Agamben – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Karman » de Giorgio Agamben https://www.librairie-ptyx.be/karman-de-giorgio-agamben/ https://www.librairie-ptyx.be/karman-de-giorgio-agamben/#respond Tue, 03 Apr 2018 07:19:33 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7531

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notre hypothèse est […] que le concept de crimen, d’une action sanctionnée, c’est-à-dire imputable et productrice de conséquences, se trouve non seulement à la base du droit, mais aussi de l’éthique et de la morale religieuse de l’Occident. Si, pour quelque raison, ce concept devait disparaître, tout l’édifice de la morale s’effondrerait irrémédiablement. Il est d’autant plus urgent d’en vérifier la solidité.

S’ancrant dans l’analyse comparée de termes issus du grec, du latin, du sanskrit, etc. (causa/culpa, karman/crimen, etc.) qui ont teinté au cours de leur développement ancestral le droit, la philosophie et la morale, Giorgio Agamben nous dit chercher ce qui s’est trouvé constituer la base même de ces trois disciplines. Car les remettre en question ne se peut sans remettre fondamentalement en question la part inconsciente de leur constitution.

La politique et l’éthique de l’Occident ne se libéreront pas des apories qui ont fini par les rendre impraticables si le primat du concept d’action – et de celui de volonté, qui lui est inséparablement associé – n’est pas mis radicalement en question.

Ainsi, par exemple, dans l’esprit du commun, la loi organise-t-elle un rapport au crime. Elle interdit le crime, punit qui le commet, et la constitution même du droit parait toute entière fondée sur la reconnaissance (implicite ou non) par une communauté de la nécessité de se doter de ce type d’organisation. Dans l’imaginaire collectif, le crime requiert le droit. Une analyse pointilleuse des termes qui ont défini le droit antique démontre que ses origines et ses linéaments sont pourtant assez éloignés de cette image consensuelle. C’est en fait – même si la formule est partiale – le crime qui organise le droit. Et la loi, qui s’est fondée sur ce prémisse, ne peut que s’en ressentir dans chacune de ses actuations. Comme la morale, surgissant des mêmes ascendances, se construira sur un agir, tout à la fois acmé et modalité d’y atteindre. Comme, in fine, toute l’organisation humaine de la vie se trouvera placée sous l’astreinte de la finalité.

Le philosophe fait ici oeuvre utile. S’il n’est pas le premier à le faire – et qu’il y a fort à parier qu’il ne sera pas le dernier -, rappeler les liens étroits et existentiels qui régissent droit et violence, morale et agir, vie et finalité, n’est jamais perdu. Ce faisant il ouvre des perspectives – ou plutôt il les rappelle, car nous les connaissons déjà et c’est bien souvent la crainte d’avoir à assumer ce qu’elles nous permettent que nous en venons à les « oublier » – à tous ceux qui cherchent à échapper au vouloir, au devoir ou au pouvoir, dans lesquels le droit, la philosophie ou la morale ont eu tendance, souvent malgré leurs praticiens, à nous maintenir enfermés.

Là où le bât blesse, c’est quand le philosophe se fait oracle :

Il ne suffit pas de dire, cependant, que le droit, par la sanction, produit le crime ; il convient d’ajouter que la sanction ne crée pas seulement l’illicite, mais, en même temps, en déterminant sa propre condition, s’affirme et se produit d’abord elle-même comme ce qui doit être. Etant donné que la sanction prend en général la forme d’un acte coercitif, on peut dire […] que le droit consiste essentiellement dans la production d’une violence licite, c’est-à-dire dans une justification de la violence.

L’étymologie, dont Agamben, on le sait, est un fervent « client », permet évidemment de lire autrement et/ou plus finement ce dont provient un concept que recoupent les termes sous lesquels il se découvre à nous. Que causa ou culpa ne puissent effectivement pas être tracés étymologiquement n’est bien sûr pas sans importance lorsqu’on sait à quel point ces concepts ont irrigué et fabriqué le droit, la philosophie et la morale. Que crimen puisse être lu historiquement comme ce qui vient fonder le droit et non ce que le droit organise n’est pas sans lien avec ce que ce droit est devenu. Que le dépouillement historique et sémantique d’un concept puisse éclairer ce qu’il est devenu est bien entendu évident. Quant à justifier la vision particulière que l’on a d’un concept par ce que nous révèle son étymologie…

Non, le droit ne consiste pas essentiellement dans la production d’une violence licite, c’est-à-dire dans une justification de la violence. Ce n’est nullement parce que certains des termes qui en sont à l’origine révèlent à quel point – mais pour partie – la sanction (et donc la violence qui l’accompagne) pouvait précéder la loi que le droit n’est que cela. L’argument étymologique n’est pas un argument ontologique. Ce brouillage des champs temporels (le droit/la philosophie/la morale d’alors n’est pas le droit/la philosophie/la morale d’aujourd’hui) et épistémiques (un objet n’est pas le mot qui le désigne) s’il ne discrédite pas la totalité de l’ouvrage sur lequel il s’appuie, y jette du moins l’ombre d’une suspicion. Agamben n’est ni un nominaliste de bas-étage, ni un historien maladroit. Malheureusement, ses analyses remarquables pâtissent parfois de certains préjugés politiques auxquels ils tentent de contraindre les premières. Comme s’il ne s’agissait dès le départ de son analyse de vérifier la solidité de l’édifice moral, non pour l’étayer, mais pour en hâter l’effondrement. Et que ce programme lui semblât mériter le forçage ou le raccourci.

