Rosa, Isaac – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « La pièce obscure » de Isaac Rosa. https://www.librairie-ptyx.be/la-piece-obscure-de-isaac-rosa/ https://www.librairie-ptyx.be/la-piece-obscure-de-isaac-rosa/#respond Fri, 16 Sep 2016 07:42:07 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6180

Lire la suite]]> Carré noirQui donc avait proposé d’aménager une pièce obscure. Qu’importe, n’importe lequel d’entre nous, nous tous.

Lors d’une chute de tension sur le réseau électrique, des colocataires font l’expérience, dans une pièce plongée brièvement dans la pénombre, de la liberté que n’être plus visible permet. Fasciné par celle-ci, et déterminés à la vivre à nouveau, autant que voulu, ils décident d’équiper une pièce en la soustrayant hermétiquement à toute lumière et à tout bruit extérieur. Lieu de désinhibition en acte ou de retrait du monde, d’expérimentation sensuelle libre ou de ressourcement quasi-érémitique, la pièce obscure devient alors pour eux comme un centre autour duquel graviter. Isaac Rosa fait s’alterner de longs chapitres pendant lesquels il conte l’évolution de ces colocataires, leurs vies professionnelles, intimes, rythmées par les désillusions de temps toujours plus difficiles, avec de très courts chapitres (nommés REC), simples descriptions de scènes captées par des webcam à l’insu de ceux qu’elles cadrent. Au fur et à mesure d’un récit qui prend des teintes policières, se dessine une méditation subtile et nuancée de ce pouvoir que confère le fait de voir sans être vu.

Ça c’était le pouvoir, se disait-il : voir sans être vu.

Par l’absence de latence rétinienne et sonore qu’elle institue, l’obscurité silencieuse permet tout à la fois une désinhibition de l’individu (je ne suis plus reconnaissable donc je peux faire ce que je veux vraiment) et une dilution choisie de celui-ci dans un collectif (l’indiscernabilité préalable des corps oblige à tenter l’expérience des autres). L’expérience de la pièce obscure est l’expérience de la liberté. Mais, si savoir qu’il n’y aura pas de preuve visuelle et sonore de mon acte en permet la liberté, ce qui y met aussi radicalement un terme, c’est de savoir qu’un et un seul œil, une et une seule oreille puisse, sans que la réciprocité soit possible, le documenter. Dans la parfaite obscurité, la moindre parcelle de lumière est un instrument redoutable de pouvoir. En opposant le récit fictionnel de cette pièce obscure et celui, bien réel, des moyens de surveillance généralisés dans lesquels nous baignons, Isaac Rosa fait ressortir, par contraste, toute l’ambiguïté de l’antédiluvienne concaténation des termes « liberté » et « lumière ». Et, en parallèle, dresse le tableau de nos illusions perdues.

Nous menons une guerre, et la guerre est toujours laide, sale.

Isaac Rosa, La pièce obscure, 2016, Christian Bourgois, trad. Jean-Marie Saint-Lu.

]]> https://www.librairie-ptyx.be/la-piece-obscure-de-isaac-rosa/feed/ 0
« Le pays de la peur » de Isaac Rosa. https://www.librairie-ptyx.be/le-pays-de-la-peur-de-isaac-rosa/ https://www.librairie-ptyx.be/le-pays-de-la-peur-de-isaac-rosa/#respond Tue, 29 Apr 2014 07:50:05 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4072

Lire la suite]]> pays de la peurIl s’est assis devant l’ordinateur, a ouvert un nouveau document et tapé le titre au centre de l’écran, en majuscules et caractères gras : LE PAYS DE LA PEUR.  Puis il se mit à écrire.

La soupçonnant de vol et croyant l’avoir confondue, Sara et Carlos renvoient leur femme de ménage.  C’est par après, découvrant des ecchymoses sur le corps de leur fils Pablo, qu’ils constatent leur méprise.  Peu à peu, avec une force insidieuse, le quotidien de Carlos glisse vers une peur à laquelle rien n’échappe.

Et surtout, ce qui est peut-être le pire, sa peur est consciente, c’est celle de quelqu’un qui est capable de penser sa propre peur, de l’analyser et même de l’interroger, et qui pourtant craint.

Composant son roman comme un chassé-croisé entre les réflexions de Carlos et les évènements qu’il vit, Isaac Rosa réussit le pari de nous faire ressentir au plus près les processus à l’œuvre dans l’angoisse qu’étreint son héros.  Ce ne sont ainsi pas les événements de sa vie réelle qui l’enserrent dans sa peur toujours plus totalisante.  S’ils l’expliquent pour partie, ils ne lui suffisent pas.  Sa peur ne se fonde pas sur eux mais sur les pensées, les lieux communs, les peurs culturelles, ancestrales dont il l’abreuve en les ressassant.

En réalité, sa peur ne repose pas sur grand-chose.

Pendant que les discours, les pensées sur la peur s’accumulent d’un côté, de l’autre les riens de la vie quotidienne s’en nourrissent.  Et s’instille peu à peu chez Carlos, comme chez le lecteur, une tension qui contamine toute chose.

la fiction ne favorise guère la tranquillité d’esprit.

Véritable inventaire des peurs de la classe moyenne, et déconstruction des mécanismes qui y œuvrent, Le pays de la peur, en en dénouant les fils, prend inexorablement, jusqu’à sa fin hallucinatoire, le lecteur dans la toile de ce qu’il décode.  Et nous démontre magistralement que la peur la plus efficace est celle qui fabrique ses propres causes.

ne baissons jamais la garde, méfions-nous, craignons, n’ouvrons pas la porte à des inconnus, n’ayons pas de contacts avec des étrangers, n’acceptons pas de colocataires, ne faisons pas d’auto-stop, ne désirons pas de relations sexuelles passagères, ne prenons pas de rendez-vous dans les forums du Net, n’acceptons pas l’aide spontanée qu’on nous propose, ne baissons pas la garde, car chaque pas que nous faisons peut-être dans le vide et nous précipiter dans l’abîme.

Isaac Rosa, Le pays de la peur, 2014, Christian Bourgois, trad. Vincent Raynaud.

]]> https://www.librairie-ptyx.be/le-pays-de-la-peur-de-isaac-rosa/feed/ 0