Vuillard, Eric – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Tristesse de la terre » de Eric Vuillard. https://www.librairie-ptyx.be/tristesse-de-la-terre-de-eric-vuillard/ https://www.librairie-ptyx.be/tristesse-de-la-terre-de-eric-vuillard/#respond Thu, 18 Sep 2014 07:19:24 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4433

Lire la suite]]> Tristesse de la terreCe qu’on admire dans les musées fut souvent dérobé sur des cadavres.

Le spectacle est l’origine du monde.  Le tragique se tient là, immobile, dans une inactualité bizarre.

Alors qu’il est de bon ton de voir dans tout phénomène actuel un aboutissement, ou du moins une étape, d’un processus plus ancien aux origines desquelles il s’agirait de remonter pour y découvrir en germe les excès de notre époque, le Wild West Show est l’exemple parfait d’un phénomène réalisant dès son origine tout son programme.  L’évolutionnisme et le matérialisme historique ont parfois bon dos.  Tout est là dans le Wild West Show.  Il n’en est rien advenu qui n’y était déjà réalisé.

Les excès des « mass média » sont leurs penchants de la première heure.

Retraçant en parallèles multiples l’histoire du show, de Buffalo Bill Cody, de son manager ou de Sitting Bull, Eric Vuillard dévoile, au travers des racines du spectacle contemporain, les horreurs sur lesquelles nous sommes fondés.  Appât du gain, simplification à outrance, vulgarité, volonté totalisante, comme ils font partie des bases de l’origine du spectacle de masse, sont inhérentes à la société qui produit ce spectacle.

C’est une chose extravagante, la réalité, elle est partout et nulle part ; et depuis quelque temps on dirait qu’elle fane, c’est curieux, on ne sait pas l’expliquer, elle est toujours là mais elle semble avoir perdu de sa consistance.

Le spectacle de masse n’est pas un filtre mis sur le réel, ni une tentative d’en rendre compte, mais un essai d’annexion de celui-ci.

L’Histoire est morte.  Il n’y a plus que des punaises.

D’une langue sublime, toute en rythme, Eric Vuillard parvient à approcher au plus près, par détours successifs, cette « petite histoire » par laquelle se donne à voir ce que les poncifs institutionnels de la « grande » contribuent à enfouir.  Il rappelle que notre civilisation se nourrit de tout.  Que le spectacle de masse témoigne de son appétence à joindre la larme au profit, de soutirer de celle-ci tout le sel, ne donnant plus à en goutter qu’une eau fade, sans saveur.  Eric Vuillard nous rappelle notre propre responsabilité devant ce spectacle dont l’inanité ne serait peut-être que le miroir de notre propre désir de ne pas être.  Et, surtout, qu’il est possible de n’en pas être captif.

Le spectacle tire sa puissance et sa dignité de ne rien être.  Nous laissant seuls, irrémédiablement, avec nulle plaie où voir le jour, point de preuves.  Et pourtant, au milieu de ce vide bruyant, dans la grande pitié ressentie, jusque dans le mépris lui-même – quelque chose est là.  Comme si ce grand divertissement passager, cet oubli forcené de soi, cette façon de détourner la tête pour mieux voir était l’un des moments les plus tragiques de l’être : sans signe, sans révélation ; et où seulement le cœur se serre, où la main s’agrippe à l’autre, n’importe quel autre, pourvu qu’il soit à côté de nous sur les gradins, et qu’on puisse éprouver nos détresses voisines dans un cri, un rire, une simple communauté de sentiments.

Eric Vuillard, Tristesse de la terre, 2014, Actes Sud.

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« La bataille d’Occident » de Eric Vuillard. https://www.librairie-ptyx.be/la-bataille-doccident-de-eric-vuillard/ https://www.librairie-ptyx.be/la-bataille-doccident-de-eric-vuillard/#respond Sat, 14 Jul 2012 08:32:07 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=834

Lire la suite]]> Eric Vuillard revient ici sur la Grande guerre, celle qu’on a cru très peu de temps être la dernière.  Il en parcourt l’histoire dès ses prémisses, sans bousculer la chronologie.  Sans non plus le déguisement de la fiction.  Et pourtant, on est très loin du récit scientifique d’un fait historique, lourd de date.  Il y a un biais.  Car il y a d’autres biais que ceux de l’éclatement temporel ou celui de la fiction.  Et le biais de Eric Vuillard, c’est celui du regard porté.  Pour encore avoir à dire quelque chose sur 14-18, il convient de regarder autre part que cette construction que l’Histoire a bâti sur les restes de l’évènement.  Ainsi, c’est certes François-Ferdinand qu’on assassine le 28 juin 1914, mais aussi sa femme Sophie Chotek.  C’est bien l’Autriche-Hongrie qui déclare la guerre à la Serbie.  Mais on en oublie de voir que cette guerre est « préventive ».  Dans tout cela, ce qui est à voir est moins la mécanique des évènements que l’emprise que l’homme tente d’avoir sur elle.

On voudrait abolir le risque et le temps, le caprice et les circonstances.

Mais cela ne fonctionne jamais vraiment.

On supposa ce que l’on put. On envisagea tout, sauf ce qui se produit. Et presque rien ne se passa comme on l’avait prévu.

Il y a toujours ce détail qui grippe la construction pensée, le plan de papier censé à l’abri du moindre accroc.  C’est la fierté d’un général qui le pousse à poursuivre les restes de l’armée rivale au lieu de respecter ainsi le plan Schlieffen, fantastique armure de papier.  S’ensuit l’enlisement dans la Marne.  C’est un minuscule bout de plomb qui a raison de Jaurès.

Quand, tout à coup, une main apparaît tenant un revolver ; le doigt presse la détente, la gâchette libère le chien qui heurte.  L’amorce pète et le petit cylindre de plomb quitte sa chambre et commence sa course effrénée à la vitesse de presque trois cents mètres par seconde ; il parcourt le canon puis très vite – grêlon craché – le tout petit espace qui le sépare du crâne.  Là – juste au-dessus de la nuque blanche, douce, couverte de duvet -, il pénètre l’os, l’occipital peut-être, large écaille crème, reposant de ses deux petites pattes rondes sur le rachis.  Et ça traverse la cervelle, ressort, mettons, par le front – là où se trouve la mystérieuse grotte qui pense – et va se nicher, oeuf de plomb, là-haut, sous les corniches, dans une mauvaise boiserie.

Le scandale est moins dans ce qui advient que dans l’incapacité qu’éprouve l’homme à le construire et le prévoir.

L’oubli n’est rien à côté de ce blasphème licencieux du futur où rien, rien n’est assuré de ne pas verser, un jour, à son contraire.

Et le ridicule dans sa poursuite à cependant, malgré les leçons de l’histoire, toujours et encore s’y atteler.  Et de ce ridicule, ce grotesque mâtiné de tendresse, sourd l’image d’un homme réduit à son essence.

Au commencement, il y a un lit où sont enchaînés l’un à l’autre un homme et une femme.  Et puis des enfants grouillent autour du lit, de tout petits enfants qui ont soif et qui ont faim.  Alors, on fait avec des orties de la soupe, avec du feu un théâtre, avec de la neige Dieu.  C’est tout ce qu’on sait faire.

Eric Vuillard, La bataille d’Occident, 2012, Actes Sud (coll. Un endroit où aller)

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