« Le fleuve sans rives » de Juan José Saer.

dans ce livre, on trouvera un peu de tout

Le Rio de la Plata est cet immense estuaire de 290 kilomètres de long formé par le Rio Parana et le Rio Uruguay, sur la façade atlantique de l’Amérique du Sud. Démesurée frontière entre l’Argentine et L’Uruguay, cet espace charriant autant les fantasmes que les alluvions est l’occasion pour Saer d’exercer un art qu’il maîtrise à la perfection. Oeuvre de commande, Le Fleuve sans rives permet ainsi non seulement à son auteur de mener le lecteur là où ce dernier ne s’attendait pas à être mené, mais aussi à transformer ce cheminement en sa propre exégèse.

Le but de l’art n’est pas de représenter l’Autre, mais le Même.

En quatre « saisons », Saer nous intéresse bien, et de très près, au Rio de la Plata. Sa géographie, sa géologie, ses courants, ses mouvements de flux et reflux, l’histoire de sa découverte et de son développement, tout cela est exploré – comme le précisait sans doute le « bon de commande » – avec la précision et la rigueur requises. On est dans le fait vérifié et estampillé « vrai ». Mais parmi ces faits directement reliés au fluvial, l’auteur, assez rapidement en vient y glisser d’autres. Ainsi en vient-il à nous parler de lui et de son enfance, des faits politiques souvent douloureux qui ont marqué l’Argentine, de la littérature aussi. Et peu à peu, en nous éloignant du fleuve (pour y revenir toujours, comme pour le temps d’un bref plongeon), l’auteur nous convie-t-il à voir et penser différemment tout ce qui nous irrigue.

Au lieu de vouloir être à tout prix quelque chose – appartenir à un pays, à une tradition, se reconnaître dans une classe, un nom, une situation sociale – , peut-être n’existe-t-il pas aujourd’hui d’autre orgueil légitime que celui de se reconnaître comme rien, moins que rien, fruit mystérieux de la contingence, produit des combinaisons complexes qui mettent tous les vivants sur un même pied d’égalité, celui d’une présence aléatoire et fugitive. Le premier pas vers la découverte de notre véritable identité consiste justement à admettre qu’à la lumière de la réflexion, et, pourquoi pas, de la compassion, aucune affirmation d’identité n’est possible.

Aux antipodes de la métaphore creuse, Saer, avec générosité et génie, nous enjoint dans une recherche esthétique et ontologique aussi fascinante que déterminante. Dans Le Fleuve sans rives, on trouve donc bien un peu de tout. Non pas car, maîtrisé ou non, le système formel prôné par l’auteur serait de créer un désordre mais bien, a contrario, parce qu’aucun « espace propre » n’existant pour rien nulle part, la littérature se doit de ne pas s’en créer un pour soi-même. Tout, décidément, est sans rives…

Juan José Saer, Le Fleuve sans rives, Le Tripode, 2018, trad. Louis Soler.

Il nous est impossible ici de ne pas alerter tout lecteur sur un autre Fleuve sans rives, de Hans Henny Jahnn. .Tout simplement parce qu’il s’agit, à notre humble avis, du plus important chef-d’oeuvre méprisé du vingtième siècle. Qu’on se le dise!

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