Circé – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « La vie des choses » de Remo Bodei. https://www.librairie-ptyx.be/la-vie-des-choses-de-remo-bodei/ https://www.librairie-ptyx.be/la-vie-des-choses-de-remo-bodei/#respond Tue, 29 Jan 2019 08:45:21 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=8054

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Qu’on le regrette ou non, nous sommes entourés par les choses. De quelque nom qu’on les affuble – trucs, brols, objets, etc. – elles semblent être devenues au fil des ans et de la mondialisation des principes capitalistes l’alfa et l’oméga de nos existences. Qu’on cherche à se distancier de leurs emprise, à combattre leur amas, à alerter sur le danger de certaines, ou à en profiter consciemment ou non, les choses ont acquis un statut d’autant plus prédominant que si l’on s’ingénie parfois très subtilement à questionner l’amas qu’elles représentent, cela se fait sans en revenir à ce qu’elles sont. Perceptibles par l’amas toujours plus important qu’elles forment ensemble ou discernables par les particularités – visuelles, techniques, esthétiques, etc. – qui les distinguent l’une de l’autre, les choses ne sont pourtant plus perçues comme « des choses en soi », dignes d’intérêt, et dont « l’essence » doit être analysée et questionnée. À l’heure de leur prédominance qui semble parfois sans partage, la question « C’est quoi une chose? » s’affirme comme l’une des plus importante qui soit.

Comment passe-t-on de l’indifférence ou de l’ignorance de quelque chose au fait de le penser, de le percevoir ou de l’imaginer comme doté d’une pluralité de sens, capable de produire ses propres sens? 

Faire de ce qui menace de nous submerger une occasion de nous comprendre mieux. Faire surgir à nouveau l’inhabituel qui sommeille dans le banal. Ces taches, ancestrales, de la philosophie ou de l’art, sont ici superbement assumées par le philosophe italien. Sans s’attacher à aucunes « écoles » – même si le tout reste très « continental » – Remo Bodei nous propose tout à la fois une brève histoire du concept de « chose » et une subtile lecture de notre rapport contemporain à celle-ci.

Nous ne sommes pas condamnés à étouffer sous l’amas des « objets ». Le retour, via les propositions de l’esthétique ou de la philosophie, à ce qui, entre autres, différencie l’ « objet » de la « chose », permet de nous armer contre cette profusion et d’y puiser de quoi bâtir d’autres relations. Aux « choses » comme à ceux qui les fabriquent.

Rendu autonome, mué en chose qui nous tient à cœur, [l’objet] n’est plus ce qui se dresse devant nous comme un obstacle à surmonter ou comme une altérité à assimiler. Il ne s’agit plus de le soumettre, précisément parce que l’art même l’arrache à la consommation immédiate et à la lutte. Les objets, devenus des choses, n’ont évidemment, en tant que tels, aucun langage, ils ne répondent pas par des mots à nos questions. Ils apparaissent d’abord comme inertes et ne semblent pas répondre à nos investissements idéaux, symboliques et émotifs. Cependant, si nous ne les considérons plus de manière légère ou superficielle, si nous oublions notre analphabétisme à leur égard, les choses nous font parler à leur place, et nous amènent à leur révélation progressive. 

Remo Bodei, La vie des choses, 2019, Circé, trad. Patrick Vighetti.

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« La Route de campagne » de Regina Ullmann. https://www.librairie-ptyx.be/la-route-de-campagne-de-regina-ullmann/ https://www.librairie-ptyx.be/la-route-de-campagne-de-regina-ullmann/#respond Mon, 06 Nov 2017 09:07:48 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7241

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j’ai rarement entendu quelqu’un parler avec tant de beauté.

Il aura donc fallu attendre 96 ans (94 pour les lecteurs de langue anglaise) pour qu’un des textes majeurs de la littérature d’expression allemande soit enfin traduit en français! Et cela alors même que l’oeuvre de Regina Ullmann fut en son temps encensée par des monstres consacrés comme Musil, Hesse ou Rilke. Ce dernier n’hésitant pas à la proclamer supérieure à lui. L’histoire a parfois de ces ratés…

C’était une journée tout à fait claire, celle où la montgolfière devait prendre son envol. Si l’on faisait mine de tendre les bras comme pour l’attraper, cela n’avait pas du tout l’air stupide ; parfois le monde entier est comme peint sur de la porcelaine, y compris les dangereuses fêlures.

Chacune des nouvelles qui composent ce recueil est habitée – littéralement habitée – par des personnages de peu : des très vieux, des « simples d’esprit », des très jeunes enfants. La plupart sont placés face à un événement finalement assez bénin : l’envol d’une montgolfière, une cueillette de fraise, une errance. Mais cette banalité, chez Regina Ullmann, se trouve transfigurée par l’extraordinaire – littéralement extraordinaire – liberté qu’elle utilise pour les raconter. En heurtant la syntaxe, en entremêlant les registres du discours ainsi que les genres auxquels on les assimile habituellement, en insécurisant le lecteur mais sans chercher à le perdre, Regina Ullmann construit un étrange mais précieux monument à la littérature.

