Attila – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Moi, Jean Gabin » de Goliarda Sapienza. https://www.librairie-ptyx.be/moi-jean-gabin-de-goliarda-sapienza/ https://www.librairie-ptyx.be/moi-jean-gabin-de-goliarda-sapienza/#respond Tue, 16 Oct 2012 10:13:25 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=1488

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Goliarda Sapienza naît en 1924, à Catane, dans une famille exceptionnelle à plus d’un titre.  De moeurs libres et recomposée dans une Italie encore très croyante et conservatrice, et à l’extrême gauche dans un environnement ouvertement fasciste.  Dans « Moi, Jean Gabin », Goliarda Sapienza nous conte ses jeunes années, toutes emplies du rêve non pas d’incarner ni de rencontrer, mais d’être Jean Gabin.

Les photographies en mouvement des films […] avaient tout l’éclat et la netteté du moment même où la vie-action éclot, fleurit, croît, croît encore, meurt.

Le trouble de son écriture vient de ces brumes où naît un je, tour à tour petite fille, petite fille se rêvant Jean Gabin, petite fille étant Jean Gabin.  Et prend corps dans ces pages l’essentiel de ce qui fait l’enfance où le réel peut encore prendre les teintes du rêve jusqu’à ne pouvoir s’en démêler.  L’émoi qui en sourd chez le lecteur n’est alors peut-être pas étranger à ce que tous, enfants, nous nous promettons, et dont la lecture de Goliarda Sapienza nous ramène le goût de ce que nous avons trahit.

Se tenir accroché au rêve, et défier jusqu’à la mort pour ne jamais le perdre.

Et la force de son écriture nous ramène à ses étonnement de l’enfance.  Et nous permet, comme en écho à l’enfant que nous avons trahi, de nous en étonner à nouveau.

Ce qui m’étonne, c’est comment la vie, la vraie, c’est-à-dire les préoccupations financières, les fascistes, ont le pouvoir d’enterrer jusqu’au rêves les plus beaux.

Mais l’enfance de Goliarda Sapienza, c’est aussi la vie dure à Catane, dans le quartier des artistes, des filles de joie, des marionnettistes.  C’est une vie de famille, où tous, frères, mère, père ont pour vocation de défier le fascisme.  De défendre l’opprimé.  Une vie férocement libre où comprendre ne devient pas ce qui interdit de s’engager.  Une vie de famille où jouer et imaginer était aussi considéré, chez [elle], comme un « faire ». C’est une vie dans ce qu’elle a de plus beau qui ne s’acquiert qu’en luttant.

seul l’esprit de lutte est immortel, de lui seul jaillit ce que communément nous appelons Vie.

Goliarda Sapienza, Moi, Jean Gabin, Attila, 2012.

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« Ma mère, musicienne, est morte de maladie maligne à minuit, mardi à mercredi, au milieu du mois de mai mille977 au mouroir mémorial à Manhattan » de Louis Wolfson. https://www.librairie-ptyx.be/ma-mere-musicienne-est-morte-de-maladie-maligne-a-minuit-mardi-a-mercredi-au-milieu-du-mois-de-mai-mille977-au-mouroir-memorial-a-manhattan-de-louis-wolfson/ https://www.librairie-ptyx.be/ma-mere-musicienne-est-morte-de-maladie-maligne-a-minuit-mardi-a-mercredi-au-milieu-du-mois-de-mai-mille977-au-mouroir-memorial-a-manhattan-de-louis-wolfson/#respond Tue, 19 Jun 2012 16:26:31 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=697

Lire la suite]]> Ce n’est pas tous les jours que sa mère meurt.

Et cela vaut bien alors d’en faire le récit.  Louis Wolfson nous conte ici les derniers mois de la vie de sa mère, de la découverte du cancer qui la ronge jusqu’à l’issue fatale.  Le ton est clinique, froid.  Et les éléments repris au journal de sa mère détaillant au plus près l’agenda prosaïque du cancéreux (« 17 mai 1976, lundi.  Hôpital de Flushing.  Hématologie. ») y ajoute sa péllicule de glace.  Rien n’est omis dans la description de la maladie ni des traces qu’elle laisse sur le corps. 

J’entrai dans le living-room où je la trouvai sur le divan, allongée sur le dos, la tête où elle avait toujours mis les pieds, sa chemise de nuit retroussée jusqu’au-dessus de son sexe où la chimiothérapie sembla avoir beaucoup ravagé la pilosité autour de l’orifice par où je fus sorti, sans l’avoir demandé, dans ce monde infernal de mensonge, de lutte, d’échec, de souffrance, de mort, mon portail à un dilemme démoniaque duquel ma seule délivrance sera mon décès.

Le récit de la maladie est entrecoupé de celui des obsessions de son auteur.  On y découvre un Louis Wolfson schyzophrène, paranoïaque, haineux de la langue anglaise au point de porter en permanence un casque sur les oreilles pour ne pas avoir à l’entendre.  Un joueur compulsif échafaudant les plans les plus hallucinés pour percer les mystères du pari hippique et en dompter les hasards.  Un être obstiné, pétri de ressentiments pour les nègres, les juifs, les médecins.  Mais surtout, dans une langue hachée, heurtée, toujours comme en distance, où les « si » aiment les « rait », on découvre un être dans tout ce qu’il peut avoir de contradictoire, enrageant de voir sa mère condamnée, hypocondriaque jusqu’à l’absurde, mais ne rêvant pour l’humanité qu’un destin explosif. 

