Jouannais, Jean-Yves – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 Vrac 4. https://www.librairie-ptyx.be/vrac-4/ https://www.librairie-ptyx.be/vrac-4/#respond Wed, 03 Sep 2014 07:15:24 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4444

Lire la suite]]> A la lecture de nos chroniques, comme à celle des bons mots affichés sur les livres que nous défendons en librairie, beaucoup s’étonnent que nous lisions autant.  Ce qui, à notre tour, nous étonne.  Car s’il est bien une activité centrale dans notre métier (à ce point centrale qu’elle le constitue, à notre humble avis, presque à elle seule), c’est bien lire.  On n’établira pas ici un relevé exhaustif des attitudes que suscitent ce constat.  De la moue dubitative presque éberluée au « Enfin un libraire qui lit! », l’éventail est large et varié.  On préfère appuyer encore un peu sur le clou.  Car si, effectivement, nous lisons beaucoup, il ne nous est matériellement pas possible de développer pour chaque livre lu et apprécié à sa juste valeur une chronique qui soit relevante.  Si tant est, du moins, que celles qui sont écrites le soient.  Car, oui, on lit plus qu’on en dit ou écrit.  D’où l’idée d’un rattrapage.  Sous forme courte.

Selon VincentChristian Garcin, Selon Vincent, 2014, Stock.

Le moi se dilue dans quelque chose de plus vaste que lui.

Christian Garcin nous convie à suivre (mais suivre, chez lui, se fait par d’incessants détours) Vincent, disparu volontaire.  Le lecteur est invité à découvrir, avec qui cherche dans l’espace du roman la trace de Vincent comme celle des causes de sa disparition, qu’il y a peut-être plus de « raisons » de disparaître que de rester « en pleine lumière ».  A la logique du statut quo, de l’immobilité, du même, répond en écho celle de la disparition. Dans ce récit vif et palpitant, jouissif, sophistiqué sans arrière-goût d’artifice, fait d’enchâssements, de mises en abymes, migrant dans le temps et l’espace avec un égal bonheur, puisant subtilement à nombre de sources narratives, se dévoilent encore une fois les thèmes chers à l’auteur qui, tous, renvoient à l’irréductible importance de l’Autre.

Reductio ad HitlerumFrançois De Smet, Reductio ad Hitlerum, 2014, PUF.

Le postulat sous-jacent à la « loi » de Godwin lorsqu’elle se transforme en « point » est que toute invocation d’Hitler et des nazis dans une discussion est nécessairement inappropriée, car rien ne peut valablement se comparer au Troisième Reich et au poids maléfique que celui-ci fait durablement peser sur la conscience collective.

La « loi » de Godwin (qui dit qu’au plus une discussion se prolonge, au plus la probabilité que le nom d’Hitler y surgisse se rapproche de 1), loi de constat s’il en est, comme les lois, instituées celles-là et dites mémorielles, démontre la prise en compte, par la collectivité elle-même, de sa propre faiblesse, ou de ce qu’elle s’imagine comme telle.  Rassemblés en une communauté édictant des lois, les hommes en élaborent donc une qui se fonde sur le constat de l’inféodation de l’individu au groupe.  En clair, la communauté des hommes redoute qu’une idée dite, proclamée, partagée, puisse, par effet de meute, aboutir au passage à l’acte.  Cette communauté, aveuglée par l’originalité abominable de la Shoah, interdit à chacun en son sein de manifester une intention dont elle craint qu’elle ne la fasse redevenir meute.  Mais, se faisant, en créant de l’indicible, en confondant intention et acte, elle fait du nazisme « un cache-sexe commode et unique du mal […] qui peut conduire, par obnubilation, à négliger ce même mal lorsqu’il prend d’autres formes ».  François De Smet, parfois brouillon mais toujours intelligent et (malgré le sujet, disons, sensible) sans excès de prudence, livre ici un plaidoyer intelligent pour, si pas les embrasser, du moins accepter la contingence et le chaos, en lieu et place d’une cohérence érigée en dogme.

JBarrages de sableean-Yves Jouannais, Les Barrages de sable, Traité de castellologie littorale, 2014, Grasset.

Rien n’est à créer.  On n’invente rien.

Que font les enfants sur la plage équipés de leurs pelles et seaux?  Que sont leurs châteaux?  Qu’est ce qu’un barrage de sable si ce n’est un monument dressé à son échec?  Construisez-le loin du bord de mer, à l’abri des flots, il décevra, paraîtra inutile.  C’est sur le chemin de la marée qu’il a vocation à être.  Car il n’est, depuis l’élaboration de son projet, que le désir d’être détruit, de n’être rien.  Comme il l’a toujours été et le sera toujours.  Construit autour de son érudition guerrière (Jean-Yves Jouannais poursuit depuis 2008 un cycle de conférences-performances, l’Encyclopédie des guerres), elle même fruit de son obsession, Les Barrages de sable recèle en son creux la question de son propre projet.  Pourquoi construire quelque chose dont le sens même est d’être détruit?  Mais aussi pourquoi l’auteur du livre est-il à ce point questionné par les barrages?  Ce qui revient à poser la question : pourquoi faire œuvre?  Donc comment?  A l’opposé d’une quête effrénée et souvent bêtifiante de la nouveauté, s’en dégage une très belle évocation du seul échec qui vaille : l’épuisement.  Car en désirant épuiser un sujet, sans espoir d’y arriver jamais, on ne cherche qu’à embrasser à bras le corps, sans espérer y trouver de réponses, les questions que posent notre propre attrait pour ce sujet.  Un magnifique minimum.

