Jacob, Michael – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Poétique du banc » de Michael Jakob. https://www.librairie-ptyx.be/poetique-du-banc-de-michael-jakob/ https://www.librairie-ptyx.be/poetique-du-banc-de-michael-jakob/#respond Tue, 03 Feb 2015 09:16:35 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4886

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Qui lit connait les bancs.  Cette phrase, qu’on pourrait presque prendre pour un adage, dissimule déjà beaucoup de douces certitudes : un banc est conçu pour y lire, pour s’y reposer.  Il est lieu de respiration et de contemplation.  Lui est associée, tenacement, toute une imagerie bucolique et romantique.  Et le voilà donc, ce banc, qui disparait sous qui s’y assied, comme tout outil qui sombre sous sa seule signification d’utilitaire.  Mais si on s’y assied pour y lire, ne pourrait pas le lire lui-même, ce banc?

Que signifie, en général d’être sur un banc et de regarder?

Lors du quattrocento toscan, le banc est partout.  Que ce soit dans les palais des Medici, des Pitti, ou d’autres, les bancs sont non seulement inclus directement dans l’architecture même des bâtiments publics, mais aussi clairement mis en avant.  Omniprésent et entourant parfois très démonstrativement tout le pourtour d’un bâtiment public, le banc se fait l’expression architecturale d’un choix politique : ouvrir la ville, y accueillir l’arrêt, le débat.  Dans le fameux parc d’Ermenonville, élaboré au dix-huitième par le marquis de Girardin, le banc n’est par contre plus urbain, ni massif, ni long.  Solitaire, court, campagnard, s’il semble se désinvestir de la volonté d’un accueil du débat, il n’en quitte pas pour autant le champ politique.

Tout en invitant « autrui » à la découverte de son domaine, c’est « sa » vision du monde que le seigneur libéral met en avant.

Le banc du parc d’Ermenonville, comme ceux des « walken-garden » anglais de la même période, cadre un champ visuel.  Son articulation est intuitivement scopique.  Il EST cadrage.  L’objet renaissant qui servait au rassemblement, à la tenue du débat communautaire, sert maintenant à cadrer le discours du maître.  En prêtant (et non donnant) à voir un point du paysage qu’il cadre, c’est son choix sur le pays (pays qu’il a lui-même organisé) que prête à contempler le seigneur.  Le banc, s’il permet ainsi la rencontre temporaire entre le « je » de qui cadre et le « je » de qui contemple, est aussi et surtout, un redoutable et insidieux engin de pouvoir.  Et d’autant plus redoutable et insidieux qu’il parvient à se faire oublier sous sa fonction pratique…

le banc – apparemment spécifique et personnelle, mais en fin de compte remake, variation sur le thème – est au jardin exactement ce que le jardin dans sa totalité est au pays entier, à savoir une fausse idylle, une halte mise en scène avec artifice, afin de mieux véhiculer des messages de pouvoir.

Le banc est aussi l’histoire de sa représentation.  Dans les photos de Lénine sur son banc fétiche de Gorki, dans les toiles de Monet, dans les descriptions de Stifter, se lisent aussi toute la symbolique dont un objet peut être chargé et les constructions signifiantes qui guident les choix de leur auteur.

le banc parle, raconte, communique un savoir, il est signe verbal, mais ouvre aussi un espace visuel, il est également le cadre d’une expérience iconique.

Détaillant son propos avec intelligence, veillant à guider notre regard vers ces lieux, ces objets, que nous nous sommes habitués à ne plus voir que comme des utilitaires -et donc à ne plus les voir -, Mikael Jakob nous fait ré-occuper l’espace qui est le nôtre.  Et nous démontre qu’à défaut de comprendre les actes dont témoignent les objets, les intentions qui sous-tendent leur simple présence, nous nous soumettons à leur joug en nous exilant de leur réalité.

le banc est un mobilier intelligent et visionnaire qui mérite d’être occupé si nous voulons vraiment comprendre la réalité que nous habitons.

Occuper un banc est bien plus que s’y asseoir…

Mikael Jakob, Poétique du banc, 2014, Macula

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« Le paysage » de Michael Jacob. https://www.librairie-ptyx.be/le-paysage-de-michael-jacob/ https://www.librairie-ptyx.be/le-paysage-de-michael-jacob/#respond Tue, 23 Apr 2013 21:03:35 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=2538

Lire la suite]]> PaysageLe paysage ne va jamais de soi.

Alors que les initiatives se multiplient destinées à protéger le paysage, à en saisir l’identité pour la mieux protéger, Michael Jakob en questionne l’essence même, le dégageant des présupposés, des fausses évidences sous lesquelles la notion se dissimule.  Et tout de suite, dans le paysage, on se rend compte qu’il y va autant de ce que le sujet perçoit que de l’acte de percevoir.

Le paysage est donc le résultat hautement artificiel, non-naturel, d’une culture qui redéfinit perpétuellement sa relation avec la nature.

P = S + N.  Le Paysage (qui n’est pas le pays), c’est le Sujet additionné de la Nature.  Et dans l’histoire de la représentation de la nature se découvre un processus de distanciation irréductible entre le sujet et la nature.  Alors que la nature, chez Claude Lorrain, est triomphante, exubérante, mais avec une telle précision, une invention si marquée qu’elle ne peut plus être perçue que comme une émanation de l’homme, Monet, lui, la soustraira (la nature, la représentation du réel) à l’intellectif, la soumettant entièrement à la momentanéité de l’impression.

Ce n’est paradoxalement qu’au moment de sa soumission définitive à la volonté de l’homme, à l’ère de la révolution industrielle, que la nature apparaît dans sa forme nue (absence de figures humaines) ou sauvage (absence d’interventions humaines).

Le paysage naît de la nostalgie du sujet urbain, séparé de la nature, qui regarde la campagne comme un déraciné.  L’homme industriel qui consomme cette séparation (le paysage deviendra enjeu commercial comme un autre ; les papiers peints à motif paysagés, les panoramas naissent à la même période), l’homme industriel donc va faire alors inconsciemment disparaître la nature derrière le paysage.  Le divorce entre nature et humain est consommé quand l’interface qu’est le paysage est prise pour ce qu’elle représentait, à savoir la nature.  De P = S + N, on passe à P = N.  Le sujet lui-même oublie son rôle dans la constitution du paysage.  Et, en ayant oublié sa participation dans la constitution de cette image de la nature, il en oublie son statut d’image.

L’image ira jusqu’à remplacer le réel.

A tel point que dans notre logique actuelle passéiste, muséale de la nature, on veut contraindre le réel à ressembler à l’image qu’on s’en est fait et qui est tout entière détenue dans le paysage.  Alors que l’objectif avoué est de dégager la nature de l’emprise du sujet, la volonté actuelle de préservation du paysage l’y enserre encore un peu plus.  Et l’intérêt récent de certains pour le « paysage urbain », par exemple dans la littérature (comme chez Iain Sinclair), est souvent moins la marque d’une réconciliation de concepts divergents (ville – nature) qu’une volonté de déceler une irruption de la nature dans la ville, en focalisant l’observation moins sur l’urbain que ce qui paraît y échapper (ses banlieues ou plus typiquement encore, ses friches).  Comme une tentative de retourner au monde, au réel, d’échapper au tout-à-l’image, à notre destin conforme de fac-similé.  Tentative conjuratoire, un peu désespérée.

L’être-dans-le-monde a fait ainsi place à l’être-dans-les-images.

Michael Jacob, Le paysage, 2008, Infolio.

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