Le monde d’Ullmann est un monde immanent, mais pas sans Dieu; un monde empli d’éons irréductiblement solitaires, mais rendu possible par l’amour qu’ils éprouvent l’un pour l’autre; un monde fragile, mais qui serait invivable sans cette fragilité. D’un phrasé libre et détaché des conventions mais bien plus construite qu’il n’y peut paraître au premier abord, chaque nouvelle de Regina Ullmann offre au chanceux qui la lit l’occasion de goûter ensemble la force et la grâce.

Et c’est le monde qui fait tenir l’édifice de la personne humaine, comme un mortier.

Regina Ullmann, La Route de campagne, 2017, Circé, trad. Sibylle Muller.

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« La révolte de Guadalajara » de Jan Jacob Slauerhoff. https://www.librairie-ptyx.be/la-revolte-de-guadalajara-de-jan-jacob-slauerhoff/ https://www.librairie-ptyx.be/la-revolte-de-guadalajara-de-jan-jacob-slauerhoff/#respond Thu, 26 Oct 2017 07:27:59 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6921

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La ville de Gadalajara végète dans l’ennui. Le sous-fifre d’un futur cardinal qui souffre de sa vie subalterne, un richissime propriétaire dont la fortune n’est plus un frein à la lassitude, une armée officielle et une armée révolutionnaire se faisant face moins comme deux chiens grognant que comme deux partenaires se satisfaisant du point d’équilibre trouvé, et une population indigène rejetée dans les marges de la ville, tous sont à la fois insatisfaits de leur existence mais arrêtés entre l’espoir d’un mieux et la crainte du pire. Quand arrive dans la ville un vagabond un peu exalté, il ne faut pas longtemps pour qu’en soit fait une nouvelle figure du messie. Presque à son corps défendant, le vagabond El Vidrievo va alors devenir le serment sur lequel s’entent les désirs contradictoires d’une population abâtardie et confite dans ses peurs

Située sur le littoral, au pied d’une montagne ou au milieu d’une plaine, [la ville] est pareille à un récif qu’il est difficile d’éviter. Si le voyageur se risque trop près d’elle, tout l’espoir, tout le désir de vivre une autre vie, de connaître un sort meilleur, qui habitent les habitants de la ville et de la plaine comme ils habitent n’importe quel mortel, se déversent sur lui. Il n’en remarque rien ; ce qu’il ressent, il l’interprète comme la fatigue extrême qui suit son long voyage, si bien qu’il se décide à passer quelques jours dans la ville ou la plaine pour se remettre un peu. Néanmoins, il est saisi de peur en découvrant les visages affamés et avides que les indigènes lèvent sur lui, en hésitant quant au chemin à prendre sur une place privée de soleil où l’on amené venelles et rues, en relevant un degré de consanguinité avancée sur des figures pâles et dans des membres mous. Malgré sa fatigue, à mesure qu’il avance, il se met à accélérer le pas ; si la chance lui sourit et si son sens de l’orientation ne le trahit pas, il s’en sort, le voici une heure plus tard de l’autre côté avec, devant lui, la même plaine, qui cette fois lui semble, dans tout son immensité, tentante et tout à fait propice à être traversée. Et si jamais, poisseux de sueur, il a la chance de trouver un ruisseau où se baigner, où se laver de la fatigue et de contact avec la ville, il est sauvé. Mais il arrive que le désir de connaître autre chose, d’approcher un étranger quel qu’il soit, dans la mesure où il peut rompre le morne équilibre du quotidien, se fait si fort chez les indigènes, que ceux-ci encerclent l’homme ou viennent même à sa rencontre : il éprouve alors le sentiment agréable que ressent le vagabond ou le pérégrin qui reçoit bon accueil. Dans ce cas, il est perdu.

Jan Jacob Slauerhoff, dans ce petit roman devenu depuis longtemps un classique incontournable des lettres néerlandaises, nous invite comme rarement à réfléchir à la mécanique révolutionnaire. Sans pitié aucune, il dissèque le mélange d’ennui, d’ignorance, de calcul et de messianisme qui forme le fumier de toute révolte, et qui la condamne à s’étouffer dans son propre oeuf. Cruel, le destin d’El Vidrievo comme celui de tous ceux dont il aura incarné l’espérance trouve dans la langue de l’auteur néerlandais un écrin « moderniste » qui lui confère la beauté tragique des grandes œuvres intemporelles.

Jan Jacob Slauerhoff, La Révolte de Guadalajara, 2008, Circé, trad. Daniel Cunin.

