Christian Bourgois – ptyx http://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Fri, 07 Dec 2018 08:17:23 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=4.9.4 « Ceci est ma ferme » de Chris de Stoop. http://www.librairie-ptyx.be/ceci-est-ma-ferme-de-chris-de-stoop/ http://www.librairie-ptyx.be/ceci-est-ma-ferme-de-chris-de-stoop/#respond Mon, 24 Sep 2018 12:21:21 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7834

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Chris de Stoop est une personnalité connue du monde flamand. Grand journaliste, il s’illustra par ses reportages aussi engagés que risqués sur la « traite des blanches », sur les phénomènes migratoires clandestins ou sur la première femme occidentale ayant perpétré un attentat-suicide en Irak. Ici, sous des abords paraissant d’emblée strictement personnels, il nous propose le récit de son retour dans la ferme familiale, après le placement de sa mère dans un institut de soins et le suicide de son frère.

La Flandre dont nous parle Chris de Stoop est celle des polders, la Flandre profonde, agricole, rurale, encore très marquée de son empreinte catholique, attachée à sa terre et à ses bêtes. Un bout de Flandre qui disparaît peu à peu sous les coups de butoir conjoints de l’industrialisation tentaculaire du port d’Anvers et du « retour à la nature » prôné par une certaine idée de l’écologie.

À un bon kilomètre d’ici, se trouvent une douzaine de panneaux qui signalent pourquoi nous devons attribuer une telle valeur à cette région ; ils indiquent ce qu’il faut regarder et expliquent ce qu’on voit. Leur présence fait de moi un passant, un spectateur, et du paysage un décor, comme dans un film de Disney.

Pour chaque parcelle de terrain concédée au projet de développement du port d’Anvers en est concédée une autre à la défense de l’environnement. Entre les deux logiques, qui se rejoignent finalement très bien, le paysan flamand se retrouve souvent dépossédé, en sus de ses terres, de son histoire, de sa raison d’être et même de celle d’avoir été. Il est nié. Dans son désir de « rendre à la nature » des terres – la dépolderisation est devenue un processus d’ampleur – la logique environnementale est ici devenue folle. Expulsant l’homme de la nature, elle fabrique sur les bases aujourd’hui décriées de la séparation nature/culture, une nature bien plus artificielle que celle qu’elle vise à remplacer. Plutôt que se fier aux savoirs qui s’étaient forgés au contact d’un territoire, des écologistes hors sol appliquent à celui-ci des principes de laboratoire. Et rien n’y fonctionne plus. L’homme en est exilé, souvent aux prix de terribles drames. Et la « nature », forcée, tourne sot.

Mais quelle est cette vision d’une nature dont l’homme ne ferait pas partie, mais lui serait plutôt étranger?

Pour qui lirait ce livre sans connaitre le contexte de la gestion écologique flamande, Chris de Stoop pourrait apparaître comme un contempteur farouche de l’écologie. Il n’en est rien. Comme il ne s’oppose pas non plus à une lutte environnementale radicale. Ce qu’il décrit et dénonce avec force c’est l’absurdité inhumaine – vraiment « inhumaine », c’est-à-dire dont l’homme a été décrété par principe indésirable –  d’une nature pensée comme devant se priver, pour fonctionner, d’une de ses parties essentielles. Une « nature » de démiurge, sans savoirs mais abreuvée de science, plus artificielle que les terrains industriels auxquels elle est censée donner un répondant. Une nature anthropomorphe mais qui refuse l’homme.

Chris de Stoop, Ceci est ma ferme, 2018, Christian Bourgois, trad. Micheline Goche.

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« La douce indifférence du monde » de Peter Stamm http://www.librairie-ptyx.be/la-douce-indifference-du-monde-de-peter-stamm/ http://www.librairie-ptyx.be/la-douce-indifference-du-monde-de-peter-stamm/#respond Tue, 04 Sep 2018 07:42:41 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7776

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Pour la première fois j’avais senti en écrivant que je créais un monde vivant.