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« Que reste-t-il de ce beau poème que tu m’as lu derrière un meuble? » de Alain Rivière et Jean-Yves Jouannais. https://www.librairie-ptyx.be/que-reste-t-il-de-ce-beau-poeme-que-tu-mas-lu-derriere-un-meuble-de-alain-riviere-et-jean-yves-jouannais/ https://www.librairie-ptyx.be/que-reste-t-il-de-ce-beau-poeme-que-tu-mas-lu-derriere-un-meuble-de-alain-riviere-et-jean-yves-jouannais/#respond Tue, 10 Jun 2014 07:43:00 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4197

Lire la suite]]> Poe riviere

C’est spectateur de l’endormissement de l’autre, que l’on s’imagine aisément être à même de le posséder.  Ce n’est plus un rêve de notre part, et c’est tout au contraire son rêve, à lui, qui nous le livre, nous l’abandonne.

Peut-être connaissez-vous Félicien Marboeuf, cet illustre écrivain sans œuvre, auquel Jean-Yves Jouannais prête une plume épistolière?  Dans une partie de sa correspondance, que l’éditeur nous donne ici à lire, se dévoile l’une des lubie du « plus grand écrivain n’ayant jamais écrit » : l’accumulation de portraits d’écrivains sur leur lit de mort ou prenant la pose assoupis…

Introduit donc par un échange de lettres entre Marcel Proust et Félicien Marboeuf dans lesquelles ce dernier demande à l’auteur de La Recherche un portrait de lui « tout en paupières », le livre fait ensuite se succéder sur la page de gauche un portrait d’écrivain « les yeux fermés » et sur celle de droite la reproduction d’une page qu’on suppose d’époque mais vide d’écriture.

Qu’est ce qui se dérobe dans l’absence d’un regard?  Qu’est ce qui se devine sur la page désertée par les mots écrits?  Subtil jeu sur le retrait et l’intériorité, questionnement magnifique sur l’absence et le silence, l’œuvre de Alain Rivière et Jean-Yves Jouannais interroge, par sa suspension apparente, l’essence même de la littérature.  En nous rappelant par d’autres voies ce qu’en disait récemment Philippe Beck, que la poésie revient à montrer, en l’encrant, la page même, ce qui reste de ce beau poème est l’impression, comme en rêve, d’un très beau et sain vertige…

Un écrivain qui dort nous accorde à son insu le portrait le plus fidèle de sa littérature, tout comme, me semble-t-il, l’eau dormante d’un lac s’avère le récit mis en page des flux, accélérations, crues et autres excès de son bassin hydrographiques, le poème définitif, exhaustif, des sources, rus, rivières, deltas et océans qui constituent sa personnalité sans le fréquenter jamais ni même avoir une quelconque connaissance de lui.

Alain Rivière & Jean-Yves Jouannais, Que reste-t-il de ce beau poème que tu m’as lu derrière un meuble?, 2014, Yellow Now & Anima Ludens.

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« L’usage des ruines » de Jean-Yves Jouannais. https://www.librairie-ptyx.be/lusage-des-ruines-de-jean-yves-jouannais/ https://www.librairie-ptyx.be/lusage-des-ruines-de-jean-yves-jouannais/#respond Sat, 07 Jul 2012 08:44:42 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=808

Lire la suite]]> Le spectacle des ruines est à même de faire chanter votre obsession, de lui donner voix.

Ce sont moins les ruines que le regard porté sur elles, tel une obsession tournant autour de son sujet, qu’intéresse le narrateur.  Chaque chapitre sera donc moins lecture d’une ruine qu’analyse d’un regard particulier s’y attelant.  Ce sera Albert Speer, le tailleur de pierre d’Hitler, pour qui toute architecture à composer au présent ne vaut qu’en regard de la ruine qu’elle deviendra à l’avenir.  Déviance romantique, la ruine (c’est-à-dire ici la perception du détruit) devient alors l’idéal.  La construction n’est qu’une des étapes.   Ce sera Naram-Sîn d’Akkad qui passera la ville d’Ebla par le feu, 3000 ans avant notre ère.  Dans le but, moins d’une revanche, que d’annihiler le souvenir de la ville pour mieux y laisser le sien.  Mais le feu cuit l’argile dont les tablettes d’Ebla sont faites.  Et les traités commerciaux de la ville, ses hymnes religieux, ses fragments d’épopée sont ainsi préservés.  Et Ebla reste, la figure de Naram-Sîn s’efface.

Voilà ce qu’avait fait Naram-Sîn, il avait annulé une ville et lui avait offert de n’être plus jamais oubliée.

Les ruines sont aussi parfois simple désir esthétique (Quand on fait une ruine, il faut la bien faire).  Ou ancrage d’une science, où c’est l’interprétation des décombres de guerre qui serait à même d’éclairer l’avenir des nations et des êtres.  Les ruines sont aussi un espace de vie.  Comme pour cette femme, tenancière de cinéma dans le Hambourg bombardé de la seconde guerre mondiale.  Alors qu’à quelques rues d’elle un artiste construit une oeuvre fondée sur l’accumulation de déchets et de gravats, elle ne songe, sous le déluge de feu et de fer, qu’à permettre la continuité des projections d’image de destruction.

L’énergie compulsive, têtue, que Mme Schrader dépense à faire disparaître les gravats obstruant l’écran de son cinéma a pour ambition de permettre la projection d’autres images de cataclysme.  Elle ne peut accepter que la guerre en vienne à menacer le spectacle de la guerre.

La langue de Jean-Yves Jouannais est de celle qui permet ces « obsessions ».  Non pas simples histoires sur l’Histoire, mais perspectives, mises en lien, où les gravats forment des entrailles dans lesquelles se donnent à lire l’Histoire, dont peut-être celle à venir.

Jean-Yves Jouannais, L’usage des ruines, 2012 (à paraître le 30/08/2012), Verticales.

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