Saer, Juan José – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Le fleuve sans rives » de Juan José Saer. https://www.librairie-ptyx.be/le-fleuve-sans-rives-de-juan-jose-saer/ https://www.librairie-ptyx.be/le-fleuve-sans-rives-de-juan-jose-saer/#respond Thu, 15 Feb 2018 07:47:37 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7452

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dans ce livre, on trouvera un peu de tout

Le Rio de la Plata est cet immense estuaire de 290 kilomètres de long formé par le Rio Parana et le Rio Uruguay, sur la façade atlantique de l’Amérique du Sud. Démesurée frontière entre l’Argentine et L’Uruguay, cet espace charriant autant les fantasmes que les alluvions est l’occasion pour Saer d’exercer un art qu’il maîtrise à la perfection. Oeuvre de commande, Le Fleuve sans rives permet ainsi non seulement à son auteur de mener le lecteur là où ce dernier ne s’attendait pas à être mené, mais aussi à transformer ce cheminement en sa propre exégèse.

Le but de l’art n’est pas de représenter l’Autre, mais le Même.

En quatre « saisons », Saer nous intéresse bien, et de très près, au Rio de la Plata. Sa géographie, sa géologie, ses courants, ses mouvements de flux et reflux, l’histoire de sa découverte et de son développement, tout cela est exploré – comme le précisait sans doute le « bon de commande » – avec la précision et la rigueur requises. On est dans le fait vérifié et estampillé « vrai ». Mais parmi ces faits directement reliés au fluvial, l’auteur, assez rapidement en vient y glisser d’autres. Ainsi en vient-il à nous parler de lui et de son enfance, des faits politiques souvent douloureux qui ont marqué l’Argentine, de la littérature aussi. Et peu à peu, en nous éloignant du fleuve (pour y revenir toujours, comme pour le temps d’un bref plongeon), l’auteur nous convie-t-il à voir et penser différemment tout ce qui nous irrigue.

Au lieu de vouloir être à tout prix quelque chose – appartenir à un pays, à une tradition, se reconnaître dans une classe, un nom, une situation sociale – , peut-être n’existe-t-il pas aujourd’hui d’autre orgueil légitime que celui de se reconnaître comme rien, moins que rien, fruit mystérieux de la contingence, produit des combinaisons complexes qui mettent tous les vivants sur un même pied d’égalité, celui d’une présence aléatoire et fugitive. Le premier pas vers la découverte de notre véritable identité consiste justement à admettre qu’à la lumière de la réflexion, et, pourquoi pas, de la compassion, aucune affirmation d’identité n’est possible.

Aux antipodes de la métaphore creuse, Saer, avec générosité et génie, nous enjoint dans une recherche esthétique et ontologique aussi fascinante que déterminante. Dans Le Fleuve sans rives, on trouve donc bien un peu de tout. Non pas car, maîtrisé ou non, le système formel prôné par l’auteur serait de créer un désordre mais bien, a contrario, parce qu’aucun « espace propre » n’existant pour rien nulle part, la littérature se doit de ne pas s’en créer un pour soi-même. Tout, décidément, est sans rives…

Juan José Saer, Le Fleuve sans rives, Le Tripode, 2018, trad. Louis Soler.

Il nous est impossible ici de ne pas alerter tout lecteur sur un autre Fleuve sans rives, de Hans Henny Jahnn. .Tout simplement parce qu’il s’agit, à notre humble avis, du plus important chef-d’oeuvre méprisé du vingtième siècle. Qu’on se le dise!

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« Glose » de Juan José Saer. https://www.librairie-ptyx.be/glose-de-juan-jose-saer/ https://www.librairie-ptyx.be/glose-de-juan-jose-saer/#respond Fri, 30 Jan 2015 08:39:16 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4909

Lire la suite]]> GloseLa façon dont une vérité se manifeste est secondaire.  L’important c’est que la vérité se laisse apercevoir.

Nous sommes le 23/10/1961, peu après 10 heures.  Angel Leto qui descend tout juste de l’autobus, décide, plutôt que de rejoindre directement son bureau de comptable, de faire quelques pas sur le boulevard San Martin.  Rapidement il rencontre Le Mathématicien.  Un peu plus loin, les deux amis discourant rencontrent Le Journaliste.  Le premier chapitre est consacré aux sept cents premiers mètres de leur ballade, le deuxième aux sept cent suivants, le troisième et dernier aux sept cents derniers.

Il y a toujours quelque chose, pense Leto,.  Et s’il n’y a rien, on pense qu’il n’y a rien et cette pensée est déjà quelque chose.

De cet argument minimal, lui-même sans cesse remis en question, Saer tire un roman magistral.  Déambulant le long de l’avenue que le narrateur (mais est-ce bien un narrateur?) nous décrit en détail (mais par l’entremise de quel regard?), des souvenirs affleurent à la mémoire de Leto et du Mathématicien.  Une soirée d’anniversaire.  Le suicide d’un père.  Et de même que nous sont donnés à lire certains de ces souvenirs, les propres considérations de chacun sur l’irruption même de ceux-ci nous sont pour partie dévoilées.  De même que les petites hypocrisies, les attentes qui émaillent le discours de chacun, leurs espoirs d’une réaction de l’autre aux propos qu’ils tiennent.  Et aussi, les évènements qui émailleront plus tard leurs existences.  Tout est ici, et sans cesse, changeant, remis en question.  Jusqu’à qui remet en question…

Barco, disions-nous, ou disait plutôt, n’est-ce pas? comme je le disais, votre serviteur,

Virevolte déroutante, Glose se déploie comme la pensée elle-même.  Du coq à l’âne, brassant passé et présent, là et ici.

Cet univers linéaire d’où Leto, pour des raisons mystérieuses, et sans même qu’ils s’en doutent, était exclu […] semblait inexpugnable, moins pour cause de solidité que pour cause d’inconsistance, diffuse, changeante et omniprésente.

Sur cette ligne de deux mille cent mètres, chaque pas, chaque point d’arrêt se matérialise comme un point dans l’espace et le temps qui en dévoile plus que lui-même, ne s’y arrête pas.  Comme une poupée russe sans fond.  Et l’écriture est cela même qui peut pallier à cette infirmité du changeant, du diffus incessant, et de ne pouvoir être qu’un point dans l’espace et dans le temps.  En en détaillant les successions, les états par lesquels un être transite avant d’arriver à ce point.  Et avant qu’un autre n’advienne.  Ce que tente de dire Saer n’est rien d’autre que l’insaisissable par essence : le présent!

[le] présent – qui pourrait être après tout, et pourquoi pas, le nom de tout cela –

Glose est un roman du solipsisme, du relativisme poussé en absolu, où le réel n’est là que parce qu’il y a un sujet.  Un sujet, à partir duquel peut se développer, dans toutes les directions temporelles ou spatiales, un monde.

la rue droite qu’ils déroulent est faite d’eux-mêmes, de leur vie, elle est inconcevable sans eux, sans leur vie et, à mesure qu’ils se déplacent, elle se constitue de ce déplacement, elle est le bord empirique de l’avenir.

Juan José Saer, Glose, 2015, Le Tripode, trad. Laure Bataillon.

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