En trente sept courts chapitres, Peter Stamm nous conte l’histoire d’un homme qui rencontre une femme, Lena, à qui – cette dernière lui faisant penser à la femme passionnément aimée – il se propose de raconter l’histoire d’amour qu’il a vécue avec Magdalena, il y a bien longtemps. Histoire dont, écrivain, il s’empara par après pour écrire un livre.

 Ce sont les erreurs, les asymétries qui rendent notre vie possible d’une façon générale.

À l’heure où la « marge », « l’écart », le « différent », « l’informe » ont tendance à devenir les tartes à la crème d’une création artistique qui déclare haut et fort se méfier de toute forme pouvant apparaître comme trop systémique (ce qui leur permet, au passage, de légitimer leur paresse à en construire une), Peter Stamm a l’intelligence de toujours manier l’une – la « marge » – et l’autre – le « système » – avec autant d’intelligence que de bienveillance. Il s’agit bien, dans La douce indifférence du monde, de dire une identité qui vacille, qui devient incertaine. Et qui, ce faisant, entraîne dans ses incertitudes le monde dans lequel elle semble se diffracter ainsi que ceux qui y évoluent. Et ainsi se saisit-il bien de ce qui dérange la normalité. Mais c’est bien la structure qu’il crée pour exprimer ces vacillements, aussi imparable que subtile, qui rend perceptible l’acuité de cette identité en perte d’équilibre. Et cela en plongeant le lecteur dans les mêmes affres que ses personnages.

un texte littéraire a besoin d’une forme, d’une logique, que notre vie n’a pas.

Si notre vie, effectivement, n’a pas de structure, ce fait même ne paraît être perceptible qu’en lui dédiant une forme. En cela, le trouble qu’elle génère semble rejoindre celui de la vie en dérive dont elle rend compte.

Peter Stamm, La douce indifférence du monde, 2018, Christian Bourgois, trad. Pierre Deshusses.

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« Que ferai-je quand tout brûle? » de Antonio Lobo Antunes. http://www.librairie-ptyx.be/que-ferai-je-quand-tout-brule-de-antonio-lobo-antunes/ http://www.librairie-ptyx.be/que-ferai-je-quand-tout-brule-de-antonio-lobo-antunes/#respond Tue, 19 Jun 2018 07:45:42 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7678

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Maintenant que mon père est mort j’aimerais savoir ce qu’il était, mais je ne sais pas. Je ne sais pas. J’ai beau tourner et retourner le problème, la réponse est je ne sais pas. Tout me paraît si compliqué, si bizarre : un clown qui était en même temps un homme et une femme ou tantôt un homme tantôt une femme ou parfois une sorte d’homme parfois une sorte de femme

Le père, Carlos, clown de cabaret, travesti à la poitrine gonflée qui ne sait comment être père ou époux et qui collectionne les amants. Judite, la mère, obsédée par les mimosas, alcoolique qui noie sa peine et ses désillusions dans les bras de qui lui paie à boire. Rui, le jeune amant. Helena, la tante naïve et aimante. Couceiro, l’oncle érudit et tendre. Et Paulo, le fils, drogué, qui tente de reconstruire, au travers d’une conscience chahutée, les souvenirs et les sentiments de sa vie de tragédie.

ce que je veux vous dire madame Aurorinha c’est que même si vous êtes vieille, même si vous êtes malade, même si vous ne pouvez plus bouger laissez-moi m’asseoir un moment contre ce mur éboulé, m’asseoir un moment par terre, allumer le briquet, trouver l’aiguille, aidez-moi à serrer le garrot autour de mon bras, à presser le piston et ensuite, si ça ne vous ennuie pas, restez un moment près de moi jusqu’à ce que je

pardon

m’endorme

Le fragment de Lobo Antunes n’est jamais un pis-aller. Il n’est jamais la réponse ou l’excuse prétendument romantique à la faillite d’un système. Le roman d’Antunes est fragmenté comme le sont nos consciences, nos vies. Il ne fragmente rien. Il n’éclate rien qui ne soit déjà éclaté. L’éclat n’y est ni une sophistication esthétique, ni une défaite transformée en concept. Il est, au sens plein du terme, réaliste. Et c’est quand il conte, comme ici, une identité écartelée jusqu’au dans son genre qu’il se révèle avec le plus de force et de justesse.