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« Album de famille avec portraits d’inconnus » de Vicomte de Lascano Tegui. https://www.librairie-ptyx.be/album-de-famille-avec-portraits-dinconnus-de-vicomte-de-lascano-tegui/ https://www.librairie-ptyx.be/album-de-famille-avec-portraits-dinconnus-de-vicomte-de-lascano-tegui/#respond Fri, 07 Nov 2014 08:47:02 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=4635

Lire la suite]]> Album de famille avec portraits d'inconnusLe 8 juin 1900, un accident de chemins de fer tragique survient à Abbeville.  Michael Bingham, un agent d’assurance anglais, y survit miraculeusement.  L’entreprise d’assurance pour laquelle il travaille le charge alors de faire des investigations sur les morts qu’a occasionné cet accident.  En cherchant dans la généalogie des disparus ce qui pourrait justifier après-coup leur mort accidentelle, la compagnie espère trouver ainsi les mécanismes qui y président et donc, en évaluant mieux le risque, augmenter ses marges bénéficiaires.  Vingt ans d’un travail acharné plus tard, alors qu’il apporte son volumineux rapport au siège de l’entreprise qui l’emploie, Michael Bingham constate que celle-ci avait fait faillite vingt ans plus tôt, peu de temps après lui avoir confié sa mission.  Il devient fou et jette ses notes au vent.  Le narrateur, témoin de cette scène, réussit à sauver six de ces dossiers.  Et ce sont ceux-là qui nous sont ici donnés à lire.

Il lui vint une idée de génie, et il décida d’acheter la volonté populaire. […]  Les veilles d’élection, il s’assurait son capital électoral en fournissant à chaque votant l’une des bottines – la droite ou la gauche -, avec la promesse de compléter la paire s’il était élu.

Peignant les généalogies de ces six disparus, c’est toute une humanité qui se découvre à nous.  Où l’on rencontre entre autres des députés, des banquiers, des vagabonds, des coiffeurs pour dame, des bandits de grands chemins, des graveurs atteints de strabisme ou des plieurs de serviette.  Et cette faune humaine, notre Vicomte la raconte telle qu’elle est, sans fards, délicieusement retorse, facétieusement cruelle, joyeusement lucide et perfidement juste.  Dans un éclat de rire permanent et irrésistible.

Où se trouvaient les érudits qui sauraient lire entre les lignes de son manuscrit, qui n’était ni limpide, ni destiné aux somnambules, ni susceptible d’intéresser les fossoyeurs?

Entre ses lignes se devine un projet qui, s’il est directement lié aux peintures enlevées de ses personnages, la déborde par les dispositifs d’écriture qu’il met en place.  Car, peu à peu, à sa lecture attentive, par delà les éclats de rire qu’il convoque, le texte du Vicomte célèbre une magnifique impossibilité.  Celle de détacher du magma commun de l’humanité une parcelle d’individualité qui puisse s’en détacher irréductiblement.  Et pour ce faire, une écriture devait être trouvée.

Une écriture incapable de mentir pour son propre compte, mais capable d’endosser tous les mensonges de l’humanité.

Vicomte de Lascano Tegui, Album de famille avec portraits d’inconnus, 2014, Circé, trad. Séverine Rosset.

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« Le chant limitrophe » de Tomas Venclova. https://www.librairie-ptyx.be/le-chant-limitrophe-de-tomas-venclova/ https://www.librairie-ptyx.be/le-chant-limitrophe-de-tomas-venclova/#comments Fri, 20 Dec 2013 09:10:39 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3442

Lire la suite]]> VenclovaLe cœur, comme un poing de nourrisson, frappe obstinément ce qu’il ne peut nommer.

Circé nous donne à lire un recueil de Tomas Venclova regroupant des poèmes écrit au long d’une quarantaine année de sa vie.  Disparates, ils retracent certes un processus dans l’œuvre de l’auteur, une vie à écrire.  Mais toujours une même obstination à dire, un même attachement au mot.  Un mot qu’il saisit dans un moment bref, comme suspendu, comme saisi, volé entre ce qui est advenu et ce qui sera.

L’instant qui nous a abandonné,

L’instant voué au supplice retombe tel un fichu,

Sur les chambres, les couloirs et les escaliers,

Sur le hiatus qui malgré tout existe entre ce qui fut et ce qui doit advenir.

Par delà la mort d’un être cher, un exil, une indignation, c’est toujours le rôle du poète qu’interroge Venclova.  Poète qui, loin de l’aède que condamnait Platon (mais Platon condamne bien plus le sophiste que le poète), au travers des temps, a toujours occupé sa place, loin du temps et la peur, auxquels il donne sens par le mot seul.

Voguent la foule et le son,

Mais inchangé notre métier :

Troquer le temps contre une strophe,

Donner un sens à la peur.

Entre retours sur le siècle, voyages, regards rêveurs sur le passé, nostalgies, sa poésie fait toujours lien avec un au-delà vers lequel chaque mot tend.  Dans ses vers qui lorgnent souvent vers l’antique, en continuateur éclairé de Mallarmé et Saint-John Perse, Tomas Venclova sait que son rôle est de saisir un instant par le mot, de se situer sur cette limite entre les choses que seule le poète peut tenter d’exprimer.  Mais comme tout grand poète, il s’en sait aussi incapable.  Et c’est ce qui fait de ce Chant limitrophe ce que devrait être toute littérature.  Une sublime tentative.

Mais un poète dirait que seul l’enjambement demeure. 

Les mots à peine rapprochés roulent dans l’abîme,

Le vers se détache du vers, la strophe de la strophe,

Et la syntaxe peine à réunir ce qu’a brisé la rime.

Tomas Venclova, Le chant limitrophe, 2013, Circé, trad. Henri Abril.

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