Volodine, Antoine – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Frères sorcières » d’Antoine Volodine. https://www.librairie-ptyx.be/freres-sorcieres-dantoine-volodine/ https://www.librairie-ptyx.be/freres-sorcieres-dantoine-volodine/#respond Tue, 15 Jan 2019 08:39:19 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=8060

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Dans la première partie des ces entrevoûtes, une troupe de théâtre se fait décimer lors de sa traversée d’une région dévastée. Le récit est pris en charge par l’une des membres de la troupe alors qu’elle est questionnée, de façon fort assertive, par un inconnu. La deuxième partie est constituée d’une suite de « vociférations » dont certains membres de la troupe théâtrale s’étaient fait une spécialité. La troisième et dernière partie raconte, en une phrase et à la troisième personne, l’histoire d’une sorte de démiurge aux pouvoirs aussi étranges que contradictoires, capable de migrer de corps comme bon lui semble et à ce point omnipotent qu’il lui est possible de se créer des contraintes. Entre terreur post-apocalyptique et humour gore, Antoine Volodine fait ici du souffle le coeur et le principe de ses récits.

Peut-être que l’assassinat d’un seul élément d’un groupe suffit à dompter la totalité du groupe, à en annuler la force collective originelle, à décomposer le groupe pour n’en faire qu’un agrégat misérable de petites individualités lâches et apeurée. 

Assez de spéculations sur la nature humaine en général. Elles ne mènent à rien.

La parole est depuis toujours pensée comme un acte créateur primitivement à son penchant communicatif. À charge alors pour le sorcier, entre autres tâches, de révéler par sa pratique ce qui dans la parole échappe au sens commun. Par la litanie, l’oraison, la scansion ou toute autre technique indépendante des moyens de sa production – drogue, méditation – celui qui se charge de faire ressortir ce qui semble enfermé dans le langage est investi de fonctions magiques. Antoine Volodine est incontestablement de ceux-là. Non qu’il faille voir en lui une métaphore du « chaman » comme le proclame un peu niaisement le bandeau, mais bien comme l’un de ceux qui, dans la littérature française a compris et repris à son compte le pouvoir très pragmatiquement créateur de la langue. Comme le « dieu » de son récit final dont l’énorme puissance tient à pouvoir se créer et se créer encore lui-même, identique ou différent, et jusqu’à des conditions d’existences ou d’annihilations qui le rendent impossible, l’auteur semble non pas articuler des moyens qui lui préexisteraient mais pouvoir s’en forger à partir de rien. Ou plutôt à partir d’une source mystérieuse dont seule la conjonction d’une prédisposition et d’un travail acharné permette d’arracher des parcelles. Entre véhicule et démiurge, Antoine Volodine est de ces très rares « créateurs » qui créent vraiment…

C’était comme ça, un de ces rares moments où la parole crée du temps, de l’espace en même temps que la mort du temps et de l’espace.

Antoine Volodine, Frères sorcières, entrevoûtes, Le Seuil, 2019.

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« Terminus radieux » d’Antoine Volodine. https://www.librairie-ptyx.be/terminus-radieux-dantoine-volodine/ https://www.librairie-ptyx.be/terminus-radieux-dantoine-volodine/#respond Tue, 23 Sep 2014 08:04:44 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4496

Lire la suite]]> Terminus radieuxPeut-être qu’on est déjà mort, tous les trois, et que ce qu’on voit, c’est leur rêve.

Prenez une œuvre.  N’importe laquelle, mais une vraie œuvre.  Qui fait sens par son tout.  Qui est bâtie, pan après pan, comme une totalité.  On s’y sent parfois comme devant un roc.  A son pied, avec l’envie et la crainte d’y grimper. La question se pose alors de la face par laquelle l’aborder.

Tu imagines que tu vis encore, mais c’est fini.  Tu es qu’un reste.

Œuvre-monde, celle de Volodine a nécessité pour la dire d’autres que lui.  Manuela Draeger, Lutz Bassmann ou Kranoer y mêlent leur plume, à la fois auteurs, personnages, hétéronymes, construisant, au sens premier, un univers – celui du post-exotisme – dont l’ampleur peut laisser timoré qui désire se pencher à ses bords.

C’est pas tout le monde qui peut avoir la chance de mourir dans la steppe.

Pensée de l’eschatologie, personnages-oiseaux, violence vécue comme habitude, contextes géographiques et temporels diffus, « réalisme onirique », construction d’un corpus sémantique rappelant un connu par le son avant le sens…  Si s’y mêlent et démêlent bien sûr les fils habituels du post-exotisme, Terminus radieux paraît moins que d’autres parcelles post-exotiques être un fragment de ce monde.  Terminus radieux semble moins s’ajouter à l’univers volodinien que le chapeauter.

