« Frères sorcières » d’Antoine Volodine.

 

Dans la première partie des ces entrevoûtes, une troupe de théâtre se fait décimer lors de sa traversée d’une région dévastée. Le récit est pris en charge par l’une des membres de la troupe alors qu’elle est questionnée, de façon fort assertive, par un inconnu. La deuxième partie est constituée d’une suite de « vociférations » dont certains membres de la troupe théâtrale s’étaient fait une spécialité. La troisième et dernière partie raconte, en une phrase et à la troisième personne, l’histoire d’une sorte de démiurge aux pouvoirs aussi étranges que contradictoires, capable de migrer de corps comme bon lui semble et à ce point omnipotent qu’il lui est possible de se créer des contraintes. Entre terreur post-apocalyptique et humour gore, Antoine Volodine fait ici du souffle le coeur et le principe de ses récits.

Peut-être que l’assassinat d’un seul élément d’un groupe suffit à dompter la totalité du groupe, à en annuler la force collective originelle, à décomposer le groupe pour n’en faire qu’un agrégat misérable de petites individualités lâches et apeurée. 

Assez de spéculations sur la nature humaine en général. Elles ne mènent à rien.

La parole est depuis toujours pensée comme un acte créateur primitivement à son penchant communicatif. À charge alors pour le sorcier, entre autres tâches, de révéler par sa pratique ce qui dans la parole échappe au sens commun. Par la litanie, l’oraison, la scansion ou toute autre technique indépendante des moyens de sa production – drogue, méditation – celui qui se charge de faire ressortir ce qui semble enfermé dans le langage est investi de fonctions magiques. Antoine Volodine est incontestablement de ceux-là. Non qu’il faille voir en lui une métaphore du « chaman » comme le proclame un peu niaisement le bandeau, mais bien comme l’un de ceux qui, dans la littérature française a compris et repris à son compte le pouvoir très pragmatiquement créateur de la langue. Comme le « dieu » de son récit final dont l’énorme puissance tient à pouvoir se créer et se créer encore lui-même, identique ou différent, et jusqu’à des conditions d’existences ou d’annihilations qui le rendent impossible, l’auteur semble non pas articuler des moyens qui lui préexisteraient mais pouvoir s’en forger à partir de rien. Ou plutôt à partir d’une source mystérieuse dont seule la conjonction d’une prédisposition et d’un travail acharné permette d’arracher des parcelles. Entre véhicule et démiurge, Antoine Volodine est de ces très rares « créateurs » qui créent vraiment…

C’était comme ça, un de ces rares moments où la parole crée du temps, de l’espace en même temps que la mort du temps et de l’espace.

Antoine Volodine, Frères sorcières, entrevoûtes, Le Seuil, 2019.

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