Sorrentino, Gilbert – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « L’Abîme de l’illusion humaine » de Gilbert Sorrentino. https://www.librairie-ptyx.be/labime-de-lillusion-humaine-de-gilbert-sorrentino/ https://www.librairie-ptyx.be/labime-de-lillusion-humaine-de-gilbert-sorrentino/#respond Fri, 27 Nov 2015 09:29:15 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5574

Lire la suite]]> Abîme de l'illusion humaineIl n’y a pas de signification.

Peu d’écrivains se sont défait des codes de la littérature avec la radicalité d’un Gilbert Sorrentino. Narration suivie, nécessité de la signification, continuité dans le profil psychologique des personnages, construction d’un cadre séparant réel et fiction, limites claires entre auteur et narrateur, entre lecteur et chose lue : toutes conventions qu’il prend un malin plaisir à saper. Comme le rappelle intelligemment et à propos le quatrième de couverture – chose finalement assez rare -, mettant l’accent « sur le refus d’écrire des histoires réalistes avec une intrigue minutieusement composée, intéressante, pleine de suspense, des personnages plausibles, plein de substance et de motivation, un décor qui vous rappelle quelque chose, au contraire, il insiste sur le fait qu’il n’y a là que de l’encre sur du papier, que sa création est pure imagination. » Et rompt ainsi avec l’une des conventions fondatrice de toute histoire : le contrat de crédibilité.

Constitué de 49 situations (ou fragments), chaque fois un peu plus longue, L’abîme de l’illusion humaine ne propose donc aucune histoire suivie et n’articule pas même au sein des diverses capsules qui s’y succèdent un quelconque suivi narratif. De la vinaigrette française Kraft, l’Ombre, des femmes, des vieillards, des alcooliques, des écrivains déchus (ou qui ne sont pas même arrivés bien haut) en sont les personnages.

Mais comme la vie est, pour l’essentiel, et de façon exaspérante, une série d’erreurs, de mauvais choix, de bêtises, d’accidents et d’incroyables coïncidences, tout se déroula comme il se devait.

Le monde n’est pas cette suite bien ordonnée que donne à lire le réalisme. Les accidents, souvent présentés comme ce qui en dérangeraient l’unité, en constituent en fait l’essence même. S’approcher du réel ne se peut dès lors en faisant l’économie de ce qui le déstabilise, le manque d’équilibre en étant son fondement.

il n’avait pas lu, ni cherché à lire ce qui avait, toujours été devant lui.

Toutes ces situations mettent en scène, peu ou prou, des techniques de fabrication d’illusion. Par lesquelles les être humains cherchent à asseoir plus tangiblement leurs existences, les rendant moins insupportables en sacrifiant le réel sur l’autel du consensus : je m’invente une vie en mirage, tu fais de même ; je fais semblant de croire à la tienne, tu fais de même. Mon illusion renforce la tienne, la tienne la mienne. Et ce que nous appelons réel tient à ce consensus, cette illusion commune. Et comment se défaire de ces illusions, les exposer au regard de qui lit sans se défaire de celles que le roman fait peser de tout le poids de ses traditions?

Il existe des aliénations plus graves sur lesquelles méditer, mais nous sommes, pour le moment, pris dans les rets de celle-ci.

Gilbert Sorrentino parvient, en s’éloignant toujours plus loin des conventions littéraires, à ne jamais se défaire de son lecteur. Il le chambre, l’indispose, le dérange, mais, par sa dérision et la profonde humanité qu’il dévoile en chacun, se le gagne toujours.

Gilbert Sorrentino, L’Abîme de l’illusion humaine, 2015, Cent Pages, Trad. Bernard Hoepffner.

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« Salmigondis » de Gilbert Sorrentino. https://www.librairie-ptyx.be/salmigondis-de-gilbert-sorrentino/ https://www.librairie-ptyx.be/salmigondis-de-gilbert-sorrentino/#respond Mon, 18 Feb 2013 07:29:46 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=2065

Lire la suite]]> SALMIGONDISLa seule chose à faire, évidemment, est de commencer par le commencement.

Commençons donc.  Nous avons en présence un écrivain, Antony Lamont, qui tente d’écrire un livre dans lequel un personnage, nommé Halpin, ne se souvient plus s’il a ou non tué Ned Beaumont qui gît près du feu ouvert.  On y apprend rapidement que cette situation est liée à une histoire d’amour (avec Daisy) et de sexe (avec deux « entraîneuses »).

Qu’ai-je donc fait pour être tiré de note de bas de page désabusée et amusée dans laquelle j’avais résidé, sans visage, pendant toutes ces années au sein de l’oeuvre de ce gentleman irlandais, Mr Joyce.

Car Halpin provient bien d’une note de bas de page d’un roman de l’écrivain irlandais.  Ca se complique donc.  Car non seulement, Halpin en provient mais il le sait.  Et non content de le savoir, il s’en plaint, l’auteur sous la plume duquel il a à jouer n’étant pas du calibre souhaité.

Toute l’histoire vous sera racontée, je vous le promets.

Ca se complique d’autant plus que raconter toute l’histoire, l’auteur n’y parvient pas.  Une ex-compagne, un chercheur, une soeur, un auteur jaloux, les personnages du livre entre autres, s’ingénient à faire échouer son projet.  « Salmigondis » est donc le récit d’un échec, un échec absolu, terrible, complet et total.  Mais c’est aussi une suite de listes, une vengeance contre les personnages d’un livre, un exercice de pornographie appliquée, une méthode pour échanges épistolaires, une « Défense et illustration de la langue anglaise », une gigantesque rigolade…

Le flegme trembla et bouillonna sableusement dans la gorge de Deuces Noonan lorsqu’il le rassembla paisiblement au fond de son bec, puis il le décocha dans la rue avec la précision de serpent à sonnette qui était la sienne quand il lançait son Bowie Knife étincellant lors de ses missions mortelles et plus qu’occasionnelles.

C’est donc aussi peut-être le seul livre dans lequel trouver ce style de phrase est excusable parce que s’inscrivant dans ce que le livre se propose d’être : un bout du bout du modernisme littéraire.  Un roman qui ne peut plus même espérer à l’originalité.  Un livre dont l’objet même ne peut plus être de se détacher de ce qui l’environne, mais de se fondre dans ce dont il provient et qu’il continue, en en revendiquant l’influence, s’en laissant phagocyter : la littérature.  Mais surtout, « Salmigondis » est un immense, brillant, baroque, artificiel et jouissif foutoir où, par delà l’énervement du lecteur religieusement patient, le faux absolu de l’artifice se transforme par magie en vérité.

Je vais continuer, parce qu’il n’y a rien de mieux à faire. Je m’amuse un peu quand même, à mettre ces mots dans la bouche de Halpin.

Bah! entasse sur nous les misères, enchevêtre nos arts de rire bas!

Gilbert Sorrentino, Salmigondis, 2007, Cent Pages, trad. Bernard Hoepffner.

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