Antonio Lobo Antunes, Que ferai-je quand tout brûle?, 2003, Christian Bourgois, trad. Carlos Batista.

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« Cette putain si distinguée » de Juan Marsé http://www.librairie-ptyx.be/cette-putain-si-distinguee-de-juan-marse/ http://www.librairie-ptyx.be/cette-putain-si-distinguee-de-juan-marse/#respond Tue, 06 Feb 2018 08:47:17 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7423

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Sicart, ne cultivez pas votre mémoire, cette fleur vénéneuse, il nous est arrivé à tous des choses qu’il vaut mieux oublier.

Quelle place peut bien occuper la fiction dans la problématique mémorielle? Quelles possibilités particulières offrirait-t-elle, et à quelles conditions, de pallier à la défaillance du souvenir? Qu’apporterait-elle à qui veut se souvenir que la recherche par des voies strictement documentaires de la vérité passée ne permettrait pas?

je gardais très présent à l’esprit que se rappeler, c’est interpréter, voir et assumer les faits du passé d’une façon déterminée.

En 1949, une prostituée est assassinée à Barcelone par un opérateur dans la salle de projection d’un cinéma. Tout de suite, l’opérateur admet le meurtre, mais déclare ne pas avoir gardé souvenir des raisons qui l’ont poussé à commettre son acte. Condamné à trente années de réclusion, il est libéré après avoir purgé  le tiers de sa peine. En 1982, un écrivain reconnu se voit confié la mission d’élaborer le pré-scénario d’un film qui s’inspirera librement de ce fait divers. Alors que sa femme et ses enfants sont en vacances, il reçoit chez lui, en compagnie de sa femme de ménage cinéphile, l’assassin à la mémoire défaillante.

Les motifs de l’assassinat étaient-ils politiques, ou ne sont-ce pas plutôt les obsessions du réalisateur qui, se greffant sur ceux-ci, le forcent dans ce champ-là? Quelle est la responsabilité morale de celui qui invente sur ce qui a été oublié quand sa matière est de traiter l’oubli même? La fiction peut-elle révéler? Faut-il un mobile à chacun de nos actes, et s’il manque, la fiction peut-elle lui en créer un? Et à quel prix, et à l’aune de quoi peut-elle en être jugée digne?

Avec les lambeaux d’une mémoire, Juan Marsé interroge subtilement les rapports qu’entretiennent vérité et fiction. Et, en filigranes, construit avec lucidité et humour un brillant roman sur le roman…

Je ne saurais dire quelles sont les limites de la fiction lorsqu’on recrée une vérité historique ; ce n’est probablement pas appliquer une plus grande lumière sur le fait réel, mais rehausser les clairs-obscurs, les ambiguïtés et les doutes, tout ce qui constitue l’expression la plus vive de la vérité.

Juan Marsé, Cette putain si distinguée, 2018, Bourgois, trad. Jean-Marie Saint-Lu.

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« Pour celle qui est assise dans le noir à m’attendre » de Antonio Lobo Antunes. http://www.librairie-ptyx.be/pour-celle-qui-est-assise-dans-le-noir-a-mattendre-de-antonio-lobo-antunes/ http://www.librairie-ptyx.be/pour-celle-qui-est-assise-dans-le-noir-a-mattendre-de-antonio-lobo-antunes/#respond Thu, 04 May 2017 07:35:19 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6783

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Une ancienne actrice, atteinte d’une maladie dégénérative, se souvient. Entre les soins prodigués par la « femme d’un certain âge », les visites du « neveu du mari » désigné tuteur, les souvenirs d’un père, la sensation d’un chat se glissant contre la jambe, le son d’un crucifix battant contre un mur, les impressions fugaces et celles rémanentes, entre passé et futur, entre vie et morts, Antonio Lobo Antunes nous immerge comme jamais dans la psyché d’une fin de vie. Et, par l’entremise tragi-comique et bouleversante de ce flux de conscience nous convie à nous interroger, entre autres, sur notre faculté à fabriquer de la mélancolie ou à déceler et reconnaître ce « peu qui reste quand tout le reste s’en va ».