Comme disait feu le pape Jean-Paul II lui-même avant de devenir gâteux : « L’humanité est une grande malde. »  D’accord, et le traitement de choix est l’euthanasie planétaire complète et définitive.  Boum super-colossal collectif! l’homme étant un être collectif.

Louis Wolfson, Ma mère, musicienne, est morte de maladie maligne à minuit, mardi à mercredi, au milieu du mois de mai mille977, au mouroir mémorial, à Manhattan, 2012, Attila.

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« Ascension » de Ludwig Hohl https://www.librairie-ptyx.be/ascension-de-ludwig-hohl/ https://www.librairie-ptyx.be/ascension-de-ludwig-hohl/#comments Sat, 03 Mar 2012 21:37:42 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=342

Lire la suite]]> Deux hommes partent à l’assaut d’un glacier.  Johann est grand, badin, lent, novice en alpinisme.  Ull est montagnard chevronné, petit, opiniâtre, consciencieux.  A mi-chemin, devant les conditions climatiques difficiles, Johann abandonne, Ull décide de poursuivre.  On suit alors l’ascension de l’un puis la descente de l’autre.

Ludwig Hohl à réécrit six fois ce très court texte en 60 ans.  Et la langue à laquelle il parvient, concise, économe, semble tendre vers un point.  Le point d’équilibre.  Ce point que ne peut perdre le montagnard sous peine d’y perdre la vie.  Ce même point que chacun d’entre nous doit trouver sous peine de ne pas vivre.

Dans cette langue comme tendue entre deux vides, Ludwig Hohl à réussit un récit haletant et proprement vertigineux, une parabole doublée d’une leçon de littérature.

Ludwig Hohl, Ascension, 2007, Attila.

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« Nuit » de Edgar Hilsenrath https://www.librairie-ptyx.be/nuit-de-edgar-hilsenrath/ https://www.librairie-ptyx.be/nuit-de-edgar-hilsenrath/#respond Sun, 12 Feb 2012 13:59:33 +0000 http://ptyx.argon7.net/?p=197

Lire la suite]]> 1941, dans le ghetto de Prokov, le long des rives du Dniestr, Ranek, comme tous ceux qui l’entourent, tente de survivre aux rafles, au typhus et à la faim.

Rien qu’à lire ce qui précède, les poncifs font déjà surface : récit classique du courage juif face à la barbarie nazie, ode à l’acte résistant, sanctification éthérée de l’humain que cherche à anéantir le pouvoir oppresseur… Et les images inévitables que ces poncifs véhiculent…  Rien de tout cela chez Edgar Hilsenrath.  Tout au contraire même.  La judéité du ghetto est à peine brossée, encore moins revendiquée.  Les tortionnaires roumains sont évoqués à gros traits, plus éventualité menaçante à éviter qu’emprise sanguinaire.  La guerre est un écho vague, en dehors, de l’ordre du possible.  Seul subsiste le microcosme du ghetto.

Et c’est cela qui, sans doute, peut choquer le lecteur en quête de texte rédempteur ou accusateur.  L’ennemi n’a plus le visage rassurant (car circonscris à cela même) du monstre brun.  Pour l’être du ghetto, l’ennemi, c’est le froid, la faim, la maladie.  C’est son corps en voie d’épuisement.  C’est l’autre n’agonisant pas assez vite pour lui laisser sa place au chaud.  La survie ne s’occupe pas de point de vue, elle est par delà sa cause essentielle.  Et dans sa seule activité (hormis l’acte sexuel fugace, haché) qui est d’échapper à la mort, l’être en survie dépouille l’agonisant de ses chaussures, défigure le frère mort pour lui arracher sa dent d’or.  Il vole, ment, frappe, dans une économie du dénuement où le corps vivant ou mort (et la place qu’il occupe) est ramené à sa seule fonction de valeur d’usage ou d’échange.  Le ghetto n’est pas plongé dans la nuit.  Il est la nuit même.

Mais, curieusement, « Nuit » n’est pas le roman du désespoir.  Tout d’abord grâce à l’exercice d’une langue en bribes qui incise le réel pour le transformer.  A force d’horreur, le récit tourne au grotesque.  Et finalement le lecteur est protégé du désespoir qui menace par la distance et la force du conte.  Conte cruel, certes, mais conte quand même.  Ensuite, dans ce monde clos où tout acte ne visant pas la seule survie condamne celui qui le pose, affleurent çà et là des parcelles d’humanité.  Dans un monde où la raison impose de ne se préoccuper que de soi, et le légitime même, le geste désintéressé envers l’autre (geste devenu folie) est encore possible.  Un frère protège l’innocence de sa soeur, une femme adopte un enfant qui n’est pas le sien.  Et tous d’espérer voir dans le comportement d’autrui autre chose qu’une marque de simple calcul.  Allant parfois jusqu’à s’en convaincre envers et contre toutes les apparences.  C’est peut-être en cela que réside la grande beauté de ce livre.  L’humanité, qui du bord a irrémédiablement versé dans le gouffre le plus sombre, est encore capable d’amitié, d’amour et de bonheur, et surtout, d’en croire l’autre capable.

Edgar Hilsenrath, Nuit, 2012, Attila

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