Giorgio Agamben, Karman, Court traité sur l’action, la faute et le geste, 2018, Le Seuil, trad. Joël Gayraud.

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« Polichinelle ou Divertissement pour les jeunes gens en quatre scènes » de Giorgio Agamben. https://www.librairie-ptyx.be/polichinelle-ou-divertissement-pour-les-jeunes-gens-en-quatre-scenes-de-giorgio-agamben/ https://www.librairie-ptyx.be/polichinelle-ou-divertissement-pour-les-jeunes-gens-en-quatre-scenes-de-giorgio-agamben/#respond Mon, 01 May 2017 13:51:01 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6820

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Montrer, dans le langage, une impossibilité de communiquer et faire rire avec cela – voilà l’essence de la comédie.

La situation est grave dans la Venise de 1797. Alors que le Grand Conseil de la Sérénissime vote, le 12 mai, sa dissolution de fait et se remet, corps et biens, entre les mains de Bonaparte, Giandomenico Tiepolo met la touche finale à son cycle de fresques représentant Polichinelle dans la villa de Zianigo. Au moment exceptionnellement tragique de la situation politique paraissent y répondre, comme en un contrepoint sarcastique, les lazzis du personnage de la Comedia dell’arte. En se saisissant de ce contraste ponctuel, Giorgio Agamben, nous fait approcher, avec sa vivacité coutumière, une figure mythique mais très méconnue en France.

Polichinelle est l’image même de ce qui échappe. Ni son masque, ni son apparence, ne sont là pour dissimuler un secret. Sans voix directement reconnaissable, sans traits, sans corps immédiatement reconnaissable comme humain, il a pour fonction d’échapper. A la mort, à un tragique dont tout comique aurait été expurgé, à l’esprit de sérieux.

Giandomenico : « Tu es une idée, mais de quoi es-tu l’idée? »

Polichinelle : « Et bien c’est là toute l’affaire : je suis une idée, à qui il manque la chose. »

Un divertimento se doit d’être allègre, comme le Polichinelle est bouffon. Non pour y puiser, comme y prétendrait l’époque, un ressourcement propice à renouveler sa pensée, mais, au contraire, car l’allégresse peut devenir, dans des temps de contrainte, une des conditions même de cette pensée. Allègre, bouffon, disparate, ce Divertissement du philosophe italien, en mettant en pratique avec la virtuosité qu’on reconnait à son auteur ses propres fondements, nous enjoint à séparer le philosophe de la triste figure sous laquelle on le peint souvent. Un philosophe ne se vêt pas, à l’occasion, des oripeaux d’un Polichinelle, il est Polichinelle…

Giorgio Agamben, Polichinelle ou Divertissement pour les jeunes gens en quatre scènes, Macula, 2017, trad. Martin Rueff.

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« L’usage des corps – Homo Sacer, IV, 2 » de Giorgio Agamben. https://www.librairie-ptyx.be/lusage-des-corps-homo-sacer-iv-2-de-giorgio-agamben/ https://www.librairie-ptyx.be/lusage-des-corps-homo-sacer-iv-2-de-giorgio-agamben/#respond Mon, 12 Oct 2015 10:03:43 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=5502

Lire la suite]]> Usage des corpsles jambes et les cuisses inventent la promenade.

Si une lecture semble bien échapper à tout résumé, c’est bien celle de Giorgio Agamben. Work in progress par excellence, Homo Sacer, dont L’usage des corps se présente comme la conclusion, est de ses livres dont chaque recoin fait sens et résiste à toute effacement. Non seulement rien n’y parait superflu mais aucune de ses parties, aussi intimes soit-elle, ne se laisse réduire à un ensemble qui en assumerait la signification. Finalement, rien n’y semble partie.

Agamben revient dans cette livraison sur certains des concepts qui ont parsemé son oeuvre dès ses balbutiements. Moins pour en construire une forme d’éclairage de l’oeuvre qu’ils surplomberaient que pour creuser encore mieux les concepts eux-mêmes.

Revenant sur ce que signifiait être esclave pour Aristote, l’auteur montre en quoi l’esclavage doit se départir de ses liens avec le concept de propriété pour pouvoir être compris. Ce n’est pas par le prisme de la propriété que nous devrions l’envisager mais bien par celui de l’usage.

tout usage est d’abord usage de soi : pour entrer en relation d’usage avec quelque chose, je dois en être affecté, me constituer moi-même comme celui qui en fait usage.