Alors, certes, on pourrait gloser et gloser encore – et peut-être pas inutilement – sur l’esthétique de ce gigantesque écrivain contemporain. Mais, à trop s’y essayer, on craindrait d’écarter de sa lecture d’aucuns à qui répugne l’exercice exégétique. On s’arrêtera dès lors à cette invite amicale et confiante : Lisez Antunes!

je suis seule notez bien, je suis seule, restent le lévrier qui ne lèvera pas le petit doigt pour moi, le moteur du chat qui de temps en temps me console mais un lévrier et un chat ont beau avoir envie et par moments j’ai l’impression qu’ils ont envie ne peuvent pas grand’chose pas vrai, le neveu de mon mari en a ras-le-bol et je le comprends, je suis une femme seule en train de perdre les pédales, la mer à Faro rien qu’un souvenir quand je jetais des pierres dans les vagues, très loin, jusqu’à ce que personne d’autre que moi puisse les voir, la mer à Faro, les bateaux, les lanternes la nuit, la voix de mon père dans l’obscurité

-C’est pas beau ça ma grande?

si, c’était beau papa, c’était beau, je regrette juste qu’il reste si peu de temps avant la fin, que je m’éloigne petit à petit de moi-même au point de me perdre, vide, creuse, assise dans un coin sans avoir envie de rien, sans me souvenir de rien, n’attendant même pas, me contentant de durer, le médecin en parlant de moi à la personne qui l’accompagnait

-On va voir on va voir

avec une espèce de grimace que j’ai bien remarquée mais ce n’est pas grave, ma mère me serre dans ses bras et mon père est fier que je lance des pierres avec autant de force malgré le cœur qui ceci qui cela enfin bref, je suis sa jolie, dites-moi juste encore une fois ma jolie

-Ma jolie

et même dans très longtemps je serai encore et toujours sa jolie et à présent tous les deux de retour vers la maison main dans la main sans avoir besoin de nous donner la main, l’un à côté de l’autre ça suffit, rentrant manger sous la suspension chromée, en silence vu qu’entre nous les mots ne sont pas nécessaires, en entendant le vent dans les caroubiers dehors nous faire ses adieux.

Antonio Lobo Antunes, Pour celle qui est assise dans le noir à m’attendre, 2017, Christian Bourgois, trad. Dominique Nédellec.

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« La pièce obscure » de Isaac Rosa. http://www.librairie-ptyx.be/la-piece-obscure-de-isaac-rosa/ http://www.librairie-ptyx.be/la-piece-obscure-de-isaac-rosa/#respond Fri, 16 Sep 2016 07:42:07 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6180

Continue reading]]> Carré noirQui donc avait proposé d’aménager une pièce obscure. Qu’importe, n’importe lequel d’entre nous, nous tous.

Lors d’une chute de tension sur le réseau électrique, des colocataires font l’expérience, dans une pièce plongée brièvement dans la pénombre, de la liberté que n’être plus visible permet. Fasciné par celle-ci, et déterminés à la vivre à nouveau, autant que voulu, ils décident d’équiper une pièce en la soustrayant hermétiquement à toute lumière et à tout bruit extérieur. Lieu de désinhibition en acte ou de retrait du monde, d’expérimentation sensuelle libre ou de ressourcement quasi-érémitique, la pièce obscure devient alors pour eux comme un centre autour duquel graviter. Isaac Rosa fait s’alterner de longs chapitres pendant lesquels il conte l’évolution de ces colocataires, leurs vies professionnelles, intimes, rythmées par les désillusions de temps toujours plus difficiles, avec de très courts chapitres (nommés REC), simples descriptions de scènes captées par des webcam à l’insu de ceux qu’elles cadrent. Au fur et à mesure d’un récit qui prend des teintes policières, se dessine une méditation subtile et nuancée de ce pouvoir que confère le fait de voir sans être vu.

Ça c’était le pouvoir, se disait-il : voir sans être vu.

