peut être examinée dans tous ces interstices en l’exprimant dans un langage autre que celui dont Gaddis assure qu’il a colonisé tout le réel. Vouloir exprimer pleinement l’absurdité d’un monde qui ne serait plus que le droit n’est possible qu’en en utilisant le langage juridique. Le Dernier acte, écrit sur le droit, est ainsi lui-même un acte juridique. Gaddis permet ainsi, en démontrant par sa surenchère ce qu’un langage façonne avec le réel, d’en goûter la jouissive et inquiétante absurdité. Tout en proposant, en filigranes, une lecture des raisons qui sous-tendent cette prolifération, et qui toutes ramènent à un nom : l’argent.

Et tout ça c’est encore plus de mots et plus de mots jusqu’à ce que tout se retrouve enterré sous des mots.

William Gaddis, Le Dernier acte, 1997, Plon, trad. Marc Cholodenko.

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« Agonie d’agapé » de William Gaddis. https://www.librairie-ptyx.be/agonie-dagape-de-william-gaddis/ https://www.librairie-ptyx.be/agonie-dagape-de-william-gaddis/#respond Tue, 13 Nov 2012 09:37:47 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=1567

Lire la suite]]> l’esprit dans lequel l’oeuvre est accomplie est la seule réalité

Un homme affaibli par une grave maladie, agonisant, obsédé par l’idée de perdre le fil de ses pensées et que taraude la crainte de se les voir voler, tente de donner forme à l’essai qui l’occupe depuis des années.  Par le biais d’une histoire du piano mécanique, sa thèse se veut devenir une virulente charge contre la technologisation du plaisir, la mécanisation de toute chose dont le seul objectif est d’atteindre, par le travers du divertissement, à un plaisir béat perpétuel, où l’artiste est remplacé par l’imitateur, où il convient de bercer tout un chacun dans l’illusion de « mieux jouer avec un rouleau que de nombreuses personnes avec leurs mains« .

cette démocratie de chacun son propre artiste où nous en sommes aujourd’hui, cette démocratie des médiocres de Platon, avoir l’art sans l’artiste parce que l’artiste est une menace, parce que l’artiste créatif doit être une menace afin d’être absorbé par l’intérprète par le, par le contrefacteur par l’imitateur qui n’est pas une menace

l’authenticité est anéantie quand l’originalité de toute réalité succombe à l’acceptation de sa reproduction, et donc l’art est conçu pour sa reproductibilité.

Mais , enseveli sous une masse de matériaux d’étude accumulés depuis de nombreuses années, assailli par la douleur, l’esprit perturbé par les médicaments, son entreprise est inéluctablement vouée à l’échec.  Echec moins résultat des failles et de la faiblesse de l’auteur qu’inhérent à la tentative elle-même.

on ne peut pas vraiment expliquer quoi que ce soit à quiconque

Agonie d’agapé est certes une critique de l’illusion du temps, un récit désabusé de cette fin d’un agapé, d’un amour communié détaché de l’immédiateté du plaisir.  Mais c’est avant tout une réflexion sur la difficulté à faire oeuvre d’art (non pas aujourd’hui mais de tous temps) et sur l’impossibilté même à communiquer cette difficulté.  Et le génie de Gaddis est d’incarner cet échec, dans ses hésitations, ses revirements, ses achoppements, dans l’écriture elle-même.  Qui vacille jusqu’à l’inéluctable.

c’est de ça qu’il s’agit de l’effondrement de tout.

William Gaddis, Agonie d’agapé, 2003, Plon.