Loin d’être une distinction ad minima, la disjonction des concepts d’esclavage et de propriété permet de repenser radicalement – et surtout d’éclairer mieux – ceux du corps ou de la technique. L’esclave n’appartient pas. Il est ce dont on use. Usant du corps de l’esclave, le maître use de son propre corps et l’esclave, usant du sien est utilisé par le maître. Il n’appartient pas, il est continuité du corps du maître, comme la main de ce dernier prolonge son bras.

les membres précèdent leur usage, et l’usage précède et crée la fonction.

Plutôt qu’un simple renversement paradigmatique, cette vision de l’esclave antique – plus proche de la réalité de cette époque que de celle que les temps d’après y ont apposé – permet de repenser en profondeur notre rapport à l’instrument, à l’outil ou à la technique. L’esclave est instrument. Et comme un instrument, s’il « est » indépendamment de l’usage que son maître en fait, il n’ « est complètement » que relativement à l’acte que pose son maître sur lui et à celui auquel ce dernier le destine. Instrument d’une cause finale (selon la classification héritée d’Aristote), il en est, intrinsèquement, sa cause instrumentale (selon la classification héritée de Thomas D’Aquin). L’esclave n’est pas à regarder par le lorgnon de la propriété, mais par celui de la techné.

si l’hypothèse d’un lien constitutif entre esclavage et technique est correcte, il n’est pas étonnant que l’hypertrophie des dispositifs technologiques ait fini par produire une forme d’esclavage nouvelle et sans exemples.

Au travers de cette refonte – par la précision de la philologie – de la question de l’esclavage, ce sont tous les dualismes hérités d’Aristote qui peuvent être articulés à nouveau. Essence/existence, essence première/essence seconde, zoé/bios, acte/puissance, étant/être, objet/sujet etc…, nos clivages sont des héritages. Forgés parfois sur des imprécisions linguistiques d’importance, ces clivages, qui ont défini l’ontologie occidentale, ne peuvent trouver à s’expliquer – à défaut de s’y résoudre – que dans une analyse toujours plus précise, plus fine, des mécanismes du langage. Alors que l’impossibilité d’une philosophie première est devenue l’ « a priori » historique de l’époque où nous vivons encore, Giorgio Agamben tente, en exhumant les fondements de cette scission de l’être dans lesquels s’origine notre tradition philosophique de lui ouvrir un ailleurs. Un ailleurs – c’est, in fine, son rôle – où se devine beaucoup de notre « ici »…

Aujourd’hui, le problème ontologico-politique fondamental n’est pas l’oeuvre, mais le désœuvrement, non pas la recherche fébrile et incessante d’une nouvelle opérativité, mais l’exhibition du vide permanent que la machine de la culture occidentale garde en son centre.

Giorgio Agamben, L’usage du corps – Homo Sacer, IV, 2, 2015, Le Seuil, trad. Joël Gayraud.

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« Etat d’exception » de Giorgio Agamben https://www.librairie-ptyx.be/etat-dexception-de-giorgio-agamben/ https://www.librairie-ptyx.be/etat-dexception-de-giorgio-agamben/#respond Mon, 30 Apr 2012 21:13:47 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=559

Lire la suite]]> L’état d’exception est cet espace où le droit, sous prétexte de ne pouvoir être préservé sans cela, est mis en veille. Au travers d’exemples glanés à travers l’histoire : le justitium romain, le troisième reich, la France napoléonienne, l’Italie de Musolini, l’Amérique de G.W.Busch, Giorgio Agamben déconstruit les outils dont se sont dotés les gouvernants à travers les âges pour résoudre cette dichotomie : comment établir dans le droit les moyens de le garantir en le suspendant, comment envisager dans le droit et par lui ce qui lui est extérieur ?

L’exemple clé, aisément saisissable, est probablement celui tiré de l’histoire récente où l’on voit un président américain s’arroger le droit de sortir du cadre juridique qui le légitime sous prétexte de défendre ce même cadre.  Il en appelle aux menaces qui pèsent sur l’état de droit pour en légitimer sa suspension.  Ce qui est marquant ici est que l’état d’exception, qui, par définition, ne peut être utile que dans le transitoire, devient permanent.  S’installe alors un espace où violence, droit, autorité et puissance se mêlent sans plus pouvoir se différencier et s’autolégitiment.

L’objectif de Giorgio Agamben, en s’aidant de l’histoire, de Carl Schmitt, de Walter Benjamin, est de soulever le voile qui pèse sur ce no man’s land entre droit public et fait politique, entre vie et ordre juridique.  Car sans réaffirmer leurs différences, sans trancher dans cet entrelacs brumeux, la politique est impossible.

La politique a subi une éclipse durable parce qu’elle a été contaminée par le droit, en se concevant elle-même dans le meilleur des cas comme pouvoir constituant (c’est-à-dire comme violence qui pose le droit), quand elle ne se réduit pas simplement au pouvoir de négocier avec le droit.  En revanche, ce qui est véritablement politique, c’est seulement l’action qui tranche entre violence et droit.

Giorgio Agamben, Etat d’exception, 2003, Le Seuil (coll.  L’ordre philosophique).

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