Par l’absence de latence rétinienne et sonore qu’elle institue, l’obscurité silencieuse permet tout à la fois une désinhibition de l’individu (je ne suis plus reconnaissable donc je peux faire ce que je veux vraiment) et une dilution choisie de celui-ci dans un collectif (l’indiscernabilité préalable des corps oblige à tenter l’expérience des autres). L’expérience de la pièce obscure est l’expérience de la liberté. Mais, si savoir qu’il n’y aura pas de preuve visuelle et sonore de mon acte en permet la liberté, ce qui y met aussi radicalement un terme, c’est de savoir qu’un et un seul œil, une et une seule oreille puisse, sans que la réciprocité soit possible, le documenter. Dans la parfaite obscurité, la moindre parcelle de lumière est un instrument redoutable de pouvoir. En opposant le récit fictionnel de cette pièce obscure et celui, bien réel, des moyens de surveillance généralisés dans lesquels nous baignons, Isaac Rosa fait ressortir, par contraste, toute l’ambiguïté de l’antédiluvienne concaténation des termes « liberté » et « lumière ». Et, en parallèle, dresse le tableau de nos illusions perdues.

Nous menons une guerre, et la guerre est toujours laide, sale.

Isaac Rosa, La pièce obscure, 2016, Christian Bourgois, trad. Jean-Marie Saint-Lu.

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« La fille aux papiers d’agrume » de Hanns Zischler. http://www.librairie-ptyx.be/la-fille-aux-papiers-dagrume-de-hanns-zischler/ http://www.librairie-ptyx.be/la-fille-aux-papiers-dagrume-de-hanns-zischler/#respond Fri, 22 Apr 2016 07:36:34 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5983

Continue reading]]> La fille aux papiers d'agrumes.Dans une région montagneuse de l’Allemagne d’après-guerre, une petite fille collectionne les papiers d’agrumes. Depuis peu arrivée à Marstein, Elsa, qui souffre d’un handicap à la hanche,  se lie d’amitié avec une jeune anglaise comme elle à peine arrivée. Pauli, un jeune garçon de leur classe, se rapproche peu à peu d’Elsa.

Combien de fois ne prophétise-t-on pas la fin du monde pour tel ou tel jour, à cause de je ne sais quel supposé concours de circonstances, et quand arrive la date annoncée, le monde pourtant ne s’effondre pas, mais lorsque, du jour au lendemain, une étoile de cette taille resplendit soudain comme une traînée de craie dans le ciel, alors là…

Il est difficile d’en dire beaucoup plus. D’une écriture essentiellement factuelle, Hanns Zischler déroule un récit tout empreint des mystères, des craintes et des désirs de l’adolescence. Où ce qui lui est extérieur – la reconstruction d’un pays, le deuil d’une mère… – n’est présent que par touches discrètes, comme si rien ne devait peser réellement sur « ce qui s’ouvre à la sortie de l’enfance », mais ne l’influencerait qu’en l’effleurant.

Il y a peu, les agrumes étaient presque systématiquement emballées dans ces fins papiers aux illustrations colorées. Protections moins que publicités, les fines feuilles carrées vantaient la marque en enveloppant la rondeurs des fruits, en vantant les ailleurs ensoleillés. Si la tradition s’est quelque peu perdue aujourd’hui, demeurent les souvenirs. Et ce livre, discret joyau, dont la subtile écriture en rappelle la soyeuse légèreté.

Hanns Zischler, La fille aux papiers d’agrumes, 2016, Christain Bougois, trad. Jean Torrent.

