« La vie des choses » de Remo Bodei.

 

Qu’on le regrette ou non, nous sommes entourés par les choses. De quelque nom qu’on les affuble – trucs, brols, objets, etc. – elles semblent être devenues au fil des ans et de la mondialisation des principes capitalistes l’alfa et l’oméga de nos existences. Qu’on cherche à se distancier de leurs emprise, à combattre leur amas, à alerter sur le danger de certaines, ou à en profiter consciemment ou non, les choses ont acquis un statut d’autant plus prédominant que si l’on s’ingénie parfois très subtilement à questionner l’amas qu’elles représentent, cela se fait sans en revenir à ce qu’elles sont. Perceptibles par l’amas toujours plus important qu’elles forment ensemble ou discernables par les particularités – visuelles, techniques, esthétiques, etc. – qui les distinguent l’une de l’autre, les choses ne sont pourtant plus perçues comme « des choses en soi », dignes d’intérêt, et dont « l’essence » doit être analysée et questionnée. À l’heure de leur prédominance qui semble parfois sans partage, la question « C’est quoi une chose? » s’affirme comme l’une des plus importante qui soit.

Comment passe-t-on de l’indifférence ou de l’ignorance de quelque chose au fait de le penser, de le percevoir ou de l’imaginer comme doté d’une pluralité de sens, capable de produire ses propres sens? 

Faire de ce qui menace de nous submerger une occasion de nous comprendre mieux. Faire surgir à nouveau l’inhabituel qui sommeille dans le banal. Ces taches, ancestrales, de la philosophie ou de l’art, sont ici superbement assumées par le philosophe italien. Sans s’attacher à aucunes « écoles » – même si le tout reste très « continental » – Remo Bodei nous propose tout à la fois une brève histoire du concept de « chose » et une subtile lecture de notre rapport contemporain à celle-ci.

Nous ne sommes pas condamnés à étouffer sous l’amas des « objets ». Le retour, via les propositions de l’esthétique ou de la philosophie, à ce qui, entre autres, différencie l’ « objet » de la « chose », permet de nous armer contre cette profusion et d’y puiser de quoi bâtir d’autres relations. Aux « choses » comme à ceux qui les fabriquent.

Rendu autonome, mué en chose qui nous tient à cœur, [l’objet] n’est plus ce qui se dresse devant nous comme un obstacle à surmonter ou comme une altérité à assimiler. Il ne s’agit plus de le soumettre, précisément parce que l’art même l’arrache à la consommation immédiate et à la lutte. Les objets, devenus des choses, n’ont évidemment, en tant que tels, aucun langage, ils ne répondent pas par des mots à nos questions. Ils apparaissent d’abord comme inertes et ne semblent pas répondre à nos investissements idéaux, symboliques et émotifs. Cependant, si nous ne les considérons plus de manière légère ou superficielle, si nous oublions notre analphabétisme à leur égard, les choses nous font parler à leur place, et nous amènent à leur révélation progressive. 

Remo Bodei, La vie des choses, 2019, Circé, trad. Patrick Vighetti.

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