Tout se trouve au même endroit, comme dans une espèce de livre, si on veut bien se donner la peine de réfléchir.

Volodine y pratique les codes du post-exotisme mais en les travestissant et les prolongeant.  Mise en abyme de son projet global (jusqu’à sa dérision), personnages-auteurs, contexte de violence civile plus que militaire, indétermination permanente de toutes limites (mort-vie, temps mesurable-éternité), toutes « techniques » ou « thématiques » déjà certes présentes dans le reste de l’œuvre, mais trouvant ici un développement inédit.  Plus classiquement linéaire, moins éclaté, plus circonscrit à quelques destins, probablement plus empathique aussi, burlesque parfois, Terminus radieux nous paraît être cette voie par laquelle découvrir la « Comédie Humaine » de Volodine.  Non que la voie ne soit pas escarpée et semée d’embûches (on est dans une Œuvre, pas dans un zakouski de rentrée littéraire), mais toujours éclairée par les lumières du programme qu’elle dit en son sein, elle témoigne de l’ampleur de ce que le lecteur gravit sans l’épuiser.

Il vient d’entrer dans une réalité parallèle, dans une réalité bardique, dans une mort magique et bredouillée, dans un bredouillis de réalité, de malveillance magique, dans une tumeur du présent, dans un piège de Solovieï, dans une phase terminale démesurément étirée, dans un fragment de sous-réel qui risque de durer au moins mille sept cent neuf années et des poussières, sinon le double, il est entré dans un théâtre innommable, dans un coma exalté, dans une fin sans fin, dans la poursuite trompeuse de son existence, dans une réalité factice, dans une mort improbable, dans une réalité marécageuse, dans les cendres de ses propres souvenirs, dans les cendres de son propre présent, dans une boucle délirante, dans des images sonores où il ne pourra être ni acteur ni spectateur, dans un cauchemar lumineux, dans un cauchemar ténébreux, dans des territoires interdits aux chiens, aux vivants et aux morts.  Sa marche a commencé et maintenant, quoi qu’il arrive, elle n’aura pas de fin.

Antoine Volodine, Terminus Radieux, 2014, Le Seuil.

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« Danse avec Nathan Golshem » de Lutz Bassmann https://www.librairie-ptyx.be/danse-avec-nathan-golshem-de-lutz-bassmann/ https://www.librairie-ptyx.be/danse-avec-nathan-golshem-de-lutz-bassmann/#respond Sat, 10 Mar 2012 09:39:16 +0000 http://ptyx.argon7.net/?p=289

Lire la suite]]> Comme d’habitude chez Antoine Volodine (Lutz Bassmann est un de ses hétéronymes), on est dans un monde de l’après.  Après dont on ne sait rien de l’élément originel (y en a t’il un seulement?) mais qui est toujours fait de faim, de combats, de terreur, d’errance, d’opposition irréductible entre deux camps et d’une violence sans nom.

Nathan Golshem, qui survivait dans ce dédale d’horreurs en contant ses rêves, est mort.  Sa sépulture se situe sur un tas d’immondices.  Le corps introuvable a été remplacé par ce dont on diposait ; un crâne de chèvre, trois boîtes de conserves… Dans cet univers de mort, malgré un voyage lent et dangereux de plusieurs semaines, Djennifer Goranitzé se rend chaque année sur la tombe de son mari pour y danser.  Et sa danse le ramène à elle.

Dans l’étrange communication, faites de mots et de gestes, qui s’établit alors entre eux affleurent les souvenirs de l’horreur mais aussi des rites qui permettent d’y échapper : le respect de la dépouille et des corps, les mots, la danse et l’amour.  Mais aussi l’humour, la dérision, qui, comme le reste, prend l’allure de l’incantation.  En témoigne les deux longues listes du livre : celle des maladies à éviter (comme « la lanugalgie » ou « la coagulose des siphons ») ou celle des chefs d’inculpation possibles (comme « la tentative d’imitation de violonistes », « le vol plané en réunion » ou « la danse inopinée à quatre pattes devant militaires en activité »).

Dans ce monde post-exotique, du chaos, qui fait tellement écho avec le notre,

« Seule persiste la danse des corps, des paroles et des morts en face de la nuit.  Seule cette obstination de l’amour : la danse de l’éternel retour. »

Seul Volodine peut atteindre à cette dimension d’une poésie incantatoire.  Volodine est un barde, un chamane dont un des plus beaux chant est sans conteste ce sublime « Danse avec Nathan Golshem ». 

Lutz Bassmann, Danse avec Nathan Golshem, 2012, Verdier.

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