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« De la nature des dieux » de Antonio Lobo Antunes. http://www.librairie-ptyx.be/de-la-nature-des-dieux-de-antonio-lobo-antunes/ http://www.librairie-ptyx.be/de-la-nature-des-dieux-de-antonio-lobo-antunes/#comments Thu, 17 Mar 2016 14:17:07 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5916

Continue reading]]> Antonio Lobo Antunes

-Mon père

sans continuer sa phrase, caressant plus rapidement le petit chien, et moi de me demander mais pourquoi est-ce qu’elle me raconte sa vie bon Dieu de bois, pourquoi elle ne reçoit la visite de personne même pas de ses enfants, pourquoi parle-t-elle à une caissière de librairie sans la moindre importance, qui vit seule, avec son fils encore petit, dans un fatras d’immeubles, avec des étendoirs bon marché et les ampoules de l’entrée cassées, au milieu d’une pente envahie d’agaves, d’arbres sans nom et d’arbustes arrivés là par hasard, une caissière de librairie, se brisant les reins avec des cartons de dictionnaires, d’encyclopédies, de romans, que Madame ne se donnait pas la peine d’ouvrir, que le domestique en veste blanche ne se donnait pas la peine de ranger et qui s’entassaient dans les coins, quelle opinion peut-elle avoir de moi à moins qu’elle veuille seulement qu’une inconnue l’écoute, n’importe quelle inconnue sans commentaires ni question, assise à la regarder,

Dans un imposant palais de Cascais, Madame accueille Fatima, la narratrice, une caissière de librairie venue lui livrer des caisses de livres. Jour après jour, elle lui confie son histoire, sa relation avec son mari, sa solitude, et surtout lui dévoile à chaque fois un peu plus du personnage tutélaire et terrifiant qu’était son père. Aux alentours de la librairie rode un sans-abri. Ainsi débute ce roman d’Antonio Lobo Antunes. Mais très vite, à la voix de cette première narratrice, viennent s’en greffer d’autres ; un domestique, l’adjoint du père, le père lui-même, Madame, etc… chacune venant enrichir de son ressenti la façon dont les choses sont organisées par le lecteur. Celui-ci est une berge et chaque narrateur une nouvelle couche de limon.

on transporte une foule avec soi

Peu à peu, « impression » après « impression », maille après maille, se tisse alors un récit d’où émergent l’image de ce père, bien plus complexe qu’au premier regard jeté sur lui, du Portugal du vingtième siècle et d’une nature humaine qui n’est bien entendu pas sans rappeler celle des dieux – laquelle émane de laquelle?. Donnant une voix à la foule que chacun transporte en soi, Antonio Lobo Antunes parvient, dans cette succession polyphonique, à déposer dans le lecteur même les clés de leur écoute. Et celui-ci de devenir le réceptacle d’une histoire non de terreur, ni de solitude, mais d’amour.

s’il y a bien une chose dont vous pouvez être sûrs c’est que ceci est un roman d’amour 

On entend très souvent dire que Antonio Lobo Antunes serait un écrivain « complexe ». Sous-entendu, qu’il serait « compliqué à lire »… Les moyens du génial portugais sont certes complexes car destinés à rendre compte de la complexité du monde. Ses moyens sont « sophistiqués ». Mais, destinés à complexifier le monde, ils n’ont ni pour but conscient, ni pour conséquence involontaire, d’en restreindre l’accès au « lecteur lambda » – le lecteur lambda, ce mystère! – de lui en limiter l’accès. Ce sont ses moyens qui sont complexes, non la mise en oeuvre de ceux intellectuels du lecteur pour y atteindre. Au contraire même, en développant mieux des outils remarquables pour attester de la complexité du réel, Antonio Lobo Antunes permet au lecteur de l’aborder plus facilement que jamais. Répétons le : il suffit de « lire » Antunes – « lire » dans son acception la plus mécaniste – pour le comprendre!

à force d’utiliser les mots on en modifie le sens et je suis juste en train d’essayer de leur redonner leur sens d’avant la modification.

S’il accepte alors le voyage, voguant d’une strate l’autre, le lecteur saisira par delà les « recettes » d’une écriture, par delà sa mise en forme caractéristique et ses obsessions, et en goûtant les particularités – entre autres formelles, car la forme du portugais ne se limite pas à la répétition d’un procédé – de chaque roman, l’une des entreprises de dire le réel les plus complètes, les plus évidentes (puisqu’on vous le dit!) et les plus radicales qui ait jamais été.

le sans-abri sur qui je bute depuis le début de ce livre, à Cascais, à Lisbonne, à l’hôtel, au bureau, débarqué de je ne sais où et se dirigeant allez savoir vers quoi, que fait-il dans mes pages, toujours à prendre des trains qui ne partent pas autrement dit ceux qui voyagent le plus, et malgré tout s’en retournant sur le seuil de la librairie retrouver son duvet et sa banane, m’observant moi qui écris et ne fais partie d’aucun chapitre

Antonio Lobo Antunes, De la nature des dieux, 2016, Christian Bourgois, trad. Dominique Nédellec.