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« Les reconnaissances » de William Gaddis https://www.librairie-ptyx.be/les-reconnaissances-de-william-gaddis/ https://www.librairie-ptyx.be/les-reconnaissances-de-william-gaddis/#respond Tue, 20 Mar 2012 16:25:50 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=328

Lire la suite]]> Où un faussaire coiffé d’une postiche remet des faux billets à celui qu’il croit être son fils.  Où ce même fils, dramaturge plagiaire à son corps défendant, croit avoir affaire à son père.  Où un homme dédicace des ouvrages à tour de bras, et notamment des Tolstoï.  Où un peintre de génie prête son talent pour réaliser des Bouts ou des Van Eyck.  Où ce même peintre en perd son nom, jusqu’à en retrouver un autre lui cédé par un fournisseur de momies égyptiennes.  Où les momies sont fabriquées à partir de bandelettes enfouies sous terre et arrosées quelques jours, et d’une jeune fille morte peu avant.  Où même le pilier de bar est un faux Hemingway…  « Les reconnaissances » se présente d’abord comme un catalogue jouissif de toutes les falsifications possibles.  Et dans ce monde du semblant, Stanley, le musicien, Otto, le dramaturge, et Wyatt, le peintre, tentent chacun à leur manière (plus ou moins radicale ou accomodante) de résister à cette lame de fond du toc, à « ce diable (…), père du faux art ».

Dans son premier chef-d’oeuvre (quatre suivront), William Gaddis s’ingénie à déconstruire le monde qui nous entoure en nous renvoyant son image dans la subtilité de chaque reflet.  La surface de sa prose est telle ce miroir dans lequel les personnages cherchent assidument une preuve d’eux-mêmes.  Miroir, c’est-à-dire le verre équipé de tain.  Mais aussi une vitre, son reflet dans le regard de l’autre, le fait d’être nommé, la trace que laisse la main qui signe…  Bref, tout ce qui peut rattacher chaque être à la conscience de sa réalité.

Ce…  cet unique dilemme, prouver sa propre existence…  Les gens ne reculeront devant aucune ruse pour ça…

La ruse que s’est trouvée l’époque contemporaine (et qu’elle croit ultime) est la possession.  L’avoir laisse sa trace illusoire mais rassurante sur l’être.  Et cette trace, son emblême par excellence c’est l’argent.  L’argent, s’il n’a pas d’odeur, n’a pas non plus de valeur.  Il est la valeur.  Il est la construction technique d’une transcendance.  Dieu s’efface et l’argent s’affirme.  Il est l’aune à partir duquel tout est jugé.  Alors que l’art est copié, le plagiat institutionnalisé, l’identité échangée, la paternité incertaine, le pire blasphème est de copier des billets de banque.  L’hérétique, l’iconoclaste du 20 ème siècle est le faussaire de billets. 

Nous vivons au sein de cet inventaire du faux.  Mais Gaddis ne s’arrête pas à cette surface.  Derrière le vernis de la satyre, il creuse le bois du réel.

Non, c’est…  les reconnaissances vont beaucoup plus en profondeur, beaucoup plus loin en arrière, et je…  ces tests au rayons X et ultraviolets et infrarouges, les experts avec leur photomicographie, croyez-vous qu’il n’y ait que ça?  Il y en a qui ne sont pas fous, ils ne cherchent pas un chapeau ou une barbe, ou un style qu’ils puissent reconnaître, ils regardent avec des mémoires qui…  vont plus loin qu’eux-mêmes

Suprême ironie, notre époque, qui pousse jusqu’à son paroxysme cette logique du faux, est elle-même l’héritage du semblant.  Ainsi, là où s’érigent aujourd’hui les églises d’un dieu peu à peu abandonné, célébrait-on autrefois le culte de Mithra, dans la pratique duquel était sacrifié un taureau, chaque 25 décembre.  Mais cela n’est pas le résultat d’un lent glissement naturel.  Rien de darwinien ici.  L’évolution est faite de ruptures, de choix conscients (politiques, pragmatiques) où l’on présente la copie pour le vrai.  Nous sommes englués dans le faux.  Il nous constitue même.

La création véritable n’est dès lors possible sans la saisie de ce constat.  Tout est fragmenté, le vrai et le faux s’entremêlant.  L’art authentique n’est accessible que s’il se reconnaît héritier des palimpsestes qui le précèdent, l’auteur s’effaçant dans son oeuvre.

Gaddis, en compositeur de génie, réalise ce programme avec une rigueur et une ampleur inégalée.  Et, pour notre plus grand bonheur, c’est le lecteur qui doit s’en faire l’interprète.

William Gaddis, Les reconnaissances, 1973, Gallimard.

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