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« La vallée tueuse » de Frank Westerman. http://www.librairie-ptyx.be/la-vallee-tueuse-de-frank-westerman/ http://www.librairie-ptyx.be/la-vallee-tueuse-de-frank-westerman/#respond Fri, 05 Jun 2015 07:34:14 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5273

Continue reading]]> vallée tueuseMoins il y a de faits, plus il y a de récit.

Le 21 août 1986, une nuit de pleine lune, dans une vallée reculée du Cameroun, près de deux mille personnes, des centaines de poulets, de babouins, de zébus, d’oiseaux, vont perdre la vie. Les mouches elles-mêmes périront.  Alors que huttes et palmier demeurent étrangement intacts.  Que s’est-il passé réellement?

« Dean ». « Fred ». « James ». Dans un roman, leur rencontre, à cet endroit-là, et dans ces circonstances, ne serait pas crédible. Mais c’est précisément ce qui rend la réalité si fascinante, de manière irrationnelle.

Frank Westerman, qui suivit ces faits à l’époque, revient dessus 25 ans plus tard.  Et redouble l’explication « pragmatique » de la catastrophe – ou du moins l’exploration de ses causes possibles – de ce que l’incertitude de ces causes a semé. Certes document sur ce fait étrange qui défraya mondialement la chronique, La vallée tueuse est bien plus qu’un rapport circonstancié de faits.  S’il revient bien sur l’émoi scientifique que l’évènement suscita, c’est moins pour étayer une explication ou l’autre que pour montrer ce dont, précisément, les divergences scientifiques et ces volontés d’en trouver une à tout prix sont le nom.

Ainsi retrace-t-il par le menu le conflit qui opposa directement Tazieff et Sigurdsson.  Emanation gazeuse de grande ampleur d’origine volcanique pour le premier, d’origine spontanée surgie du fond d’un lac pour le second, les thèses âprement défendues de part et d’autre se développeront très rapidement dès les premières heures de la catastrophe. Querelles d’ego, transposition dans la science de clivages géopolitiques, transcription dans les méthodes d’investigation du mépris post colonialiste, Frank Westerman exhume avec brio de l’apparente objectivité scientifique ce qui en sape les fondements. Et montre que les histoires, les mythes se développent autant sur les inconnues inhérentes à un mystère naturel que sur les filtres -conscients ou non, involontaires ou recherchés – qu’on y plaque.

je m’intéressais à la naissance des histoires et à la manière dont elles renvoient à la réalité dont elles procèdent.

Ce qu’il retrouve dans les mythes autour de ce mystère est aussi ce qui y fut oublié dès l’origine par une science occidentale qui, à force de tout vouloir ériger sur des faits observables, en vient à oublier que tout est d’abord hypothèse, elle-même y compris. Sur la souffrance oubliée, sur le témoignage direct ignoré ou méprisé germent des histoires qui, finalement, ne semblent alors pas si loin de celles que, aveuglés par l’ego et la mainmise séculaire qu’ils croient exercer sur le monde, les « scientifiques » créent.  Le mythe et la science ne sont que deux faces d’une même réponse à l’inconnu.  Et toutes deux des inventions…

la curiosité humaine ne peut se satisfaire de ce qui est incomplet, absurde ou inconnaissable.  Faute de mieux, nous inventons ce qui manque.

Frank Wetserman, La vallée tueuse, 2015, Christian Bourgois, trad. Annie Kroon.

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« Au bord des fleuves qui vont » de Antonio Lobo Antunes. http://www.librairie-ptyx.be/au-bord-des-fleuves-qui-vont-de-antonio-lobo-antunes/ http://www.librairie-ptyx.be/au-bord-des-fleuves-qui-vont-de-antonio-lobo-antunes/#respond Fri, 03 Apr 2015 06:45:03 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4999

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Au bord des fleuves qui vonttu es le M.Antunes du lit numéro onze.

Le personnage principal (mais y en t’il seulement un et qui est-il?) est « invité » à séjourner dans un hôpital lisboète suite à une suspicion de cancer.  Une « bogue » que les médecins vont chercher à identifier et soigner en apaisant les douleurs qu’elle provoque.  Chaque chapitre du roman épousant une journée de l’hospitalisation qui s’étendra du 21 mars 2007 au 4 avril de la même année.

une espèce de rêve tout à la fois désarticulé et précis.

A chaque jour, à chaque douleur nouvelle, à chaque découverte  qu’implique cette crainte de mourir va s’accoler un souvenir, une réminiscence qui, brièvement, va affleurer à la conscience du « malade », avant de disparaitre et de revenir à nouveau légèrement modifié.  Le grand-père, l’agonie d’un père, des huit à vélo autour d’un châtaignier, les souvenirs d’une précédente hospitalisation, une balle de tennis, la recherche de la source d’un fleuve, une jeune femme blonde, un certain Virgilio; sa conscience, parfois modifiée par les souffrances ou les médicaments, se meuble d’un monde qui fait fi du temps et de l’espace.  Une conscience qui semble tout emmêler, mais dont les retours fidèles à certains pans élaborent peu à peu une lisibilité de celle-ci.  Comme si, du flot houleux de sa mémoire venaient toujours émerger les mêmes récifs, chaque fois dévoilant une autre de leurs parties, en fonction des marées, des vents et, de la capacité de l’œil à les percevoir.  Se fixent alors sur la rétine, marée après marée, des images toujours différentes et qui ne trouvent à signifier qu’en se complétant, peu à peu, dans le cerveau de qui regarde.

Il entrait et sortait de son corps dans une vapeur de souvenirs tronqués.

Ce que traduit ici génialement l’auteur (dire de Lobo Antunes qu’il est un génie n’est pas de l’ordre de la dithyrambe mais de l’état de fait), c’est cette impression du seuil de la mort.  Non pas le seuil lui-même, mais bien son impression, la seule pensée que la mort puisse survenir.  Celle-ci (mêlant peur et résignation) unifiant le temps, faisant survenir dans des instants communs les divers évènements d’une vie, faisant coïncider enfance et vieillesse et laissant, enfin, libre cours à l’envahissement de notre existence par d’autres existences.

d’autres mondes existent-ils en nous et s’ils existent qui les habite

Lire Antunes est souvent assimilé à un exercice complexe.  Or, et en cela l’expérience de qui est ici alité est très proche de celle du lecteur, la lecture du génial Portugais ne nécessite que de la confiance.  Comme Antoninho? ou M.Antunes? ou l’occupant du lit numéro onze? se laisse aller presque mécaniquement à ses souvenirs comme aux soins qu’on lui prodigue, le lecteur ne doit que lire, dans l’acception la plus mécaniste du terme.  Il doit juste accepter d’aller d’un écueil l’autre, d’une pointe de sens à une autre pointe de sens, sans s’occuper de « comprendre ».  Car de ce tout nimbé d’incompréhension que forme chaque roman de l’auteur de Lisbonne surgit toujours (et c’est ce « toujours » qui, précisément, fait de Antunes un génial démiurge) un sens renouvelé.

je ne peux pas croire qu’il n’y ait pas de trains au départ ni que les grappes pourrissent bien dans la vigne, je ne peux pas croire qu’il me faille mourir, j’admets les couches, la sonde, les douleurs, la bogue mais ça n’a pas de sens que je meure et comme ça n’a pas de sens je reste, même si

-Il est décédé

je reste, même si je ne respire plus, même si le sérum fermé et la ligne plate sur l’écran je reste

Antonio Lobo Antunes, Au bord des fleuves qui vont, 2015, Christian Bourgois, trad. Dominique Nédellec.

Les sons ci-dessus sont tirés de l’émission Temps de Pause sur Musique 3.

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